LISE MOLIMARD, chef de projet Académie des AJA et responsable innovation de l'association Aïda

Damien Dubois • sept. 21, 2023

Échange entre deux citoyens engagés après été touché par un cancer en tant qu'Adolescent Jeune Adulte (AJA)


CELINE FERON

Lise Molimard

Chef de projet Académie des AJA, et responsable innovation, Association Aïda

Lise, nous nous connaissons bien et de nombreux parallèles pourraient être faits entre nos histoires. Peux-tu commencer par te présenter à nos lecteurs ?


J'ai 27 ans. Je viens d'avoir une petite fille, qui a presque un an. Cela n’était pas gagné d'avance après un cancer jeune. J'ai eu une tumeur rhabdoïde, assez rare avec un parcours assez complexe. J’ai malgré tout continué mes études de biologie. L’engagement associatif a été naturel et rapide après mon premier cancer et avant même ma rechute. 


Dès la fin de mes traitements, j'ai rencontré l'association « On est là ». Anne-Sophie, la présidente faisait son Tour de France des unités Adolescents et Jeunes Adultes (AJA). J’ai voulu monter une unité à Angers mais le centre n’était pas assez important pour créer une dynamique locale. Je me suis donc engagée dans l’association en tant que Community manager avec une appétence pour la vulgarisation scientifique, au regard de mes études.

 

J’ai d'abord suivi un master professeur des écoles à Angers. Juste après ma rechute, je suis partie me réorienter à Bordeaux en médiation des sciences qui regroupait tout ce que j'aimais et ce que j'expérimentais avec l'association. Progressivement, je me suis impliquée et j’ai fait plein de belles rencontres notamment lors d’un week-end. J’étais timide et je ne savais pas du tout comment j'allais être accueillie. Cela a été un déclic.


En tant qu’ancien AJA qui va commémorer ses 30 ans de diagnostic, je me reconnais beaucoup dans cette présentation. Comme pour moi, ces rencontres semblent le levier d’un engagement durable ?


Tout à fait. Je me suis beaucoup investie à « On est là » mais aussi à Bordeaux dans une collectif de vulgarisation des sciences après avoir été repérée par une responsable d'un des sites de recherche intégrés sur le cancer, les SIRIC. Je venais souvent aux événements grand public et aux groupes de travail le soir pour développer ma culture scientifique et mon réseau. Elle a accepté de me prendre en stage de Master 2 pour un poste d'assistante de communication et d'implication des patients en 2019. J’y suis restée trois ans avec cette double casquette de communicante et d’ancienne patiente. En effet, je communiquais autour des projets de recherche mais ma mission était aussi de réfléchir à l’implication des patients ; ce qui était nouveau à ce moment-là. 

Quand, dès le début de sa carrière, engagement patient et parcours professionnel s’entrecroisent, l’articulation est d’autant plus forte. Je l’ai en tout cas ressenti comme cela personnellement. La différence, avec d’autres portraits d’engagement de personnes malades à l’âge adulte qui changent de vie, est que le projet professionnel, et de vie, se construit dès le départ avec ce parcours. 


Oui. Et j'en suis bien consciente. Mon métier a toujours eu un rapport avec mon engagement, même si j’ai toujours continué des actions bénévoles en parallèle. J'ai, par exemple, été présidente de « On est là ». Ce n’est d’ailleurs pas cette partie plus politique qui m’a intéressée. J’ai préféré m’engager sur des actions concrètes ou l’animation de groupe de travail et d’événementiel.

 

Une autre étape structurante de mon parcours a été ma sélection pour le groupe de travail de la Haute Autorité de Santé pour une recommandation qui soutenait l’engagement des usagers. J’y ai rencontré de nombreuses personnes engagées dans le domaine du partenariat patient dont Olivia Gross. Cela m’a ouvert le champ des possibles, a structuré mon engagement et nourri une certaine expertise, même si je ne suis pas fan du terme de patient expert. J’ai suivi une formation à distance avec Alexandre Berkesse sur les fondements du partenariat patient. Lors du travail de fin de cycle, j’ai analysé un dispositif initié avec le SIRIC sur la création d'un comité de patients pour évaluer des projets de recherche. Grâce à ce travail, j’ai pu prendre de la hauteur sur mon action. Je regrette de ne pas avoir assez de temps ou d’énergie pour faire cela régulièrement.



Et oui à 25 ans, nous avons toujours plein d’envies et de projets…


Tu ne crois pas si bien dire. En 2022, j’ai voulu quitter mon boulot et Bordeaux pour aller à Rennes. Mon conjoint a été assez fou pour me dire oui ; d’autant que j’ai appris au moment du départ que j’étais enceinte. Il s’agit d’un autre engagement, d’une autre histoire. Nous avons à peine hésité. En arrivant, j’ai eu la chance de trouver un poste de chargée de mission pour une association de professionnels de santé libéraux. J’y faisais de la communication et développe l’implication des usagers dans les soins primaires et les maisons de santé. Je voulais un travail dans le domaine du partenariat, pas forcément en cancérologie ou en science mais rester dans la santé. J’y ai découvert une autre manière de penser et de collaborer que dans le monde de la recherche. Là aussi, cette expérience est très enrichissante.

