SABINE DUTHEIL, patiente partenaire en oncologie

Albane Pariset • sept. 13, 2021

Accompagnement des patientes vivant avec un cancer du sein et des professionnels de santé -LISA -L’Institut du Sein d’Aquitaine


SABINE DUTHEIL

Patiente Partenaire en oncologie

Sabine, pourriez-vous vous présenter en quelques mots ? 

Je suis orthophoniste de formation. J’ai longtemps travaillé au sein d’une équipe pluridisciplinaire auprès de jeunes enfants en situation de grande difficulté. En 2015, ma vie professionnelle est suspendue avec l’annonce d’un cancer du sein, ma vie personnelle est bouleversée par les changements imposés par la maladie et les traitements. Je suivais de très loin Vincent Dumez et ce qu’il initiait à Montréal en matière d’implication des patients quand je découvre l’Université des Patients et les travaux de sa fondatrice : Catherine Tourette-Turgis. J’ai alors idée que le Diplôme Universitaire : Mission d’accompagnement de parcours du patient en cancérologie pourrait me permettre de questionner ce que je traverse au détour de cette maladie et de m’ouvrir de nouvelles perspectives. Ce fut le cas, ce fut aussi l’occasion d’accéder à des savoirs, de partager des expériences, des ressentis avec d’autres, de réfléchir au système de santé pour ensuite y participer. C’est ainsi que je débute en 2017, le tout début d’une nouvelle trajectoire.

Une autre rencontre participe grandement à ce que je suis (professionnellement) aujourd’hui. C’est à la faveur du diagnostic d’un cancer du sein que j’échange régulièrement avec le Dr Hortense Franck (oncologue, radiothérapeute) à l’occasion de consultations mais c’est seulement après la fin des traitements en présentiel que nous questionnons ensemble le parcours de soins, la personnalisation de la prise en soins, la façon d’améliorer la qualité de vie de chaque patiente impactée par un cancer du sein. Quelques mois avant que je n’intègre l’UDP, elle a créé une association de professionnels de santé ayant pour ambition d'accompagner différemment les patientes touchées par un cancer du sein : LISA – L’Institut du Sein d’Aquitaine. Une coordinatrice de parcours a été recrutée ; je rejoins cette petite équipe et ensemble nous mettons en place un dispositif inédit (dans un établissement de soins) : l'intégration d’une patiente partenaire dans l’équipe de soins pour d’une part accompagner les patientes (qui le souhaitent) et d’autre part offrir un nouvel angle de vue aux professionnels de santé.

C’est en mutualisant, en collectivisant nos expériences que celles-ci peuvent devenir des savoirs que l’on nomme  "expérientiels" (mais c’est probablement là un raccourci qui ne balaie pas tous les types de savoirs issus de la vie avec la maladie ou le handicap) et que l’on peut mettre au service des autres. C’est parce qu’un adossement au collectif m’apparait essentiel que je continue à fréquenter assidument des lieux de formation.

A l’Université de Clermont-Auvergne, ce sont les humanités qui sont convoquées pour réfléchir à cette relation si singulière qui se joue entre un professionnel de santé et un patient, à l’Université de Montréal, ce sont les fondements du partenariat patient qui sont dépliés et revenir sur les bancs de l’UDP en octobre prochain est d’ores et déjà très réjouissant.

Je participe aussi à des groupes informels de réflexion autour du partenariat patient : ce sont des lieux ressource dans lesquels il s’agit de réfléchir, de partager des pratiques, des expériences de partenariat en santé.


Parlez-nous de votre projet

Il s’agit de proposer un accompagnement spécifique aux patientes désireuses d’échanger avec une personne qui a été touchée elle-même par la maladie et formée à l’expertise d’usage.

Si le contexte est le même - le cancer du sein - la demande, les attentes varient d’une patiente à l’autre, d’une histoire à l’autre, d’une forme de cancer à l’autre, d’un traitement à l’autre. C’est donc du sur-mesure et la fréquence de l’accompagnement est de ce fait très variable. Cela peut se faire de visu (dans le bureau de LISA, dans la chambre d’hospitalisation, en salle de chimiothérapie, en salle d’attente ou à la ville), par téléphone, visio-conférence, sms et/ou mail à la demande de la patiente.

Ce sont donc des RENCONTRES au cours desquelles nous partageons une certaine impuissance suscitée par l’annonce d’une pathologie, une vulnérabilité induite par le sentiment de l’incertitude de l’avenir couplé à celui de la certitude de la finitude de la vie.

