FÉLICIE PETIT, fondatrice de Mon Ecole Extra-Ordinaire

Sylvie Favier • déc. 10, 2023

Une école sur mesure pour les enfants avec des troubles du neuro-développement : le parcours votif d’une mère


AMARANTHA BARCLAY BOURGEOIS

Félicie Petit

fondatrice de Mon Ecole Extra-Ordinaire (MeeO)

Dans un premier temps, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?


J'ai une quarantaine d'années, j’habite en Haute-Savoie. J’ai une formation que l’on pourrait qualifier d’éclectique, puisqu’après m’être lancée dans la philosophie, puis l'histoire de l'art, j’ai continué dans le commerce et la vente pour finir dans l'immobilier ! Donc un parcours sans lien avec l'éducation ni le médico-social.
Je suis maman de quatre enfants qui ont aujourd'hui entre seize ans et onze ans… tous extraordinaires ! L’aînée, Brune, a été diagnostiquée autiste à l’âge de 7 ans, après un parcours diagnostique long et compliqué, un parcours de culpabilité auquel beaucoup de souffrances sont associées, parce les médecins n’ont pas de solution à proposer et parce que les parents d’un enfant qui ne va pas bien sont systématiquement mis à mal. Nous sommes plongés dans une profonde solitude et nos enfants sont enterrés vivants ! 


Mais quel parent peut entendre que son enfant ne sera jamais normal ?

Ce diagnostic a provoqué chez ma fille un effondrement social - elle ne supportait plus de vivre au milieu des autres - et une explosion de difficultés sensorielles avec, notamment, une intolérance au bruit.

Comment en êtes-vous venue à imaginer une structure sur mesure pour elle ?


Elle fréquentait une école primaire d’Annecy-le-Vieux où nous habitions, où elle n’allait que 9 heures par semaine, du fait de ses nombreux autres besoins en termes d'accompagnement. Malgré tout, elle n’avançait pas et le directeur de l’école a été très clair. « On ne pourra pas l’accompagner mieux, on ne sait pas faire », m’a-t-il dit un jour, et je ne l’en remercierai jamais assez ! Parce que si l'école semblait positive du point du vue de la sociabilité - Brune y retrouvait ses petits camarades qui se montraient tous bienveillants - la communication et la vie en collectivité lui demandaient des efforts qui la mettaient dans un état de fatigue et de souffrance incommensurables.


Nous avons donc fait le choix de la scolariser à la maison. Cette année-là a été formidable : on a pris le temps qu’il fallait pour trouver les outils qui lui convenaient et tout doucement, on a levé les blocages qu’elle rencontrait dans l’apprentissage de la lecture, des mathématiques... Cependant, au mois de janvier, en regardant ses frères et sœurs partir à l'école, elle a eu cette réflexion qui a eu l’effet d’un détonateur : « C'est trop injuste, j'aimerais tellement redevenir une petite fille comme les autres ! ». J’ai pris conscience que contrairement à l’image stéréotypée que l’on a d’un enfant autiste - enfermé dans sa bulle - il a l’envie d'aller vers les autres et de vivre comme eux, mais en est simplement empêché. J’ai réalisé aussi que l'éducation est un droit fondamental dont aucun enfant ne doit être privé. 


A partir de ce moment-là, je me suis mise en quête de ce qui existait ailleurs, notamment au Canada et en Belgique, qui ont 30 ans d'avance sur la France en la matière. J’ai découvert des établissements - bien souvent des structures passerelles - que les enfants intègrent lorsqu’ils sont en rupture de communication sur les plans scolaire, familial et social, le temps de se retrouver et de renaître à autre chose. 


J’ai construit mon projet sur ces modèles et dans cette optique. Je m’en suis ouverte à Bernard Accoyer, le maire de ma commune à l’époque, qui était sensibilisé à l’autisme parce qu’avant d'être un homme public et politique, il était médecin ORL et que de nombreux enfants non verbaux avaient franchi la porte de son cabinet. Il s’est immédiatement engagé à mes côtés en mettant à ma disposition un ancien presbytère qui allait héberger Mon Ecole ExtraOrdinaire (MeeO). 



Quel a été votre parcours, dans une entreprise à la croisée de l'Education Nationale et de la Santé ?



Ç’a été à la fois compliqué et merveilleux ! Créer une école n’est pas insurmontable en soi, dès lors qu'on a un projet pédagogique recevable, qui réponde à des critères d’hygiène, de sécurité, de bonnes mœurs et de qualification des personnels.


Après avoir puisé de précieuses informations auprès de l’association Créer son école, j’ai rapidement engagé les démarches pour obtenir les autorisations des autorités locales, du rectorat, de la mairie, de la préfecture. Nous avons réalisé de gros travaux pour mettre les locaux aux normes (qui sont drastiques, s’agissant d’enfants !) et constitué une association dans laquelle nous avons embarqué des donateurs et des volontaires compétents désireux de donner du temps à la construction du projet. Je tenais beaucoup à gérer ce projet dans un cadre associatif, qui entrait en résonnance avec une culture associative familiale de longue date.



En septembre de la même année, l’école était prête à ouvrir !


Bien sûr, dès la création de MeeO, nous avons répondu à un appel à projet de l'Agence Régionale de Santé (ARS) qui nous a permis de percevoir des subventions pendant trois ans, via le Fonds d’Investissement Régional (FIR), pour la phase d'incubation du projet. A l’issue de ces trois années, un audit a conclu à l’efficacité du projet et l’ARS a souhaité le pérenniser. À sa demande, nous avons dû choisi un nouveau gestionnaire, plus solide que l’association. Nous avons signé un partenariat avec l'Ordre de Malte, à qui nous avons confié les aspects médicaux-sociaux ; MeeO a conservé la partie scolaire, sous contrat avec l'Education Nationale.


