YVANIE CAILLE, fondatrice de Renaloo, membre du CCNE et du COVARS

Damien Dubois • févr. 28, 2023

Toujours agir pour les patients atteints maladies chroniques en général et rénales en particulier


Yvanie Caillé

Yvanie Caillé

Fondatrice de Renaloo, membre du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) et du Comité de Veille et d'Anticipation des Risques Sanitaires (COVARS)

Pouvez-vous d’abord vous présenter en quelques mots ?


J'ai une maladie rénale depuis l'enfance et quand j'ai eu 28 ans, elle a évolué au point de nécessiter un recours à la dialyse. J'ai pu être greffée un an plus tard avec le rein de ma maman. Entre la dialyse et la greffe, j'ai cherché des informations. Nous étions en 2001-2002 et Internet ne ressemblait pas du tout à ce que l'on connaît aujourd'hui. Il y avait très peu de sites destinés aux patients et surtout des informations scientifiques d'assez haut niveau. Ce n'était pas facile de s'y retrouver en tant que personne malade pour s’informer et se rassurer. Il existait des associations mais qui n’étaient pas présentes sur Internet.

 

J'ai trouvé le blog d'un patient américain, du même âge que moi, avec la même maladie. Il avait vécu la même chose un an ou deux avant et l'avait raconté de façon très simple. Il était et est toujours journaliste. Ce témoignage a probablement été ce qui m'a le plus aidée dans mon propre parcours. Quand, à mon tour, j'ai été greffée, j'ai décidé d'avoir un peu la même démarche, mais en français. Il y a 20 ans, j'ai donc créé un blog, Renaloo, destiné à être un lieu de témoignages et de mise en relation entre personnes concernées par des maladies rénales, la dialyse et la greffe.

Comment Renaloo est passée du blog à l’association ?


Au départ, l'idée n'était pas du tout de créer une association. Le blog a eu un succès assez immédiat, avec beaucoup de messages, de demandes de patients et de proches. J’ai rapidement mis en place un forum pour que les personnes puissent échanger entre elles. C'était la grande époque des forums, avant les réseaux sociaux. Progressivement et spontanément, ce qu'on appelle aujourd'hui une communauté de patients s’est constituée, avec notamment   un noyau dur, qui s'est organisé de façon informelle, avant de devenir une association.

 

Nous avons pris conscience des problématiques récurrentes dans les parcours, les défauts d'information et les orientations aléatoires dans la prise en charge de l'insuffisance rénale en France. Nous avons voulu agir auprès des patients et du système de santé, pour le faire évoluer, pour être entendus. Cela a pris du temps et en 2008, nous nous sommes constitués en association. Aujourd’hui, Renaloo est une association de patients agréée dont les actions s'orientent autour de deux axes principaux : l'information, le soutien et l'accompagnement des patients, mais aussi le plaidoyer et la démocratie sanitaire pour contribuer concrètement aux évolutions du système de santé.



Avec quelles réussites ?


Le premier succès a été, en 2011, lors de la révision de la loi de bioéthique, d’améliorer l’accès à la greffe. Nous avons notamment obtenu que le don d'un rein à un ami devienne autorisé. Il était alors limité à la famille ou au conjoint. Cela a été un combat compliqué puisque la loi a été votée contre l'avis du gouvernement et des rapporteurs. Dans cette loi, ont aussi été votées l’interdiction de discrimination à l'assurance pour les donneurs vivants d'organes, l'autorisation des dons croisés qui permet d'échanger des reins entre deux couples donneurs receveurs incompatibles. L'association a été à l'origine de ces avancées.

 

L’autre action d’envergure a été l’organisation des Etats-Généraux du rein en 2012 et 2013 avec toutes les parties prenantes de la prise en charge des maladies rénales. Au terme de 18 mois de travaux collectifs, nos propositions ont été présentées à la ministre de la Santé en juin 2013 et plusieurs se sont concrétisées. Elles ont aussi remis durablement les maladies rénales à l’agenda politique. Ces actions s'inscrivent dans la durée et nous voyons encore aujourd’hui les applications de ces Etats-Généraux. Il y a encore beaucoup de marge de progression. Cette initiative a aussi permis de mobiliser les autres associations de patients avec qui nous avons lancé une dynamique de travail en commun.

 

La troisième réussite est issue de l'histoire de Renaloo. Très tôt, nous avons souhaité réaliser des enquêtes auprès des patients pour porter leur voix. En 2014, nous avons constaté qu'il n'existait pas de plateforme parfaitement éthique et réglementairement adaptée pour garantir aux patients des conditions irréprochables de participation à la recherche : leur participation à la conception des études depuis l’origine, la garantie qu’elles sont réalisées dans l’intérêt des patients, un recueil de leur consentement réitéré autant que nécessaire, une réelle confidentialité et sécurité de leurs données ainsi qu’un accès prioritaire aux résultats, etc. Au contraire, on assistait à l’époque à un engouement fort pour les « données patients », avec des objectifs commerciaux affirmés, qui pouvaient aller à l’encontre de ces principes. La réflexion nous a amenés à la création de MoiPatient, née en 2016 et qui permet de réaliser des enquêtes auprès des personnes malades et de leurs proches. La plateforme est ouverte à toutes les pathologies. Ces enquêtes doivent être portées par une ou plusieurs associations de patients. Aujourd’hui, de nombreuses études sont réalisées par son intermédiaire.