Nous proposons aussi des temps collectifs sous la forme de Tables Rondes et Roses : ce sont des temps de paroles pendant lesquels la rencontre entre paires est favorisée.

Enfin je co-anime avec une collègue orthophoniste un atelier de remédiation cognitive pour les femmes ayant une plainte autour des fonctions cognitives (mémoire, attention, langage et fonctions exécutives de haut niveau). Les troubles cognitifs liés au cancer et aux traitements sont le plus souvent légers et transitoires mais ils peuvent persister et impacter grandement la qualité de vie et le retour au travail des patientes. Les prendre en soin est essentiel. C’est aussi une façon pour moi de conjuguer des savoirs académiques liés à ce que j’étais avant la maladie et des savoirs expérientiels acquis avec la vie avec la maladie et les traitements.

Cet atelier fait aussi l’objet d’un travail de recherche. Il s’agit de co-construire avec les professionnels de santé en hybridant les points de vue. C’est la complémentarité des perspectives qui importe : c’est comme un puzzle. Pour avoir une vue d’ensemble, tous les morceaux comptent. Nous avons par exemple rédigé ensemble des fiches d’informations, organisé des soirées autour de thèmes et nous continuons à réfléchir à l’amélioration du parcours de soin.


Parlez-nous de vos premiers résultats ? 

Selon une étude menée à LISA auprès de 260 patientes, cet accueil singulier par un pair consisterait en un soutien émotionnel et une réassurance, des informations inédites et différentes de celles des professionnels de santé et une meilleure compréhension du parcours de soins.

Enfin le patient partenaire pour autrui inviterait, inciterait le patient à devenir partenaire de ses soins et donc partenaire pour lui-même.

Une étudiante en master de psychologie de la santé mène depuis un an un travail de recherche (une étude à la fois quantitative et qualitative) afin de déterminer quelles sont les retentissements psychologiques chez les patientes accompagnées par une patiente partenaire. Enfin, nous avons pour projet de documenter les impacts chez les professionnels de santé.


Aujourd'hui quelles sont vos attentes à résoudre ?

En matière de pair-aidance, la demande d’accompagnement est croissante : une deuxième patiente partenaire a rejoint l’équipe : Elisabeth Perron, en cours de formation. Encore une belle rencontre !

Nous réfléchissons à un accompagnement spécifique qui pourrait se déployer au-delà des traitements en présentiel, dans ce qu’on appelle probablement de façon assez maladroite « l’après-cancer ». Nous pensons que la notion de rétablissement doit être présente dès l’annonce du diagnostic.

Questionner la professionnalisation de ces nouveaux métiers autour du partenariat en santé m’apparait indispensable et il faut saluer l’ARS Nouvelle-Aquitaine qui contribue au développement du métier de patient partenaire au sein des établissements de santé (Le salaire de 7 patients partenaires en cancérologie sera prochainement financé par l’ARS-Nouvelle Aquitaine pendant 18 mois). C’est là une valorisation et une légitimation des savoirs des patients. Nous avons participé au groupe de réflexion avec La ligue contre le cancer et la maison rose (nous avons la chance d’avoir un maillage associatif très riche à Bordeaux) et nous avons témoigné de l’expérimentation de LISA.

Nous continuons à le faire chaque fois que l’on nous sollicite parce que nous sommes convaincues que la pair-aidance peut se déplier dans d’autres contextes, à d’autres pathologie. C’est notre façon d’œuvrer à la démocratie en santé.


Qu’avez- vous envie de partager de votre expérience ? 

« Faire de bonnes rencontres est une question de survie et la condition de notre développement. » (Charles Pépin)

J’ai la chance d’avoir fait de bonnes rencontres et d’en faire de nouvelles tous les jours. Le cancer est un catalyseur de questions existentielles. Ces questionnements ? C’est ce que je partage avec les patientes que j’accompagne. Il n’y pas de réponse mais ensemble on peut élaborer, cheminer. C’est parce que ce nous vivons est tout à la fois éminemment personnel et grandement universel que nous partageons une intimité expérientielle et une nouvelle sensibilité au monde, aux autres, à la vie.

Dire que je continue à apprendre de moi au contact de ces femmes est une litote : la préoccupation collective au service des autres et la démarche personnelle sont probablement intiment liées.



Pour en savoir plus sur LISA Bordeaux : Cliquez ici

24H dans la vie d’une patiente experte : https://www.rose-up.fr/magazine/patiente-experte-cancer/


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