RYANN DUBOIS, inventeur de KeyDys et fondateur de RD2tooldys

Sylvie Favier • juin 21, 2023

L’extraordinaire épopée d’un jeune lycéen inventeur d’un kit pour les élèves porteurs de troubles dys et à la tête d’une start-up prometteuse


MAUD ROUILLARD et DAVID ORVEN

Ryann Dubois

Inventeur de KeyDys et fondateur de RD2tooldys

Avec simplicité et humilité, Ryann savoure le succès aussi incroyable qu’inattendu de son initiative. A ses côtés, Olivier, enseignant, mesure non sans fierté le chemin parcouru sur lequel il pose son regard de père et de partenaire. 



Ryann, pouvez-vous nous parler de votre scolarité et des difficultés que vous avez rencontrées ?


J’ai 17 ans, j’habite dans les Côtes d’Armor et je viens de passer les épreuves anticipées du bac. Je vais intégrer l’année prochaine une école d’ingénieur : l’ENSIBS. J’ai des troubles dys qui ont été dépistés lorsque j’étais en CM2 - un mélange de dyslexie, dyspraxie, dysorthographie... Depuis, je saisis tous mes cours sur ordinateur, que ce soit le français, les maths, la physique, la philo... J’ai eu un suivi thérapeutique avec, entre autres, une ergothérapeute. C’est le travail que j’ai fait avec elle qui est à l’origine du clavier que j’ai inventé à l’âge de 15 ans.


Olivier : Ryann est multi-dys, ce qui veut dire qu’il cumule plusieurs troubles plus ou moins sévères, plus ou moins visibles. La procédure en France veut qu’un enfant dans ce cas soit soumis à l’évaluation de divers spécialistes : orthophoniste, ergothérapeute, etc. A l’issue de quoi un dossier est présenté à la Maison Départementale pour les Personnes Handicapées (MDPH), puisque les troubles dys entrent dans le champ du handicap cognitif depuis la loi de 2005, ouvrant droit à une aide matérielle et pédagogique (ndlr). Sur la recommandation de la MDPH, l’élève se voit, ou non, attribuer un ordinateur par l’inspection académique. Ryann ne pouvait pas tenir un crayon, écrire était une souffrance pour lui. Il a donc très vite été orienté vers l’utilisation d’un ordinateur qu’il a dû apprendre à utiliser grâce à l’ergothérapie.




Ryann, racontez-nous dans quelles circonstances vous avez inventé le kit KeyDys ? 


L'idée a germé dans ma tête dès les premières séances d’ergothérapie, parce que la technique d’apprentissage était basée sur l’utilisation de gommettes qui se dégradaient très rapidement. J’avais déjà cherché sur Internet s’il existait une alternative mais je n’ai rien trouvé. J’ai donc décidé de l’inventer et c’est pendant le confinement que j’ai trouvé le temps de mettre au point quelque chose qui me convenait à la fois sur le plan de l’utilisation et sur le plan de l’esthétique.

Pouvez-vous nous décrire ce kit et nous expliquer en quoi il améliore l’outil de votre ergothérapeute ? 


L'ergothérapeute utilisait des gommettes de maternelle. Elles étaient très fines, restaient collées quand on voulait les décoller et ne tenaient pas longtemps quand elles étaient collées ! Donc elles se détérioraient très rapidement. De plus, c'étaient des gommettes rondes sur des touches carrées, pas très jolies d’un point de vue esthétique ! 


Avec le kit, les gommettes sont remplacées par des stickers très résistants qui ne se décollent pas, ne glissent pas quand on tape sur le clavier et ne laissent pas de traces quand on les retire. Le kit est donc beaucoup plus durable. 
Il se compose de trois parties. Il y a un set sans lettres destiné à la phase d’apprentissage avec l’ergothérapeute : l’élève apprend par cœur la position des lettres. Il y a un deuxième set avec les lettres pour que les parents et professeurs puissent venir en aide à l'élève porteur de troubles dys (avec les lettres cachées, c’est impossible). Et il y a un sticker plus grand qui répertorie les raccourcis clavier sous forme de pictogrammes ou expliqués en toutes lettres selon la difficulté à les réaliser, c’est-à-dire selon s’ils font intervenir un, deux ou trois doigts.


De plus, il y a huit zones de couleurs disposées en diagonale. Chaque couleur correspond à la zone dans laquelle un même doigt peut se déplacer. Par exemple, il y a le vert pour l'index gauche, le bleu pour l’index droit et ainsi de suite. Le but, c’est d’aider les porteurs de troubles dys à positionner leurs doigts sur le clavier pour prendre des notes plus rapidement, puisque même lorsqu’on a les yeux sur l’écran, la vision périphérique permet de localiser les zones de couleurs sur le clavier. Même les adultes sans trouble de l’apprentissage y trouvent leur compte car ils perfectionnent leur utilisation des claviers ! 
Et en jouant sur les contrastes et la luminosité des couleurs, on a adapté le clavier aux personnes qui les perçoivent mal, comme les daltoniens !

CNAO

Comment êtes-vous parvenu à faire connaître ce produit et à le commercialiser ?


