PERSA ORY, proche-aidant et co-formatrice

Caroline Bee • oct. 17, 2022

Proche aidante d’un enfant polyhandicapé et co-formatrice à RePairs Aidants


Eric Balez

Persa Ory

@GPFpolyhandicap

Est-ce que vous pouvez vous présenter en quelques mots à nos lecteurs ? 


Je suis mère d'un jeune homme polyhandicapé. Je suis également son aidante… J’ai été obligée d'arrêter mon activité professionnelle pour m’occuper de lui, devenu épileptique trois jours après sa naissance. Dix-neuf ans auparavant, à part l’entraide familiale, aucune autre solution n'était pour moi possible. Mon mari et moi, nous nous sommes installés loin de nos familles respectives. Lui est Lorrain, moi je suis grecque, alors il a fallu se débrouiller seuls !



Le polyhandicap exige une aide humaine constante, la personne polyhandicapée n’ayant aucune autonomie. Élever trois enfants dont un polyhandicapé représente une charge très lourde, physiquement et moralement. Je suis contente de répondre à votre interview. Je suis restée très isolée pendant des années. Je n’arrivais pas à parler de mes difficultés, ni à exprimer mes besoins. J’ai sombré dans la dépression. J’ai été victime d’une errance diagnostique, car je souffre d’un trouble bipolaire diagnostiqué onze années après mon premier burn-out. Aujourd’hui, je me considère comme une rescapée. J'ai été prise en charge dans un centre expert où j’ai suivi un programme d'éducation thérapeutique. Auparavant, j'ignorais que cette pratique existait ! Un nouveau monde s'est révélé à moi… si cela existait pour les troubles psychiatriques, pourquoi alors ne pas s’en inspirer pour le polyhandicap ? Alors, j’ai suivi un certificat d'éducation thérapeutique du patient en tant qu’aidante d’une personne polyhandicapée et patiente d’un trouble bipolaire.

Justement, à quoi ressemble la journée d'une maman qui est mère de 3 enfants dont un polyhandicapé ?


Le polyhandicap de mon fils est la conséquence d’une maladie génétique très rare. J’ai passé des années à accepter ce qui est arrivé. J’ai appris à m’adapter et à m’organiser au jour le jour, quitte à mettre ma propre vie en arrière-plan. Une fois que tout est fait, il reste un tout petit peu de temps pour soi. Pendant sept ans, j'étais en permanence avec lui. J'étais épuisée. Je n’avais aucun accompagnement à la maison. La prestation de compensation du handicap (PCH) aide humaine n’existait pas et on n’avait pas les moyens pour une aide à la maison. Nous habitions dans un petit village sans aucun service, à part l’école. J’ai demandé pour mon enfant une journée par semaine à la maternelle, mais le directeur m’a fermé la porte au nez !

Quand nous avons eu enfin une place disponible en établissement spécialisé, cela m’a fait tout drôle, car j’avais appris à vivre en permanence avec mon enfant et à m’occuper de tout : son développement psychomoteur, la surveillance thérapeutique (il est épileptique), le suivi médical et paramédical… Je me suis même dit que ce n'était pas possible de le laisser aux mains d’autres personnes ! Qui savait mieux que moi s’occuper de mon enfant ? Ils n’ont pas gagné ma confiance, car notre accompagnement a été insuffisant. Le personnel n’est pas formé pour savoir se « mettre à la place » des parents, pour comprendre le parcours que l’enfant et sa famille ont eu précédemment. Nous avons pourtant des ressources à apporter, notamment sur ce que nous avons mis en place pendant des années. 



Comment s'est construit votre engagement de pair et de proche aidante ? 



