CELINE CARDOSO-FORTES et MARIE-EVE HUTEAU, le binôme du partenariat patient

Damien Dubois • sept. 26, 2022

Une patiente partenaire et une ingénieure en pédagogie et en santé publique au service du partenariat en santé


CELINE CARDOSO-FORTES et MARIE-EVE HUTEAU

CELINE CARDOSO-FORTES et MARIE-EVE HUTEAU
Une patiente et une pro

Céline, comment a démarré votre engagement patient ?

Je vis depuis mes 19 ans avec un syndrome du grêle court (SGC) à la suite d’une opération de l'appendicite qui a mal tourné. Je me suis construite depuis 32 ans en tant que femme, professionnelle, épouse, mère avec cette pathologie. Après une première vie professionnelle passionnante dans le management, j’ai dû me reconvertir à la suite d’une dégradation de ma santé. C'est là que mon engagement a démarré au Centre expert de nutrition de Montpellier. J'ai demandé très tôt à être autonome dans la gestion de mes soins complexes de nutrition parentérale. J’ai spontanément formalisé par écrit les différentes étapes d'apprentissage de mes soins et j'ai remis mon travail à l'équipe du Centre Expert.

 

C’est ainsi que nous avons créé le tout premier programme d'Education Thérapeutique du Patient (ETP) en nutrition parentérale de l'Institut du Cancer de Montpellier (ICM). J’ai décidé ensuite de me former pour asseoir ma légitimité. A l’Université des Patients, en 2010, j’ai suivi la première formation patient partenaire en SGC. Cette formation a été un virage dans mon parcours de patiente partenaire. J’ai approfondi ma formation avec le Diplôme Universitaire d’ETP et des formations annexes en facilitation d'intelligence collective. Le point d'orgue, en 2020, a été le cursus sur les fondements des partenariats patients, en binôme avec Marie-Ève au Centre d'excellence du Partenariat patient de Montréal.  Enfin, pour faire vivre mon engagement de patiente partenaire et agir en complémentarité des équipes de soins, j’ai fondé une structure de conseils, dans l'éducation thérapeutique et relation du patient.

Marie-Eve, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?


Je suis ingénieure en formation, pédagogie et projet. J'ai une activité de consultante et formatrice auprès de plusieurs structures en France. Je viens du monde de la santé publique. Dès 2006, dans le cadre d’un autre engagement associatif, je commence à toucher du doigt le concept de prévention par les pairs, des projets de prévention faits par, pour et avec le public concerné. En 2010, à l'ICM, je découvre le monde hospitalier, des soignants, des patients, des aidants. En tant qu’ingénieure en ETP, je mets en place des projets d'amélioration des parcours de soins, d'ETP, d’outils éducatifs ou de communication entre professionnels. J'ai toujours pratiqué des sports d'équipe. Jouer collectif, en partenariat, est aussi un leitmotiv de ma vie professionnelle.



Comment vous êtes-vous rencontrées ?


Marie-Ève L’équipe de soin m’a parlé de Céline et du programme d’ETP qu’elle avait conceptualisé. Mes collègues avaient bien senti nos points communs avec Céline. Je lui ai proposé d’intervenir dans un programme d’ETP et nous avons rapidement travaillé sur un premier projet de formation.


Céline En 2010, l’idée de patients experts émergeait juste !  J’ai eu la chance d’être sollicitée non pas comme témoin mais pour coconstruire un programme de formation d’ETP destiné aux professionnels et agir en combinant nos compétences professionnelles et les savoirs expérientiels de la maladie chronique. Cela a été le départ d'un mode de fonctionnement en binôme, complémentaire, dans une démarche collaborative à 100 %, qui s'est fait naturellement et qui ne s’est pas arrêté depuis 12 ans. La première fois, j’étais intervenue quelques heures. Aujourd’hui, nous coanimons la formation d’ETP.


Votre collaboration ne se limite pas à ces formations en ETP ?


Marie-Ève Pas que, en effet. Nous avons déposé à l'Agence régionale de santé (ARS) Occitanie, avec le centre expert et le Dr Stoebner-Delbarre, le programme d'ETP créé initialement par Céline pour accompagner les patients ayant une nutrition parentérale. Puis, quelques années après, au vu des résultats, nous l’avons formalisé et étendu à toutes les formes de nutrition artificielle et redéposé auprès de l’ARS. Dans le même temps, nous avons construit plusieurs dizaines d'outils éducatifs, avec et pour des patients avec des diététiciens, infirmiers, médecins, psychologues… Par exemple, nous avons créé une minisérie, « Mon énergie connectée ! », pour aider les patients et leurs proches concernés par la nutrition artificielle.


En parallèle, nous continuons à intervenir en duo dans des journées ou congrès. Nous sommes membres du Centre Opérationnel du Partenariat en Santé (COPS). Aujourd’hui, nous commençons à être identifiées et sommes sollicitées pour exposer notre concept de binôme. Cela nous tient à cœur de le partager et d’impulser des initiatives chez d'autres. Ce travail en binôme nous plait mais surtout est efficace, surtout quand cela aboutit à des solutions concrètes comme ces vidéos.


Céline Nous avons aussi coorganisé le 3ème congrès national d’ETP en cancérologie avec d'autres professionnels et patients partenaires et avons des projets de recherche sur la conceptualisation, justement, du partenariat en santé. Dans le cadre de notre mémoire de fin d'études pour Montréal, nous avons un article en attente de publication sur la formation aux partenariats auprès de professionnels de santé. Le fruit d’un gros travail de recherche.

www.collectiftriplettesroses.com

Quelle est l’originalité de ce binôme ?