Deux ans après l'ouverture de l'école élémentaire, on a ouvert le collège, où j’enseigne moi-même. Il y avait une demande massive de continuité, notamment pour les jeunes autistes, qui avaient acquis en primaire un mode de communication qui explosait d’un coup à l’arrivée au collège. C’était déroutant pour eux, mais surtout source de violence et de harcèlement. On n’imagine pas les ravages de la stigmatisation au niveau psycho-affectif. Nos collégiens arrivent très abîmés, souvent après plusieurs mois de déscolarisation et des traitements psychiatriques. Certains ont tenté de se suicider et beaucoup connaissent des troubles alimentaires.


Je me suis découvert une vraie passion au contact de ces ados. C'est un accompagnement différent, d’une richesse inouïe. La magie de l'adolescence avec des jeunes gens qui sont tombés très bas très vite mais qui retrouvent l’envie de croquer la vie par tous les bouts dès qu’ils ont repris du poil de la bête, c'est tout simplement génial !

Quelle est l’approche de MeeO ?


L’objectif, c’est d'accueillir l'enfant dans la globalité de son besoin pour le faire évoluer. Concrètement, il s’articule autour de deux corps de métier peu habitués à travailler ensemble : les enseignants et les éducateurs spécialisés. Ce double regard est pourtant primordial parce que les enfants neuro-atypiques ont des difficultés à la fois comportementales, d’apprentissage et d'adaptation. Toutes les classes disposent de ce binôme, qui peut parfois être renforcé par une des éducatrices scolaires (qu'on appelle dans le milieu ordinaire AESH - accompagnants d'élèves en situation de handicap).
C’est le cas dans l’une des deux classes de l’école élémentaire, réservée à un petit groupe de 5 enfants qui présentent des troubles autistiques sévères ou des comorbidités, comme une épilepsie par exemple. Les éducatrices scolaires accompagnent ces enfants dans l'autonomie, l’accès à l’apprentissage scolaire, mais aussi dans tous les actes du quotidien pour les aider à dépasser leur handicap, puisque telle est la terminologie administrative. D’un point de vue éthique, cette « étiquette » me gêne un peu parce qu’elle est souvent très douloureuse, mais incontournable puisque les troubles du neuro-développement (TND) sont reconnus en France par la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH) et de ce fait, ouvrent des droits aux familles. Typiquement, l’accès à notre école élémentaire, aujourd’hui reconnue par l’ARS et l'Education Nationale, est soumis à la décision de la Commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDPAH) de la MDPH. 


La deuxième classe élémentaire regroupe des profils neuro-atypiques majoritairement complexes, c’est-à-dire toute la panoplie des TND, dont les troubles « dys », les TDAH (Trouble Déficit de l'Attention avec ou sans Hyperactivité, ndlr), etc.…  Ces enfants-là sont plus proches du système éducatif commun mais ont connu une rupture et ont besoin de temps pour retrouver leurs repères et reprendre confiance en eux. Dans cette classe, il y a une enseignante spécialisée et deux éducatrices pour une quinzaine d’enfants.


Pour maintenir un niveau d’accompagnement « haute couture », on exclut la possibilité d’en accueillir davantage. Le meilleur indicateur de notre réussite, c’est leur progression et leur épanouissement à l’extérieur de l’école. Là, on se dit qu’on a fait du bon boulot et c’est aussi motivant que gratifiant ! D’ailleurs - c’est intéressant de le souligner – lorsque j’ai communiqué dans la presse sur ce projet pour recruter, de nombreux professionnels sont venus de leur plein gré, notamment des enseignants de l'Education Nationale qui ont choisi délibérément de rejoindre MeeO. 



Comment voyez-vous l'avenir ?


L'urgence, c’est de pérenniser le collège qui aujourd'hui est une structure encore fragile, puisque portée uniquement par l’association. Il faut justifier de 5 ans d’exercice pour pouvoir demander à être sous contrat avec l’Etat et bénéficier de financements des collectivités locales. Nous devons résister encore une année ! C’est d’autant plus crucial que nous souhaitons pouvoir accueillir tous les jeunes qui en ont besoin, quelle que soit la situation financière de leurs familles. Dans le cadre de l'association, les parents participent à la hauteur de leurs possibilités, mais beaucoup sont dans des situations précaires, parce qu’avec un enfant déscolarisé, l’un des deux au moins a dû sacrifier sa vie professionnelle et ils ont été contraints de réduire la voilure. Et puis on a une magnifique perspective puisque le Président du Conseil Général souhaite intégrer MeeO au sein d’une structure publique tout près de chez nous à l’horizon 2027.


Ensuite, on a énormément de demandes de création de structures similaires dans d'autres régions. De nombreuses associations de parents et de professionnels paramédicaux (ergothérapeutes, psychomotriciens, etc.) se sont saisies du sujet et se sont fédérées pour porter des projets qui commencent à prendre forme en PACA, en Bretagne et dans le Grand Est. On réfléchit aux moyens de les concrétiser !


Enfin, nos jeunes connaissent des difficultés lors de l'entrée dans la vie active : ce sera une autre étape de notre développement.


Alors, c’est parti pour de longues années !


MeeO, c’est mon cinquième enfant, un engagement à vie ! Et quand je regarde dans le rétroviseur, je vois plus de 250 jeunes qui ont été accompagnés et qui osent envisager un avenir et des projets ! Et ça, c'est vraiment merveilleux 

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