ANTHONY TRESONTANI, fondateur de LiNote

Sylvie Favier • févr. 04, 2024

La technologie à la portée de l’extrême vieillesse


AMARANTHA BARCLAY BOURGEOIS

Anthony Tresontoni

fondateur de LiNote

Dans un premier temps, pouvez-vous vous présenter brièvement à nos lecteurs ?


J’ai 39 ans, je suis père de trois enfants et j’ai une formation d'ingénieur en télécommunications et réseaux de l'École nationale supérieure de techniques avancées (ENSTA) à Toulouse. Je réside dans la région Grand Est, à proximité de Nancy. Après avoir obtenu mon diplôme, j'ai suivi le chemin emprunté par de nombreux lorrains, en travaillant au Luxembourg où les salaires sont attractifs. Mais rapidement, l'ennui s'est installé et m’a poussé à partir en Angleterre pour me consacrer au développement. Mon retour en France a marqué le début d'une série de projets entrepreneuriaux, le dernier en date étant la concrétisation et la pérennisation de LiNote.


L'entrepreneuriat a toujours été une aspiration profonde. Dans ma jeunesse, je rêvais d'être inventeur ; j’ai réalisé plus tard que l'inventeur était en fait un entrepreneur ! J'ai enchaîné plusieurs projets successifs, avant rejoindre un petit accélérateur local dédié au développement de start-ups, même si ça n’était pas nécessairement le milieu qui m'attirait. Dans cette dynamique de création de produits et de start-ups, l'inspiration pour LiNote a germé, suite aux troubles cognitifs d’une parente âgée, touchée par la maladie d'Alzheimer.

Quel a été votre cheminement ?


Je suis venu un jour la chercher pour un repas familial. Elle était prête mais avait totalement oublié la nature de nos projets. Ce moment où j’ai constaté que la mémoire lui faisait défaut, a été un catalyseur. Une évidence m'a frappé : elle, qui aurait tant besoin de technologie pour pallier ses troubles, en était dépourvue, alors que nous, dotés de technologies en abondance, en tirons profit bien que notre mémoire fonctionne normalement. 

Comment offrir un accès vital à la technologie à ceux qui en ont besoin, mais qui se trouvent confrontés à des obstacles insurmontables pour eux, comme la complexité des téléphones et autres dispositifs ? LiNote est le fruit de ma propre expérience familiale, d'une volonté de rendre la technologie accessible aux personnes souffrant de troubles cognitifs. Bien avant cette initiative, j'avais déjà envisagé d'apporter une formation aux seniors sur l'utilisation de la technologie. Mais tous mes préjugés initiaux ont volé en éclats face à cette réalité concrète, issue de ma propre histoire. Le projet a vu le jour en 2014, avec trois années de développement avant que le produit ne soit dévoilé au public.



Quel est le concept de LiNote et comment a-t-il évolué ?


Initialement, LiNote était un dispositif de rappel et de routine, conçu pour répondre spécifiquement aux besoins des personnes ayant des troubles de la mémoire : rappeler un événement ponctuel, comme un rendez-vous médical, ou un geste récurrent, comme la prise de médicaments par exemple. L'objectif était de simplifier au maximum la gestion pour les utilisateurs.

Dans cette phase initiale, l'outil se présentait comme une tablette ordinaire, mais avec un mode d’utilisation très différent. L’idée centrale, qui est la détection de présence, permet d’une part de transmettre des messages spécifiques au destinataire, qui n’a qu’à se présenter devant l'appareil, sans avoir à le manipuler. Le détecteur de présence permet à la fois d’assister la personne atteinte de troubles cognitifs, mais également de simplifier la vie des proches aidants en remplaçant les post-it et autres pense-bêtes physiques, toujours contraignants à gérer en personne, par un système programmable à distance.

Au fil du temps, deux forces ont impulsé l'évolution de LiNote. La première a été de rendre l'outil toujours plus simple, avec l'ajout de fonctionnalités et l'intégration de la 4G pour assurer la connectivité permanente. La simplicité était cruciale en raison des challenges liés à la technologie, à la maintenance et aux divers problèmes qui peuvent survenir.


La deuxième force était d'offrir des moyens de communication plus étendus. Progressivement, LiNote s'est enrichie de fonctionnalités telles que la gestion des anniversaires, l'ajout d'un bouton SOS Famille pour les situations d'urgence et la possibilité d'effectuer des appels sortants. La possibilité d'envoyer des vidéos a également été intégrée, pour compléter la fonctionnalité d'envoi de photos.