J'ai publié un post avec une photo du kit sur le compte Facebook de ma mère. Très rapidement, il a suscité beaucoup d’intérêt: on me demandait où on pouvait l'acheter, combien il coûtait… Mais à l’époque ce n’était qu’un support que j’avais créé pour aider les personnes « dys », sans objectif de rentabilité !
Grâce à ce bouche-à-oreille, on en a parlé dans la Presse d’Armor, sur Fun Radio, l’Actu.fr…C’est à ce moment-là que la Fondation Boulanger nous a contactés. [La Fondation œuvre pour l'éducation des jeunes et l’égalité des chances en soutenant des actions fondées sur le numérique, capables de contrebalancer les difficultés liées à leur handicap, ndlr]. A partir de là, tout s’est enchainé pour que le kit puisse être produit à grande échelle et distribué. Ce qui supposait une structure d’entreprise ; la mienne - RD2tooldys - a été créée le jour de mes 16 ans !


Olivier : La présidente de la Fondation avait lu un article sur l’invention de Ryann et se proposait de l’aider. Comme toute activité commerciale doit être structurée et encadrée, Boulanger a mis à notre disposition du matériel et un pool d’expert pour aider Ryann à industrialiser son produit. Il a aussi eu le soutien du cabinet d’avocat Fidal qui a travaillé sur la création d’une entreprise. Une SARL, c’est possible dès l’âge de 16 ans. C'est donc bien Ryann le boss, l'actionnaire principal ! Tout ce processus a été un moment surréaliste, où on n’a rencontré que des gens extraordinaires ! Aujourd’hui, le produit est vendu à distance sur le site de Ryann (www.R2Dtooldys.fr), mais aussi dans les 100 plus grands magasins de l’enseigne.



Même l’Académie s’y est intéressée ?


Oui, j’ai été convoqué un jour par mon chef d’établissement qui m’a fait savoir que Monsieur Emmanuel Ethis, le recteur de l’Académie de Rennes, voulait voir mon kit. Je lui en ai fait une présentation et il a décidé de le mettre à la disposition des jeunes porteurs de handicap équipés de matériel informatique au sein de l'académie. Très rapidement, il est allé voir le ministre de l’Education Nationale à Paris, Monsieur Jean-Michel Blanquer à l’époque. Mais comme c’était peu de temps avant les élections présidentielles, il a fallu attendre la constitution du nouveau gouvernement pour passer le relais à Monsieur Pap Ndiaye ; c’est chose faite, on attend de voir ce que cela va donner. 


Olivier : Ça bouge pas mal au niveau de l’Éducation Nationale ! Aujourd’hui l'Académie de Nancy-Metz a également fait l'acquisition de ce kit. L'Académie de Nice-Marseille l’a intégré dans un programme d’expérimentation, Itinéraire des talents, destiné à faciliter l’apprentissage et l’entrée dans la vie active de jeunes de la région qui ont quitté le circuit de l’enseignement. Ce programme a vocation à s’étendre à l’échelle nationale. La dynamique est assez impressionnante ; une importante action de communication est prévue en septembre en présence de la presse, des partenaires de l’opération dont Microsoft, et de Ryann. Par ailleurs, les écoles primaires, les collèges et les lycées passent commande pour leurs élèves, directement, sans passer par le rectorat et dans le monde médico-social, le produit intéresse les paramédicaux - ergothérapeutes, orthophonistes, etc.-, les hôpitaux, les Instituts médico-éducatifs (IME) et les Services d'Education Spéciale et de Soins A Domicile (SESSAD).

C’est un succès fulgurant qui a déjà dépassé les frontières !


C’est vrai, le kit se vend aujourd’hui au Canada, aux États-Unis, en Belgique, en Suisse... On a vu affluer tellement de commandes qu’il a fallu s’adapter et développer de nouvelles versions dans d’autres langues. En plus des deux versions AZERTY – une pour les claviers PC ou Mac et une pour les iPad et tablettes Android – il y a maintenant des versions QWERTY et QWERTZ. Il y a deux mois, des versions italienne et espagnole ont été mises sur le marché.



Comment envisagez-vous l'avenir de votre entreprise ? 


J'espère qu’elle va durer le plus longtemps possible ! Encore une fois, c’est une aventure inattendue qui n’avait pas d’objet commercial ; j’aurais juste trouvé nul de garder ça pour moi ! Je suis très content qu’elle serve les élèves dys comme moi. Alors je vais essayer de créer d’autres outils pour continuer à les aider. J’ai déjà des projets en tête mais je ne vous dirai pas lesquels ! C’est prématuré et je dois me protéger… 

Olivier : Il faut dire que depuis sa plus tendre enfance, Ryann a la particularité de passer son temps à inventer des trucs ! Il a un esprit curieux, il cherche toujours à comprendre le fonctionnement des choses et se demande ce qu’il va pouvoir faire avec ! 
Son ambition est utile, puisqu’en France, une personne sur dix présente des troubles de l’apprentissage. Et tous ces relais qui se sont organisés partout avec tellement de bienveillance, c’est vraiment stimulant.

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