Cela s’est fait progressivement, et cela a été déclenché par les difficultés que j’ai rencontrées avec les professionnels du médico-social. Ce qu’ils proposaient ne me convenait pas assez. J’ai accepté de laisser partir mon fils de la maison un jour par semaine, puis deux, l'année suivante, etc. Cela a pris du temps d'apprendre à faire confiance. J'avais besoin aussi de me faire accepter pas seulement en tant que mère, mais en tant que quelqu'un qui est devenu par obligation, quasiment un professionnel du polyhandicap. Quand un enfant est diagnostiqué avec un trouble du développement, il peut intégrer le CAMSP[1], quand on a la chance d’en avoir un près de son domicile et une place libre… Mon fils a eu sa première séance avec une kiné à l'âge de 15 mois. Je lui ai expliqué tout ce que j’avais mis en place depuis sa naissance pour stimuler son développement et améliorer le retard moteur, comment j’avais mobilisé tout le savoir de mes deux années d’études en science physique et sportive quinze années auparavant… Et au lieu de me donner son approbation, elle s’est exclamée : « Mais Madame, vous êtes maman, gardez votre place ! » Il fallait que les choses changent, dans le sens d’un vrai partenariat parents-proches aidants / professionnels de santé.


 
[1] Centre d’accueil médico-social précoce, de 0 à 6 ans

www.collectiftriplettesroses.com

Qu’est-ce que RePairs Aidants au sein de APF France Handicap et quel rôle y tenez-vous ?


Il s’agit d’actions de sensibilisation et de formation, totalement gratuites, sur des thèmes qui concernent la vie des aidants et sont accessibles à toute personne se trouvant en posture d’aidant: parents, enfants, frères, sœurs...je me suis engagée dans l’ action “RePairs Aidants” en 2018. Le projet a débuté à l’initiative de l’APF France handicap. Une convention avec le CNSA[1] assure le financement. Les formations se déroulent en présentiel ou distanciel. Il y a 10 modules de formation coanimés par un binôme constitué d’un professionnel spécialiste selon le thème et d’un pair formateur. J’ai donc été formée à la coanimation.


J’aime l’idée que le partage de mon expérience peut aider d’autres aidants. J’aime mon rôle de pair formateur, facilitateur au sein du groupe. Un climat de confiance s’installe rapidement, la parole se libère… et laisse la place à la pair émulation, la transmission de l’expérience du vécu par des personnes vivant des situations similaires…il y a chaque fois une dynamique incroyable. C’est très émouvant. Cet engagement a changé ma vie. Je suis sortie de mon isolement et j'ai trouvé ma place de partenaire dans la prise en charge du handicap et de la maladie. C'est très valorisant. 

 


Avez-vous d’autres activités ?


Oui. Je suis également membre du Groupe Polyhandicap France, qui coordonne les actions autour du polyhandicap et réunit des professionnels, des experts et des parents, dans un seul but, améliorer la vie des personnes polyhandicapées. 

Pour les aidants, le confinement a révélé rapidement la faiblesse du système de soins et du maintien à domicile. Notre fils polyhandicapé est resté pendant deux mois à la maison. Aucune auxiliaire de vie n'était disponible pour un peu de répit. Cela a été très difficile. Et dans le même temps, j’avais commencé à faire ma certification pour l’éducation thérapeutique du patient que j’ai voulu à tout prix continuer. La dynamique du groupe “Patients Experts” avait émergée dès la première session, alors, au moment du confinement, la pair aidance a fonctionné immédiatement! (groupe WhatsApp) Il y a vraiment eu un avant et un après cette formation, qui m’a ouvert beaucoup de portes. La formation regroupe des pathologies très diverses, mais nous avons tous un point commun : on sait de quoi on parle ! On est tous des combattants. Comme dans l’action RePairs Aidants, je me suis sentie à la bonne place.

 


Quels sont vos projets ?



Aujourd’hui, je continue mon activité de pair formatrice à RePairs Aidants. J’aimerais reprendre une activité professionnelle et j’espère pouvoir continuer à partager et transmettre mon savoir de pair-aidant tout en gagnant ma vie ! Pour le moment, j’ai décidé d'étoffer mes compétences. Je commence le DU accompagnement et droits des aidants, à la faculté de droit d'Aix-en-Provence.

Début 2023, je vais participer à mon premier programme d’éducation thérapeutique, mais pas n'importe lequel : il est destiné aux parents d’enfants suivis au sein du Centre de Référence Maladies Rares « Déficience intellectuelle de cause rare & polyhandicap" dirigé par le professeur Milh, à la Timone. Une première ! Le partenariat aidants professionnels entre petit à petit, dans le monde du polyhandicap. Il était temps !


 
[1] Caisse nationale pour la solidarité et l'autonomie

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