STEPHANE COGNON, Médiateur santé pair en santé mentale
Ou comment passer d’un « schizo-out » à la reconnaissance du statut de Médiateur santé pair
Pouvez-vous commencer par vous présenter ?
Je suis Médiateur santé pair au GHU Paris psychiatrie et neuroscience. J’ai 55 ans, marié avec trois garçons. J'ai eu une enfance et une adolescence normale jusqu’à mes 20 ans. À la suite d’un épisode un peu traumatisant, j’ai eu des bouffées délirantes avec un diagnostic de troubles schizophréniques. L’hospitalisation et le suivi ont été très bien gérés grâce à un psychiatre qui m'a vraiment aidé dans mon rétablissement.
J’ai commencé à travailler dans le milieu ordinaire, dans les travaux publics, grâce à un coup de pouce de mon père. Ce n’était pas ce à quoi je me destinais mais cela m'a convenu un temps. Je cachais mes troubles notamment pour ne pas accabler mes proches. Je n’ai pas investi ma maladie et n’ai d’ailleurs pas sollicité l’aide d’association. J’ai évolué au sein de l’entreprise, me suis formé mais après quelques temps cela ne collait plus notamment avec la hiérarchie. J'ai eu envie d'écrire sur ma vie, mon vécu.
"Je reviens d'un long voyage, Candide au pays des schizophrènes", sortie aux éditions Frison Roche en 2017…
Oui j’ai écrit sous mon nom. C’était mon schizo-out ! Au départ, ma famille ne m’encourageait pas, au contraire. Les convaincre a été un vrai cheminement. Mon père a fini par admettre que c’était positif et que j’avais adopté le bon ton. Je n’avais alors pas du tout réfléchi à la suite. J’étais à la recherche d'une nouvelle orientation professionnelle plus proche de ce que j'étais, de l’envie d’aider les autres.
Grâce à ce petit livre, j’ai rencontré des aidants du collectif Schizophrénie. J’ai commencé à présenter mon livre et mon parcours et j'ai compris que je pouvais apporter quelque chose. D’ailleurs, après ma démission, j’ai eu des très bons retours des équipes de mon entreprise qui m’ont encouragé. Cela a donné lieu à des échanges forts de certains ayant des proches concernés par des troubles. Des liens personnels se sont tissées.
Comment passe-t-on d’un livre à la pair-aidance ?
Naturellement. Via le collectif, j’ai entendu parler de la pair-aidance et du métier de pair-aidant et de la licence de Bobigny. Au début, je n’étais pas sûr car je n'avais pas fait d'études supérieures. Ma femme et mes amis m'ont encouragé et accompagné. En parallèle, je me suis inscrit à un diplôme universitaire sur le rétablissement en tant que futur pair-aidant. Je me suis retrouvé avec des soignants en me demandant si j’étais à ma place ; ce que l’on m'a confirmé. Il a fallu faire une valorisation des acquis mais j’ai postulé et obtenu la licence. Conceptualiser cette pratique et son apport était passionnant.
La formation est encore expérimentale. Cela fait à peine 10 ans qu’elle se construit. Pour moi, elle a duré un an avec un noyau commun avec la licence Science sanitaire et sociale et des cours typiquement médiateurs santé pairs sur le savoir expérientiel, le processus de rétablissement, sur le soin, les troubles psys, l’esprit critique par rapport à sa maladie, par rapport aux troubles psys, je trouve ça très intéressant.
Aujourd’hui, il existe deux licences à Paris et Bordeaux et un diplôme universitaire à Lyon. Cela se développe.
Vous êtes alors devenu pleinement médiateur santé pair…
Lors d’une rencontre du collectif, j’ai rencontré un médecin du pôle 15 du Groupement Hospitalier Universitaire Paris (GHU) psychiatrie & neurosciences, créé en 2019. Je l’ai recontacté en demandant s’il avait besoin d'un médiateur santé pair. Nous avons monté le dossier et voilà. Sans trop savoir à quoi m’attendre, je me suis dit que c’était ma place. J’ai démarré une semaine après les cours.
Progressivement, j’ai compris ce que je pourrai apporter à ces médecins et infirmiers. J’ai compris que plus que dans la clinique, ma posture d’écoute et d’empathie allait aider pour le bien-être du patient. Aujourd’hui, au bout de trois ans, je me sens pleinement pair-aidant et d’ailleurs comme un soignant. Certains pairs-aidant se considèrent plus comme un médiateur entre patients et soignants.
Pour moi, la collaboration avec les soignants est essentielle. Je coanime des ateliers d'éducation thérapeutique (ETP), monte des programmes seul ou avec la coordinatrice ETP. Je me sens comme un soignant avec la particularité que je connais de l’intérieur le parcours du patient. Je suis encore suivi et sous traitement. Je peux parler de tout et sans tabou, des envies de suicide, de sexualité, de l’envie d’arrêter les traitements. J'ai une vision beaucoup plus horizontale et je m'aperçois que cela fait du bien aux patients comme aux soignants. Nous intégrons également les aidants ce qui n’était pas naturel au départ pour tout le monde.
Cette reconversion est donc une réussite ?
Oui. Nous avons réussi à assoir l’apport des médiateurs. Nous sommes une dizaine au sein du GHU avec une communauté de pratique que nous essayons d’élargir à l’Ile-de-France, mais ça a du mal à se faire. Par ailleurs, un partenariat patient sur cinq ans est en train de se mettre en place pour intégrer les patients dans les programmes, les décisions au niveau institutionnel. Cela bouge régulièrement et suis très heureux d’en être.
Les équipes également sont de plus en plus mobilisées, notamment dans les programmes d’ETP. Nous sommes complémentaires.J'espère vraiment apporter une richesse dans ma pratique de l’éducation thérapeutique, moins formelle, plus horizontale.
Le métier de médiateur de pair-aidant est-il bien reconnu ?
Je suis assez optimiste. La pair-aidance se développe, notamment avec des bénévoles, avec de plus en plus de propositions d'accompagnement, pour le retour au travail par exemple. Le seul bémol justement, face à la forte demande, est que nous avons du mal à nous structurer. Il n’existe pas de statut et de grille de médiateur de santé pair. J'ai été embauché en tant qu'adjoint administratif, catégorie B. Petit à petit grâce au réseau, j'ai compris que grâce à mon diplôme, je pouvais valoriser ma pratique. Je suis retourné voir les ressources humaines pour demander une augmentation. Aujourd’hui, l y a un eu changement de statut et trois ans après je suis en catégorie A, au niveau éducateur spécialisé. Je suis content mais chacun doit y aller avec son bâton de pèlerin, d’où l’importance de l’entraide entre médiateurs santé pairs.
Cela fait dix ans que nous sommes sur le terrain, embauchés dans les institutions. Nous devons passer à la vitesse supérieure, avoir un statut, une offre de formation claire un cadre pour que cela ne parte pas dans tous les sens. En parler est donc nécessaire pour assoir notre légitimité. Nous fournissons un travail utile, reconnu et apprécié. Dans cette idée, en novembre 2022, j’ai sorti un nouveau livre, toujours aux éditions Frison Roche. Dans « Médiateur santé pair. Un passeur entre deux rives », je mets tous les outils de la relation d’aide, comment il faut être, comment il faut faire. Le ressort de ma profession c’est l’empathie, c’est l’accompagnement, c’est le soutien et mon objectif c’est votre rétablissement. Je me réjouis de faire évoluer les pratiques en santé mentale.