MURIELLE SEVENNE, Aidante et patiente experte partenaire

Sylvie Favier • mai 02, 2022

Faire de l’épreuve de la maladie un levier de (re)connaissance et de partenariat


ESTELLE DUBOIS

Murielle Sévenne

Aidante, patiente experte partenaire
et assistante sociale du travail

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots à nos lecteurs ?


J’ai 54 ans, je suis mariée, mère de trois grands enfants, je viens d’un petit village de la Loire situé entre Saint-Etienne, Lyon et Clermont Ferrand. Déjà tournée vers les autres de par ma profession d’assistante sociale, j’ai rapidement endossé une deuxième casquette d’aidante auprès de mes beaux-parents d’abord, puis de mon père et de ma mère. Tous sont décédés d’un cancer.


A 44 ans, j’ai moi-même été victime d’un cancer lobulaire du sein, très virulent ; je suis alors devenue à mon tour patiente. J’ai dû me glisser dans une armure pour rester debout dans un contexte familial difficile où je me suis sentie très seule (un mari qui se réfugiait dans le travail, des enfants - dont un HPI – un atteint de troubles dyspraxiques et un en plein coming out - que je devais protéger sans leur mentir), et faire face aux traitements de la maladie, qui seront très lourds : double mastectomie, chimiothérapie, radiothérapie, double reconstruction par lambeaux dorsaux qui nécessitera 7 chirurgies , hormonothérapie pendant 10 ans et tout récemment, ablation de l’utérus, des trompes et des ovaires. Un véritable tsunami dans un corps de femme désormais mutilé.


Alors que j’étais déjà dévastée physiquement et psychologiquement par les traitements, un cumul de circonstances désastreuses - retour au travail trop précoce, rejet de ma demande de temps partiel thérapeutique par la CPAM, récidive du cancer de ma mère… - m’a conduite directement au burn out. Dans cette descente aux enfers, j’ai perdu mon travail, je me suis retrouvée en invalidité, je me suis séparée de mon mari, … j’ai envisagé le pire. Une véritable traversée du désert, dans laquelle je mesure aujourd’hui ma part de responsabilité : en voulant me montrer toujours forte, je me suis privée de l’aide dont j’avais besoin.

Comment êtes-vous parvenue à vous reconnecter à vos ressources et à prendre un nouveau départ ?


Deux éléments m’ont fait rebasculer du côté de la vie. D’abord la conscience que j’étais en vie et que cette vie, je la devais aux médecins qui me l’avaient sauvée, et que je devais au contraire la préserver, mais aussi embellir. Ensuite le pardon que j’ai pu élaborer et accorder à mon mari après avoir réalisé qu’il était, comme notre fils, doté d’un profil HPI. Le puzzle éclaté qu’était ma vie a alors pu commencer à lentement se reconstituer.

C’est un séjour réparateur post cancer sur un voilier avec l’association Entre ciel et mer qui m’a permis de redéfinir mon cap, de donner un sens à mon parcours et de faire le premier pas vers ma nouvelle identité, celle de patiente experte.


J’ai intégré l’Université des patients à la faculté d’Aix Marseille à la Timone où j’ai obtenu un Certificat Universitaire de patient expert en éducation thérapeutique du patient en 2018, puis un Diplôme Universitaire de patient expert et maladie chronique en 2021.  

J’ai pris du recul avec mon propre parcours au contact des nombreuses battantes que j’y ai rencontré, toutes engagées dans une lutte au quotidien avec leur maladie chronique et désireuses d’apporter leur soutien à d’autres patients. Une forte émulation émane alors de notre groupe de patients experts, des amitiés se créent, des associations naissent, des volontés se mêlent : cette force de vie devient notre point commun, notre ancrage à tous ; elle a été l’instrument de ma résilience. 


De ces rencontres est née l’association Restaure Santé accompagnement et vie, une initiative que j’ai développée conjointement avec d’autres patientes chroniques, toutes formées à l’ETP, qui propose aux malades et aidants d'impulser une façon d'agir pour leur santé.

 

 

Qu’est-ce qui vous a amenée à évoluer vers la recherche ?


Vers la fin des années 2010, le modèle canadien du patient partenaire, le Montreal Model, commençait à arriver en France. Des portes s’ouvraient aux patients experts - partenaires, outre celles de l’ETP, avec la possibilité de s’impliquer dans la formation des professionnels de santé, la recherche, la politique de territorialisation de la santé, etc. Je me suis retrouvée dans les enjeux de ces partenariats entre patients et professionnels de la santé. 


Pour intégrer ces différents domaines et en être co-acteur, il fallait s’inscrire dans une démarche inclusive et apprendre des autres professionnels de santé. Je me suis inscrite sur des plateformes de recueil de données, notamment celle des Seintinelles, aux côtés de Guillemette Jacob, dont une des valeurs fondatrices est la collaboration entre chercheurs et citoyens. Sous son impulsion, j’ai rejoint le groupe de patients de l’AFCROs qui regroupe des sociétés de services et de conseil en développement pharmaceutique et médical, et participé avec des scientifiques à la construction d’une formation destinée aux associations de patients qui souhaitent s’engager dans le champ de la recherche.