 

Par exemple, récemment, MoiPatient a permis récemment à un collectif d'associations de patients qui s'appelle Action Patients[1] de réaliser une enquête pour connaître le ressenti à la fois des patients et des professionnels de santé sur la crise de l'hôpital. L’action collective et pluripathologique est très constructive. Action Patients regroupent des associations centrées sur des maladies très différentes, principalement chroniques. Cette mobilisation commune a démarré pendant le Covid. Nous avons agi ensemble, et nous continuons à le faire, pour la protection des patients immunodéprimés, qui restent très vulnérables face au virus.


 
[1] Dont Renaloo et Aider à Aider, association qui porte Les Patients s’Engagent, sont membres

Renaloo : 20 ans d'engagement

De manière plus personnelle, comment votre engagement a évolué ?


Je suis ingénieure en mathématiques appliquées de formation. Avant cette aventure, je travaillais dans la finance. J’ai ensuite repensé mes perspectives professionnelles et je suis partie travailler dans des fondations d'intérêt public. J'ai participé à la création et dirigé la Fondation Greffe de vie et à partir de 2008, puis dirigé la Fondation de l'Université Pierre et Marie Curie et ensuite l'Institut national des données de santé (INDS). Ces changements de cap ont clairement été liés à mon engagement dans la santé, la démocratie en santé, ainsi que dans le domaine des études et des données.

 

Pour l’INDS, c'était un vrai challenge. Confier les rênes d’un tel projet pour la recherche et la valorisation des données à quelqu'un qui venait de l'univers des patients, de la démocratie en santé, montrait une forte volonté de transparence des données. L'objectif était de favoriser leur accès à ces données, pour qu'elle fasse l'objet de recherches qui aillent dans le sens de l'intérêt des patients, des citoyens, de l'amélioration des systèmes de santé.

 


Quelle est votre vision aujourd’hui de l'engagement patient ?


Cette notion est évidemment au cœur de l’histoire de Renaloo, et reste un objectif majeur de l’association. Quand je dirigeais la fondation de l'université Pierre et Marie Curie, j’ai accompagné la genèse de l’Université des Patients, qui était portée par la fondation. J'ai fait partie de l'une des premières promotions du Master d’éducation thérapeutique, en 2012 / 2013. Pour autant, la formation universitaire n'est pas à mon sens un préalable indispensable à l'expertise des patients. Il y a plusieursmanières d'acquérir cette expertise ; d’autant qu’il existe de nombreuses formes d'engagement nécessitant diverses compétences.

 

Le développement de l'engagement patient, dans les associations comme en dehors, est une nécessité. Sans aller jusqu’au cadre strict qui est celui de l’agrément nécessaire pour la représentation des patients, une démarche de bonnes pratiques serait sans doute utile, pour s’assurer par exemple de l’indépendance vis-à-vis de l'industrie pharmaceutique, ou même des professionnels de santé et des établissements, dans une logique de responsabilité collective.

 


Quelles sont les prochaines étapes pour l’association ? Et pour vous ?


L'actualité de Renaloo est encore malheureusement très marquée par le Covid, mais aussi par le nouveau plan greffe dont le déploiement vient de commencer. Nous sommes fortement mobilisés depuis son lancement. Nous étions satisfaits de son contenu. Nous avions largement contribué à son élaboration. Pourtant, dans la mise en œuvre, nous nous heurtons encore une fois à une crise de l'hôpital sans précédent, qui a évidemment un impact sur le prélèvement d'organes et la greffe. Face à cela, nous développons un réseau de correspondants régionaux pour suivre cette mise en œuvre au plus près du terrain. Cette présence sur le terrain est d’ailleurs un objectif stratégique de Renaloo depuis quelques années, alors qu’au départ l’association était surtout présente sur Internet.


Personnellement, je suis toujours très impliquée, bénévolement, dans différentes missions, à commencer par Renaloo, dont je suis vice-présidente. Par ailleurs, j'ai de nouvelles missions depuis 2022. Je suis rentrée au Comité consultatif national d'éthique. C’est passionnant. En ce moment, par exemple, je fais partie d’un groupe de travail suite à une saisine du Premier ministre sur les violences gynécologiques. Je participe aussi à des travaux sur les personnes vulnérables et également sur l'obligation vaccinale des professionnels de santé.


La deuxième mission importante, depuis septembre est ma participation au Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires (Covars), présidé par le Pr Brigitte Autran, qui remplace le conseil scientifique et le Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale dont je faisais partie. Le COVARS a des missions plus larges, qui concernent toutes les crises sanitaires avec des missions de veille et d'alerte.

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