 

En parallèle, Léa Moukanas, de l'association Aïda m’a proposé de gérer un projet émergent d’accompagnement des jeunes malades qui ont envie de s'engager sans savoir comment, dans quel cadre ? Avec quelle limite ? Quel accompagnement ? L’association ressentait aussi le besoin de pouvoir donner la parole à des jeunes directement concernés. Léa le dit elle-même : elle est une proche, qui n’a pas été malade. Nous avions aussi identifié le besoin de représenter les AJA dans les différentes instances, dans les groupes de travail.

CNAO

Je l’ai constaté déjà à l’époque de Jeunes Solidarité Cancer, association qui soutenait les AJA dans les années 2000/2010, il n’y a pas tant de jeunes qui s’engagent dans la longueur, à ce niveau d’implication.


Oui, dans ces groupes, je fais baisser la moyenne d’âge et petit à petit, les organisateurs ont compris ce que je pouvais concrètement apporter. Je pense qu’une des raisons du manque d’engagement est une méconnaissance. Tout le monde nous parle de tourner la page, de vie professionnelle, de vie personnelle qui reprend le dessus. Donc une partie de l’ouverture de l’engagement des jeunes est de faire comprendre que c’est possible et compatible avec le reste, si on en a envie.


Léa est donc venue me chercher pour monter ce projet avec elle. Nous nous connaissions depuis un moment avec nos casquettes associatives. Nous n’avons d’ailleurs pas toujours eu la même vision dans les modalités d’action avec et pour les jeunes. Avec ce projet, elle a voulu agir avec les principaux concernés. Leur engagement va renforcer les missions de l'association, et donner toujours plus de sens à notre action. Ce projet de faire une formation pour les jeunes

était -et est toujours- très stimulant intellectuellement. C’est d’ailleurs sans doute ce qui m’avait manqué quand je suis sortie des traitements.


 

Et je suis très heureux que ce projet ait abouti. Il est dans la continuité de ce que nous voulions à Jeunes Solidarité Cancer et des échanges que nous avons eus ensemble depuis. Comment t’es-tu investie dans sa construction ?


Pour la première édition, j’étais freelance un jour par semaine pour l’Académie des AJA en parallèle de mon travail salarié. Au démarrage, nous parlions de patient expert, mais cette notion ne me plaisait pas.

Léa m’a laissé beaucoup d'autonomie avec des bénévoles, des anciens patients, des professionnels de santé intéressés. Elle a été très disponible pour les orientations stratégiques et faire bénéficier de son réseau. Nous avons commencé à y travailler concrètement en octobre 2021 pour prendre le temps aussi de trouver les bons partenaires. Avec Sciences Po, nous avons trouvé une articulation idéale pour monter ce qui est devenu l’Académie des AJA, avec une première promotion qui a démarré en février 2023. Au-delà de la formation, nous voulons créer une communauté. La formation « Se découvrir pour agir : être jeune patient et s'engager pour la santé » en est le socle théorique. Il ne s’agit pas de sortir avec un diplôme ou un métier. Nous espérons que progressivement, cette communauté se transforme en communauté de pratique.

J’ai eu le plaisir d’intervenir à la clôture en juin et de constater la motivation de ces jeunes. Comment vois-tu se structurer l’engagement patient, en particulier des jeunes ?


Cette motivation devrait se confirmer avec la seconde promotion qui démarre en janvier et dans laquelle tu interviendras à nouveau. Je pense que le système de santé n’est pas prêt à intégrer de nombreux patients engagés rémunérés même si les acteurs de santé sont de plus en plus conscients de la pertinence du partenariat patient. Dans les faits, peu de postes existent. La situation est émergente et la question se pose de la juste rémunération. Quelle grille au regard du salaire des différents professionnels de santé ? Sans compter le blocage qui subsiste chez certains professionnels.

 

Avec l’Académie, nous espérons que les participants mettent leur expérience de vie avec la maladie à profit globalement dans leur vie professionnelle ou personnelle, que ça leur permette de développer d'autres compétences. L’Académie est un moyen de se développer personnellement, de considérer cette expérience de vie dans un parcours global, car cela a réellement été un bouleversement de plus dans une période de construction et de transition qu’est l’âge ado-jeune adulte. Et s’ils ont envie de s’engager, nous pourrons les soutenir, les orienter, en leur rappelant bien que cela n’est pas forcément une activité rémunérée.

 


Comment tu te projettes dans les années à venir, au sein de l'Académie des AJA et au-delà ?


Cet engagement peut être fatigant. Régulièrement, je me pose en me demandant si j’ai envie de continuer, en questionnant mes motivations et ma pertinence. Et je reste car je suis certaine de l’utilité du partenariat patient. L'Académie est récente et il faut encore convaincre au-delà de notre cercle bienveillant de l’apport pour les AJA, pour les parcours. Quoi qu’il arrive je resterai engagée mais peut-être à d'autres niveaux, dans l'école de ma fille par exemple ou auprès des parents d'élèves. Pour l’instant, il y a encore tant à faire autour de cette Académie des AJA. Nous voulons sortir du champ de la cancérologie pour l’élargir aux maladies chroniques. Tant que j'ai envie et que je vois comment je peux améliorer le projet, je reste. Le jour où ça ne correspondra plus à ce que je cherche, je passerai la main. Aujourd’hui, j’ai d’ailleurs accepté un poste en tant que responsable innovation pour l’association Aïda, afin de pérenniser ce projet mais aussi en développer d’autres, toujours avec cette volonté de capitaliser sur le pouvoir d’agir des anciens patients.


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