Il y a six mois, j’ai intégré un projet de recherche en Sciences Humaines et Sociales toujours en cours : PERCE-NEIGE (PERCEptions des soignants concernant les troubles cognitifs liés aux traitements du cancer : pour uNE amElioration de la prise en charGe des patiEnts), piloté par Marie Préau de l’Université Lumière Lyon 2 et financée par le CLARA (Cancéropôle Lyon Auvergne Rhône-Alpes). Dans ce cadre, j’ai suivi en binôme patient-chercheur une formation / action, portée par OZ’IRIS Santé et le CLARA. Un autre projet de recherche, sur la perception de la maladie par les proches, va bientôt démarrer avec la même équipe.


Enfin, pour être utile aux patientes proches de chez moi, je suis aussi patiente partenaire auprès du SIS (Saint-Etienne Institut du Sein) où je co-construis et co-anime avec l’infirmière coordinatrice des ateliers entre patientes autour de thèmes prédéfinis, avec le soutien et les outils fournis par l’UTEP (Unité transversale pour l'éducation du patient) de la Loire.


Que j’intervienne après ou pendant la maladie, ce rôle de patiente experte – partenaire me tient à cœur parce qu’il donne un sens à mon parcours de patiente, concrétise mon projet de vie, en faisant de ma volonté de faire de l’épreuve que j’ai traversée, un atout pour améliorer le parcours patient dans toutes les dimensions où mon expertise peut apporter un éclairage pertinent : En tant que patiente – chercheuse dans des missions d’apport de mes savoirs expérientiels, d’aide à l’analyse des entretiens, de valorisation et de dissémination des résultats ; en tant que pair – aidante en proposant aux patientes un accompagnement individuel ou dans un espace de parole sur des questions aussi sensibles qu’essentielles (sexualité, angoisse de mourir, rapport aux enfants, retour au travail,…).

J’ai connu la détresse de devoir me reconstruire dans un « no man’s land » entre le constat d’être « laissée en vie » - et dans le désarroi d’être sans réponse à la question : oui mais dans quelle vie ? Je veux par mon accompagnement aider les patients à trouver leurs propres réponses.

De nouvelles perspectives, dans un avenir proche ?


Il y a quelques mois, j’ai rencontré virtuellement Karine Barelle, une autre patiente partenaire animée par les mêmes valeurs et motivations que moi. Nous avons décidé de créer ensemble un projet de plateforme nationale de patients partenaires. L’objectif est de répondre à un besoin qui est la mise en réseau des professionnels du champ de la santé avec les patients experts - partenaires pour leur donner de la visibilité et faciliter les partenariats. Car nombre d’entre eux sont éparpillés dans une multitude d’initiatives individuelles, dans des associations de patients dont la très grande majorité ne sont pas agréées par le ministère des Solidarités et de la Santé et ne sont donc pas référencées par le FAS (France Assos Santé) ; ces patients experts-partenaires ne se sentent donc pas représentés, ni fédérés dans un statut ou une structure et ne sont donc pas visibles ni accessibles par les acteurs du champ de la santé dont celui de la recherche.


De plus ce manque de statut rajoute de la vulnérabilité à celle infligée par la maladie (sociale, souvent financière et sur leur employabilité).

Beaucoup reste à faire pour la création de cette plateforme, quant à la conformité au RGPD notamment, au modèle de mise en relation et au critère de rémunération, mais le projet devrait voir le jour prochainement ; nous savons que nous sommes très attendues.

 

Avec Restaure Santé nous travaillons sur un projet qui souhaite proposer aux malades chroniques travailleurs, rendus vulnérables au regard de leur emploi du fait de leur pathologie, une opportunité pour préserver leur employabilité.

 

Je travaille aussi, avec un Collectif réduit, composé par des patients experts-partenaires indépendants, sur une proposition de statut du patient partenaire, afin que notre expertise soit reconnue dans un statut, avec des préconisations portées auprès du ministère des Solidarités et de la Santé, notamment la reconnaissance de notre formation du Diplôme Universitaire auprès du RNCP (Répertoire National de la Certification Professionnelle).

par Agnès Diter 26 févr., 2024
Changer le regard sur le virus du SIDA, en faisant témoigner des personnes vivant avec le VIH
par Sylvie Favier 04 févr., 2024
La technologie à la portée de l’extrême vieillesse
par Sylvie Favier 10 déc., 2023
Une école sur mesure pour les enfants avec des troubles du neuro-développement : le parcours votif d’une mère
AMARANTHA BARCLAY BOURGEOIS, Directrice de l'association JADE
par Agnès Diter 29 nov., 2023
Une pionnière en France dans le soutien des jeunes aidants, en leur offrant des moments de répit et d’expression
BEBECCA BILLY, coordinatrice à La pause Brindille
par Agnès Diter 16 oct., 2023
Mettre un rayon de soleil dans la vie des jeunes aidants.
LISE MOLIMARD, chef de projet Académie des AJA, association Aïda
par Damien Dubois 21 sept., 2023
Échange entre deux citoyens engagés après été touché par un cancer en tant qu'Adolescent Jeune Adulte (AJA)
par Damien Dubois 03 sept., 2023
Ou comment passer d’un « schizo-out » à la reconnaissance du statut de Médiateur santé pair
CHARLOTTE TOURMENTE, médecin, journaliste, vice-présidente de DareWomen
par Sylvie Favier 22 août, 2023
L’engagement de Charlotte, positive et volontaire, pour l’accomplissement personnel et professionnel des femmes en situation de handicap
Show More
Share by: