SEBASTIEN JARICOT, fondateur de SantéNet

Damien Dubois • avr. 20, 2021

Le télésuivi de la douleur repensé par un patient

Concevoir une application depuis son lit d’hôpital après un accident de moto


Sébastien JARICOT

Fondateur de santé net

Sébastien, pourriez-vous vous présenter en quelques lignes ? 

J’ai 43 ans. J’ai une formation de communication audiovisuelle, mise à profit au début de ma carrière autour des sports extrêmes, puis dans des documentaires pour la télévision pour « Objets de curiosité », une émission pour laquelle je cherchais des curiosités naturelles. J’ai parcouru le monde à la recherche de fossiles, météorites, squelettes d'animaux. C’était exaltant. J’adorais mon métier. Cette période de ma vie s'est arrêtée du jour au lendemain, il y a 6 ans, avec un accident de moto violent qui m’a transformé en patient et a entraîné quasiment 4 ans de soins continus.

Ces années ont été sombres. J'ai eu des fortes douleurs traumatiques après les nombreuses opérations et complications. Pour autant, ces douleurs aiguës peuvent être prises en charge ; les solutions médicamenteuses existent. Et aujourd’hui, même si je vais bien, j’ai toujours des douleurs chroniques, neuropathiques qui -elles- sont plus difficiles à apprivoiser et gérer par nous patients mais aussi par les professionnels. La douleur, même chronique, a quelque chose de très instantanée. On vit au quotidien avec mais elle va vraiment déranger par pics, par phases.
Dans ce parcours, j’ai essayé de puiser dans mes ressources pour rebondir. Je me suis dit que je ne devais pas passer à côté de ma vie ; que je pouvais continuer à apprendre et surtout que mon vécu pouvait me servir d'expertise.

Parlez-nous de votre projet

S’exprimer sur sa propre douleur est assez particulier. Certes, il y a des échelles -celle de 0 à 10 ou encore celle du visage- pour structurer l’expression de chacun. Pour autant, elles ne prennent pas totalement en compte les aspects émotionnels et les caractéristiques individuelles. Par exemple, dans mon éducation et mon parcours, on m’a appris à ne pas me plaindre. Il peut donc être compliqué d’expliquer ses douleurs chroniques, quand on ne dort pas bien la nuit, que l'on n'est pas bien dans ses baskets… Quand se plaindre n’est pas naturel, il est difficile de faire le tri, de discerner ce qui est à dire, de ce qui peut être utile au médecin en face de soi.

Dans le même temps, j’ai compris que les patients sont ceux qui savent le mieux parler d’eux-mêmes. Sur mon lit d'hôpital, j'ai réalisé qu’il était possible d’améliorer la prise en charge de la douleur avec un simple smartphone. Cette idée m'a lancé dans l'entreprenariat auquel je n’étais pas du tout prédestiné. Je l’ai confronté aux soignants, à mes proches. J’ai beaucoup de professionnels de santé autour de moi, à commencer par ma femme. En effet, je voulais dès le départ que l’outil soit aussi utile aux professionnels.

En regardant l’existant, j’ai vu de nombreuses applis bien faites pour les patients mais qui ne permettaient pas une utilisation efficace pour les soignants ou, à l’inverse, construites par des professionnels mais pas adaptées aux usages et besoins des patients. En unissant mon expérience de patient et l’expertise de quelques soignants, nous avons bâti un produit qui permet au patient de s'exprimer, au jour le jour, sur son application mobile et de structurer cette information pour qu’elle soit utile au soignant, exploitable pour la bonne prise de décision. J'ai travaillé avec un centre anti-douleur à Lyon, avec un algologue sensible à la dimension psychologique de la douleur et avec des associations comme l’AFVD (Association Francophone pour Vaincre les Douleurs, et ses équivalents suisses et québécois. L'application va permettre d'adapter le traitement à la hausse ou à la baisse au plus près des besoins réels objectivés du patient.

Avec une expérience dans le design, j’ai aussi voulu insister sur l’importance de la forme, de l’ergonomie, de l’adaptation aux usages pour faciliter au maximum l’auto-évaluation du patient sur l'ensemble des facteurs qui peuvent affecter sa douleur. Il est toujours plus facile d’ajouter des éléments, des options. Or, l’enjeu était justement de simplifier, simplifier, simplifier.



A quel public est destiné votre projet ?

A quel public est destiné votre projet ? La finalité est bien de bénéficier au soin des patients. On estime que 15 à 20 millions d’entre eux souffrent tous les jours dont 70 % déclarent être mal accompagné alors que les solutions;

antalgiques existent. La moitié des personnes douloureuse chroniques vont passer un jour ou l'autre par des phases anxieuses ou dépressives.

Pour autant, dans notre modèle économique, nous ne nous adressons pas directement à eux. Nous avons choisi un modèle de marque blanche. Ce n’est donc pas un outil de plus pour les soignants mais une option qui s’intègre de manière transparente au logiciel métier des professionnels. Les informations transmises par le patient remontent directement dans l’outil utilisé au quotidien dans les services. Ce point était essentiel pour être en cohérence aux usages et aux contraintes de ces professionnels.

Nous nous adressons donc directement aux éditeurs de logiciels, ou aux groupes de mutuelles qui peuvent intégrer la solution dans leurs outils d’aide aux patients douloureux chroniques, pour limiter leur errance thérapeutique par exemple. Nous commençons actuellement des phases de test avec des grandes mutuelles. Nous sommes ouverts en termes de partenariats car nous voulons amener l'application au plus grand nombre de patients possible.



Qu’avez- vous envie de partager de votre expérience ?

Dans le monde des start-ups, le storytelling est important. Quand je dis que j'ai eu l'idée sur mon lit d'hôpital, j'attire l'attention assez rapidement. Connaître son produit et avoir l'expérience de ce dont on parle, est une clé de la réussite des start-up. J’ai fait un peu de mentorat dans une association, H'up entrepreneurs, qui aide les entrepreneurs en situation de handicap, en apportant cette vision de patient entrepreneur. Il faut composer avec le regard des autres, avec ces propres possibilités, physiques, pratiques, qui ne sont pas des limites mais un cadre des possibles. Cela permet de mettre des solutions en face, de s'entourer. En France, avec la Banque Publique d’Investissement, les structures d'accompagnement, il y a moyen de ne pas rester seul dans son coin.

Il est nécessaire aussi de garder sa lucidité. Au début, quand je pitchais, tout le monde adorait. En même temps, qui va dire à une personne un peu handicapée et passionnée que son projet est nul… Il faut se méfier également du regard trop bienveillant qui n’est pas toujours engageant et constructif.

SantéNet est aujourd’hui, après plus de deux ans de développement, mon activité principale et j’espère vite pouvoir en vivre pleinement. J’ai un peu hésité par rapport à mon ancienne vie professionnelle. Je pratiquais un métier passion qui me remplissait à tous les niveaux. Il m’arrive encore de douter mais là, j’ai construit un projet sociétal, auquel je crois. J'espère, grâce à mon travail, éviter à d’autres ce par quoi je suis passé.


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