L'approche de développement de LiNote consiste à "planter une graine" en introduisant des fonctionnalités, puis à laisser les utilisateurs guider le processus d'amélioration grâce à leurs retours. Chaque fonctionnalité de LiNote a ainsi été minutieusement adaptée à la temporalité et aux spécificités propres aux personnes âgées. Cela implique par exemple des sonneries conçues pour laisser le temps à l'utilisateur de se placer devant la tablette, des ajustements de volumes sonores en fonction de la capacité auditive de chacun, ou la possibilité d'ajouter des sous-titres à la parole en direct. 


Les retours des utilisateurs sont cruciaux pour affiner les usages et répondre aux besoins des personnes âgées, tellement les profils sont divers.et variés. Des troubles cognitifs aux problèmes moteurs, l'adaptabilité de LiNote s'étend pour inclure tous les cas. Par exemple, la détection automatique de présence a été ajustée pour répondre à des situations spécifiques de handicap, comme celle d'une personne alitée toute la journée en raison d’un syndrome de senior-Loken. 
LiNote s'adapte également aux personnes présentant des troubles cognitifs plus avancés, incapables de faire le lien entre la sonnerie et la nécessité de se déplacer. Ces adaptations spécifiques ne représentent qu'une petite proportion des utilisateurs mais témoignent de l'engagement de LiNote à assurer un fonctionnement efficace pour tous, en tenant compte des particularités individuelles. 
L'équipe de développement accorde une attention minutieuse à des centaines de détails, en reconnaissant l'importance de petites nuances qui peuvent paraître anodines, mais qui se révèlent être d'une grande utilité.

L'adaptation des personnes âgées aux outils numériques constitue un défi actuel, mais quid de la connectivité future des générations aujourd’hui vieillissantes ?


C'est une préoccupation qui a longtemps plané sur notre projet. Beaucoup nous ont dit que notre concept serait obsolète d'ici 10 ans... Mais avec le temps, cette inquiétude a perdu de sa pertinence pour nous. Pourquoi? Nous avons déjà équipé des individus qui maîtrisent bien les systèmes d’exploitation mobiles. Pour prendre un exemple issu encore une fois de ma propre famille, mon grand-père était un as de l’informatique avec son iPhone. Pourtant, aujourd'hui, il est dépassé, parce que la technologie évolue rapidement et constamment. Vous avez à peine le temps d’apprendre à utiliser un dispositif qu’il subit déjà des mises à jour. ! Prenons un exemple concret : les personnes âgées n’ont aucun mal à utiliser la télécommande de leur téléviseur. Mais changez de téléviseur, donc de télécommande, et tout devient compliqué ! C’est bien pire avec une tablette, car les ajustements sont extrêmement fréquents, même sans sollicitation. Les mises à jour sont nécessaires mais perturbent l’utilisateur, même le plus aguerri.

La simplicité restera une force majeure et une source de confort face à l’avancée en âge.



Quelles sont vos perspectives de développement à court terme ?


Pour l’heure, nous sommes dans un processus de consolidation, avec une réévaluation approfondie des fonctionnalités existantes, plutôt que d'ajouter de nouvelles fonctionnalités de manière marginale. Un exemple concret : la fonction d'envoi vidéo, actuellement au stade embryonnaire, va connaître des améliorations significatives.
D’autres évolutions imminentes concernent la section téléphone, pour permettre de gérer plus de 4 contacts.et la personnalisation de l'écran de base avec une disposition plus flexible des composants tels que l'horloge, le défilement des photos et la partie téléphone, pour faciliter la lisibilité des utilisateurs âgés. 
Nous envisageons également de permettre d’effectuer avec la tablette des appels vidéo sortants (qui, dans nos fonctionnalités actuelles, sont des appels téléphoniques traditionnels).

L'objectif est de rendre LiNote encore plus exceptionnel, en assurant un fonctionnement optimal pour tous les utilisateurs, et en procurant une satisfaction et un plaisir d'utilisation véritables. Voilà comment nous envisageons l'avenir de LiNote pour l'année 2024 !