Marie-Ève Ce n’est pas juste un concept vitrine. Ce genre de démarche se professionnalise, voire s'institutionnalise avec des fonds qui commencent à être dédiés. Ce n’était pas le cas quand on a commencé. Nous avions cette envie de faire ensemble et cette confiance qui a progressivement convaincu les professionnels, les patients et les aidants. Cela devenait vrai et faisable. Au début, quand Céline intervenait, les professionnels n'en revenaient pas. Ce n’était pas juste une patiente qui témoignait mais quelqu’un qui fait bouger les lignes avec des postures professionnelles pour créer des outils, faciliter le quotidien des soignants, prendre du recul sur leurs pratiques.

Céline L'originalité, c'est que l’on a commencé tôt, avant même que le partenariat devienne institutionnalisé. Cela a permis de montrer qu’en mettant autour de la table tous les acteurs concernés, on peut trouver des solutions au bénéfice de tous. Nous avons incarné cette faisabilité, tout en montrant que cela ne nécessitait pas de créer une usine à gaz aussi. Le partenariat patient c'est une rencontre, remplie d'humilité, de valeurs communes pour atteindre l'objectif commun qui est de participer à l'amélioration des parcours. Aujourd'hui, cela s'accélère. Les formations se sont démultipliées sur le partenariat. Le nombre de patients partenaires se développe à bon rythme. Tout cela mérite d'être accompagné pour être opérationnel et que l’on bénéficie au mieux de la valeur ajoutée de ces partenariats pour que, réellement, ils réduisent les écarts entre les besoins des patients et le système de santé et permettent de trouver des solutions pour améliorer la qualité de vie des malades.

Par ailleurs, à deux, nous nous remettons toujours en question. Rien n’est acquis dans notre mode de fonctionnement. Nous cherchons, au gré des rencontres et des échanges, ce qui peut être amélioré. Notre duo renforce notre message. Un jour, je n’ai pu assurer notre présentation à un congrès car j’étais hospitalisée. Pour être fidèle à notre engagement, nous avons insisté pour pouvoir diffuser mon intervention préalablement enregistrée. Notre relation est faite d’ingéniosité et toujours d’une volonté de partage.

Marie-Ève Cela aide à changer de regard et déjouant certains préjugés, que les professionnels de santé peuvent avoir sur les patients. « Mon patient est trop fatigué en ce moment pour que je le sollicite ». Il est trop malade, il est dans son parcours de soins. Alors, rappeler que Céline a créé le module de formation quand elle était au plus mal, cela remet les choses en perspective sans se contenter de la première impression.


Que répondez-vous aux professionnels qui ont du mal avec le concept de patients experts ?

Marie-Ève C’est important de tenir compte de cet avis et de l’accueillir. S’ils pensent cela, c'est sans doute qu'ils ont de bonnes raisons. Il faut pouvoir offrir un temps d'écoute et d'accueil de ce qu'ils ressentent et voir comment on peut aussi les aider à faire des pas de coté, à voir les choses sous un autre angle, un peu différemment. Le mot expertise est très connoté aussi dans le milieu de la santé, dans un milieu professionnel très hiérarchisé. Il faut donc faire preuve d’écoute et de pédagogie.

Céline  Il faut être disponibles pour ces questionnements et rassurer les possibles inquiétudes. Quand nous agissons à deux, nous illustrons qu’il est possible d’incarner le partenariat en toute simplicité sans interférences. Souvent après une expérimentation les postures évoluent et les doutes s’apaisent.  Avant tout, nous rappelons que nous ne sommes pas là pour nous remplacer ou opposer nos expertises mais dans une démarche de synergie. On parle souvent de complémentarité, je préfère la synergie au bénéfice de tous et dans l’objectif commun d’améliorer la prise en soins.

Marie-Ève Et encore une fois en montrant que c'est possible sans créer d'usine à gaz. On nous oppose que c'est compliqué, qu'il n'y a pas d'argent, pas de temps. Il y a plein d'arguments à écouter et à lever l’un après l’autre en mode partenariat. C'est par de petites actions qu'on commence.


Quelle est votre actualité au-delà de l’article en préparation ?

Céline Nous continuons nos formations en duo sur l’ETP et sur l’expérience patient et d’ailleurs les deux dernières formations étaient encore des grandes premières pour ces organismes de formation qui nous ont fait confiance. Nous avons réussi à insuffler notre idée. Deux articles sont à paraître prochainement sur le sujet de la valorisation de l'expertise patient.
par Agnès Diter 26 févr., 2024
Changer le regard sur le virus du SIDA, en faisant témoigner des personnes vivant avec le VIH
par Sylvie Favier 04 févr., 2024
La technologie à la portée de l’extrême vieillesse
par Sylvie Favier 10 déc., 2023
Une école sur mesure pour les enfants avec des troubles du neuro-développement : le parcours votif d’une mère
AMARANTHA BARCLAY BOURGEOIS, Directrice de l'association JADE
par Agnès Diter 29 nov., 2023
Une pionnière en France dans le soutien des jeunes aidants, en leur offrant des moments de répit et d’expression
BEBECCA BILLY, coordinatrice à La pause Brindille
par Agnès Diter 16 oct., 2023
Mettre un rayon de soleil dans la vie des jeunes aidants.
LISE MOLIMARD, chef de projet Académie des AJA, association Aïda
par Damien Dubois 21 sept., 2023
Échange entre deux citoyens engagés après été touché par un cancer en tant qu'Adolescent Jeune Adulte (AJA)
par Damien Dubois 03 sept., 2023
Ou comment passer d’un « schizo-out » à la reconnaissance du statut de Médiateur santé pair
CHARLOTTE TOURMENTE, médecin, journaliste, vice-présidente de DareWomen
par Sylvie Favier 22 août, 2023
L’engagement de Charlotte, positive et volontaire, pour l’accomplissement personnel et professionnel des femmes en situation de handicap
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