SANDRINE DUGAST, patiente partenaire et co-fondatrice de Kocoon

Sylvie Favier • 6 octobre 2022

Dédié aux femmes touchées par le cancer, un cocon où se déploient toutes les dimensions du soutien par les pairs


Jan-Marc Charrel

Sandrine Dugast
Patiente partenaire et co-fondatrice de Kocoon

Dans un premier temps, pouvez-vous nous expliquer brièvement votre parcours ?

J'ai 48 ans, je suis mariée et maman de trois garçons adolescents. J'ai une formation en qualité agroalimentaire que j’ai suivie en partie à l’étranger. J’ai rencontré mon mari en Ecosse, et après avoir pas mal bourlingué pendant notre jeunesse, nous sommes partis vivre à Alicante, où nous avons vécu 14 ans. Je travaillais dans une entreprise d’aliments de longue conservation qui produisait des rations militaires, lui dans l’informatique. En 2011, avec la crise économique, mon mari a perdu son emploi. Nous avons alors fait le choix, avec nos trois enfants, de revenir en France, et nous nous sommes installés en Vendée, dans un petit village près de La Roche-sur-Yon. En 2013, j’ai créé une microentreprise. Je propose aux entreprises du secteur agroalimentaire un service d’aide à la préparation d’appels d’offre, majoritairement à l’international.

Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, jusqu’en 2014 où, à la suite d’un banal examen gynécologique, on m’a diagnostiqué un cancer du sein… J’étais jeune, je menais une vie saine, je n’avais aucun antécédent familial… L’annonce de la maladie m’a propulsée dans un monde qui m’était totalement inconnu. Après une mastectomie, j’ai été traitée par chimiothérapie, puis radiothérapie, puis – c’est encore le cas aujourd’hui – par hormonothérapie. Mais le pire était à venir… En 2015, j’ai été victime d’une complication liée à la chimiothérapie : une grave infection qui m’a valu l’ablation en urgence du côlon sigmoïde et le port d’une poche de stomie. Vivre avec cette seconde mutilation a été très difficile à accepter ; malgré le soutien familial dont je bénéficiais, j’ai traversé une période extrêmement sombre… Et puis, en novembre 2015, il y a eu les attentats à Paris. Cette actualité a été un électrochoc brutal et un puissant facteur de rebond ; je ne me suis pas senti le droit de lâcher alors que des gens mouraient pour avoir simplement pris un verre en terrasse.



Comment vous êtes-vous engagée dans l’action associative ?


A ce stade, j’étais incapable de rejoindre une association. En fait, j’ai partagé un post sur Facebook à la suite d’échanges sur les effets sévères de la chimiothérapie. J’ai alors été contactée par Céline Lis-Raoux, qui m’a demandé de témoigner pour Rose Magazine. Elle m’a parlé de l’Université des patients et j’ai très vite été convaincue d’avoir trouvé ma voie. Dès que j’y suis entrée en 2017, j’ai compris combien l’accompagnement d’autrui reposait sur le recul que l’on était capable de prendre sur soi-même. J’ai appris à gommer les émotions que j’avais tant de mal à déconnecter de mon histoire. Il m’a fallu deux ans ; ce temps est incompressible pour acquérir la capacité à transformer son expérience au bénéfice des autres.
 
À ce moment-là, je recevais des soins chez une kinésithérapeute, avec qui j’ai noué des liens d’amitié très forts. Nous étions d’accord sur la carence de l’offre en soins de support dans notre territoire très rural de Vendée, et des idées ont commencé à germer… A deux reprises, nous avons réuni dans des cafés-partages quelques femmes de sa patientèle touchées par le cancer, et recueilli les besoins qu’elles exprimaient. C’est ainsi qu’en 2019, nous avons cofondé Kocoon. 

www.collectiftriplettesroses.com

Quelles missions vous êtes-vous fixées et quelles valeurs portez-vous au travers de Kocoon ?


Ce qui émergeait des cafés-partages, c’était surtout la crainte de sortir seule et la difficulté à se motiver pour le sport ou à le concilier avec les douleurs et la fatigue. Nous avons donc commencé par organiser des rencontres et de l’activité physique adaptée, à l’extérieur et avec une coach bénévole. Cette première phase a permis de créer du lien entre toutes. L’association s’est ensuite installée dans des espaces libres de la maison où mon amie exerce. Nous y avons aménagé un salon, grâce à des dons et un peu d’huile de coude ! Puis nous avons cherché des intervenants pour ouvrir de nouveaux ateliers de soins de support, notamment ceux inclus dans le panier de l’INCa : socio-esthétique, nutrition, sophrologie…


Nous nous sommes développées sur un modèle de pair-aidance et de co-construction, c’est-à-dire que l’expérience de chacune est une plus-value dans l’accompagnement des autres. Rien n’est figé, chacune est libre de proposer et d’animer un atelier en fonction de ses talents, de ses envies. Cela permet à la fois de diversifier notre offre avec par exemple des ateliers créatifs de couture, des ateliers linguistiques…, de nous enrichir mutuellement, et de contribuer à la reconstruction de ces femmes, en renforçant leur sentiment d’utilité et d’appartenance au collectif de l’association. En accompagnant personnellement chaque femme et chaque initiative, je restitue ce que j’ai reçu. C’est un cercle vertueux qui donne du sens à ce qui m’est arrivé ; ce sont aussi les valeurs que je veux transmettre à mes enfants.

Quel bilan faites-vous à ce jour ?


Notre bilan fin 2019 était très encourageant. Lorsqu’est apparue la pandémie de Covid, on a multiplié les cafés-partages par Zoom, pour accompagner notamment les femmes qui étaient en cours de traitement et traversaient de grands moments de solitude. Dès que les confinements ont été levés, nous avons repris nos activités de manière adaptée, en extérieur exclusivement, et je vous assure qu’en dépit des rincées qu’on a pu essuyer, l’enthousiasme y était ! Aujourd’hui, avec 70 adhérentes, le dynamisme qu’elles nous reconnaissent et de nouvelles inscriptions chaque mois, nous avons atteint un rythme de 4 ateliers par semaine. L’un des moteurs de notre évolution a été la prescription médicale d’activité physique. Nous avons beaucoup œuvré à faire connaître ce dispositif.



Des objectifs pour les mois ou les années à venir ?


Nous sommes sollicitées dans un rayon de plus en plus large dans le département et pourrions être amenées à nous délocaliser sur des actions ponctuelles. Grâce à un financement que nous avons obtenu de la Fondation de France, nous réfléchissons à un format hybride qui nous permettrait de toucher davantage de femmes. Même si notre ambition n’est pas de nous développer à grande échelle, pour protéger ce lien privilégié auquel je tiens particulièrement et qui se crée grâce à un accueil personnalisé et aux techniques d’écoute et d’appréhension qui sont celles des patients partenaires. Nous voudrions déjà ouvrir notre local, un ou deux jours par semaine, en dehors des plages réservées aux ateliers, pour renforcer encore le lien social et faire de Kocoon un lieu de répit où l’on peut se retrouver spontanément autour d’un café.
 
A plus court terme, il faut faire connaître l’association et lever des fonds ; le montant des adhésions (25 €) et de la participation aux ateliers (2,50 €) ne suffit évidemment pas à pérenniser notre action. Si nous pouvons compter sur le soutien des entreprises et collectivités locales de notre territoire, Octobre Rose reste un vecteur médiatique important que nous nous devons d’exploiter. Bien que Kocoon s’en soit tenue à l’écart jusqu’ici pour ne pas être identifiée au seul cancer du sein, nous allons participer à un maximum de manifestations. 
Et la priorité des priorités, dès la fin 2022, c'est un nouveau site internet, qu’une entreprise vendéenne va concevoir pour nous dans le cadre d’un mécénat de compétence.

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