Et à plus long terme ? Votre modèle est reproductible dans d’autres langues, dans d’autres pays…


Il n'y a effectivement aucune limite technique ou entrepreneuriale au déploiement de LiNote à l’étranger. On a souvent envisagé une expansion internationale… et on l’a repoussée à chaque fois ! 
En réalité, l’approche stratégique de LiNote n’est pas dans le moule actuel des start-ups, à la recherche d’une croissance effrénée. Ce qui nous guide, c’est la recherche d’un équilibre entre l’écoute des besoins exprimés par nos clients, le produit qui y répond le mieux et la préservation d'un environnement de travail serein et productif pour les salariés, même si cela ne correspond pas toujours à des gains financiers immédiats. Sans compter qu’une expansion trop rapide pourrait être source de déstabilisation des utilisateurs.


Notre société reste donc concentrée sur le marché français, où il existe encore un vaste potentiel et où nous n’avons actuellement que des concurrents relativement modestes, avec quelques petites entreprises émergentes, dont Bonjour Henry. Les grands prétendants, tels que la tablette Ardoiz et le Portal de Facebook, n'ont pas réussi à s'imposer, en particulier auprès de la population très âgée. Nous sommes conscients des défis à surmonter. L'avenir de LiNote sera dicté par sa capacité à maintenir une stabilité financière et un équilibre commercial durables.



Justement, six ans après la commercialisation de LiNote et le label « service à la personne », quel bilan pouvez-vous tirer ?


Depuis ses débuts - 4 clients en avril 2017 - LiNote a connu une croissance significative et équipe actuellement plus de 4000 personnes. C’est peu et beaucoup à la fois, pour une petite entreprise. LiNote se positionne spécifiquement sur le marché du quatrième âge (75-85 ans) et du cinquième âge (plus de 85 ans), puisque nous estimons l'âge moyen de nos utilisateurs entre 85 et 90 ans. 
Dans le contexte de la Silver Economie, LiNote émerge comme une exception parce que les tentatives de percée technologique restent rares. Le marché est encore très immature sur ce plan et la plupart des succès sont concentrés dans d’autres domaines comme l'hébergement en résidences séniors. Bien qu’elle offre de nombreuses opportunités, la fragmentation et la complexité de la Silver Economie rend chaque opportunité difficile. Les partenariats sont cruciaux, mais le paysage est brouillé entre des promesses non tenues, des produits inefficaces et des initiatives peu visibles.
LiNote n’a pas bénéficié de financements externes, est souvent exclue des listings de référence de la Silver Economie, mais c’est une société viable, stable, qui a passé tous les caps des risques. 


Nous avons 4200 utilisateurs et autour de chacun d’eux, il y a environ 5 personnes qui alimentent LiNote, ce qui porte grosso modo à 30 000 le nombre de personnes qui l’utilisent quotidiennement. Le crédit d'impôt lié à la labellisation" service à la personne" a sans doute contribué à rendre l'outil plus accessible financièrement mais n'a pas radicalement changé la progression des ventes et la perception des utilisateurs. Le plus grand défi reste la visibilité, et LiNote se maintient en offrant une solution qui apporte plus qu'elle ne coûte, même dans un secteur où la pénétration technologique demeure limitée.

par Agnès Diter 26 févr., 2024
Changer le regard sur le virus du SIDA, en faisant témoigner des personnes vivant avec le VIH
par Sylvie Favier 10 déc., 2023
Une école sur mesure pour les enfants avec des troubles du neuro-développement : le parcours votif d’une mère
AMARANTHA BARCLAY BOURGEOIS, Directrice de l'association JADE
par Agnès Diter 29 nov., 2023
Une pionnière en France dans le soutien des jeunes aidants, en leur offrant des moments de répit et d’expression
BEBECCA BILLY, coordinatrice à La pause Brindille
par Agnès Diter 16 oct., 2023
Mettre un rayon de soleil dans la vie des jeunes aidants.
LISE MOLIMARD, chef de projet Académie des AJA, association Aïda
par Damien Dubois 21 sept., 2023
Échange entre deux citoyens engagés après été touché par un cancer en tant qu'Adolescent Jeune Adulte (AJA)
par Damien Dubois 03 sept., 2023
Ou comment passer d’un « schizo-out » à la reconnaissance du statut de Médiateur santé pair
CHARLOTTE TOURMENTE, médecin, journaliste, vice-présidente de DareWomen
par Sylvie Favier 22 août, 2023
L’engagement de Charlotte, positive et volontaire, pour l’accomplissement personnel et professionnel des femmes en situation de handicap
Start-up Apo Tech Care
par Sylvie Favier 13 juil., 2023
Apo, le compagnon des malades chroniques qui veille à un suivi personnalisé et participatif de la pathologie
Show More
Share by: