PIERRE-LOUIS ATTWELL, navigateur et patient expert de la maladie de Crohn

Damien Dubois • mai 29, 2022

Des courses en mer pour communiquer sur les MICI et donner de l’espoir aux malades


ESTELLE DUBOIS

Pierre-Louis Attwell

Skipper de Vogue avec un Crohn

Pierre-Louis, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?


J'ai 25 ans. J’ai grandi près de Honfleur et je vis aujourd’hui à Lorient. Je fais du bateau depuis toujours et aujourd’hui, je suis le skipper du projet « Vogue avec un Crohn ». Je suis atteint de cette maladie depuis mes seize ans. J'ai vite compris que je serais malade toute ma vie, avec probablement des traitements à long terme mais je n’ai pas tout de suite pris conscience de l'impact que cela allait avoir sur ma vie. Pendant plusieurs années, je n’ai pas voulu en parler, ni à ma famille, ni à mes amis. Cette maladie inflammatoire se traduit globalement par des symptômes digestifs, notamment des diarrhées. Un sujet délicat surtout à 16 ans, au lycée, en pleine construction de soi. A cet âge, l'image corporelle a beaucoup d'importance. A l’université, je ne sortais plus avec mes amis par peur d'être malade ou d’être trop fatigué.

 

La maladie a aussi chamboulé mon projet professionnel. Je voulais faire de la mer mon métier, dans la Marine nationale et évidemment, ma maladie de Crohn a été un facteur limitant. Je ne pouvais pas faire comme si la maladie n’existait pas. J’ai commencé des études d’informatique mais j’ai arrêté au bout d’un an. Après une formation de moniteur de voile, pendant quelques années, j'étais responsable de l'école de voile à Honfleur puis, j’ai voulu me lancer dans un projet sportif qui porterait aussi les maladies digestives, mal connues et mal comprises.

Comment cet engagement s’est-il concrétisé ?


J’ai d’abord commencé à conceptualiser le projet dans mon coin, le soir après le travail. En janvier 2017, je l’ai soumis à l’association AFA CROHN RCH France qui a tout de suite porté un regard positif. Nous avons très vite commencé à agir de concert. L'objectif initial était de participer à la Solitaire du Figaro 2018, une course au large sur un bateau de 10 mètres ; un peu l'olympisme de la course au large. Cette course me faisait rêver mais le projet est engageant, et se chiffre en dizaines de milliers d'euros à l'époque, qu'il fallait aller chercher. Je monte alors une association 1901 avec ma mère. Nous sommes d’abord soutenus par des structures modestes comme mon ancien lycée. Six mois après, j'ai rencontré mon premier partenaire d’envergure, le laboratoire Mayoly Spindler.

 

Dans le même temps, je me rends compte qu’au-delà de la sensibilisation grand public, il est important de parler de nutrition, de santé globale, d’handicap visible et invisible. En parallèle, je commence à travailler avec l'industrie pharmaceutique pour agir au cœur du système de santé, auprès des acteurs de cette santé digestive. Je commence alors à intervenir lors de séminaires internes ou accompagner des éditeurs de solutions sur les besoins patients. Pour plus de légitimité, je me suis formé à l’éducation thérapeutique et à la démocratie en santé à l’Université des Patients pour avoir un cadre et comprendre le fonctionnement du système de santé. Cela n’a pas été facile de retourner sur les bancs de l'école pour moi qui les avait quittés quand même assez tôt. Je me suis accroché et cela a été vraiment très formateur. La formation à l'éducation thérapeutique était beaucoup plus pratique et donc complémentaire.

 

Aujourd'hui, le projet Vogue avec un Crohn est devenu mon activité principale. Je suis navigateur/patient expert. Les courses sont notre vecteur de communication principal. Ça reste un projet sportif avant tout. Vogue avec un Crohn a vocation à être un exemple inspirant pour les patients. Nous ne sommes pas une association de patients. Dès que possible, nous faisons la promotion de l’AFA, unique association de patients de référence. Ils sont présents visuellement sur le bateau et sont là aux départs des courses. J’échange beaucoup avec des patients et dès qu'il y a des questions plus pointues, j’oriente vers l'AFA.



Vous parlez de navigation en solitaire. Pour autant, un skipper ne travaille pas tout seul.


Oui, un navigateur en solitaire est accompagné d’une équipe. C'est encore plus vrai pour moi. Chacun a ses compétences avec en premier lieu Maxime, mon co-skipper et surtout ami de longue date, qui connait bien ma pathologie et ma famille, en soutien tant dans les moments difficiles que sur les départs de courses. Et puis bien sûr, la préparation technique du bateau, l'organisation, la communication... Un enjeu clé est la préparation physique. Un coach sportif m'accompagne tout au long de l'année en lien avec l’équipe médicale de Nantes, mon gastroentérologue, qui est mon interlocuteur principal et la chirurgienne qui garde un œil sur le suivi musculaire, notamment au regard de la fragilité de ma ceinture abdominale, ainsi qu’un nutritionniste.


Ils viennent d’ailleurs sur les départs pour m'accompagner jusqu'au dernier moment malgré leur intense activité clinique. Quand je suis en mer, une permanence téléphonique 24h/24 est organisée. Cet engagement de chacun donne beaucoup d’énergie. Je les remercie du fond du cœur. Sur la photo d’une arrivée, on me voit souvent seul sur son bateau, mais je peux vous dire qu'il y a du monde derrière.

Quel impact votre projet a-t-il sur les patients ?


Dans ce projet, je suis le seul patient investi. Il est important pour moi de leur dire que mon vécu n'est pas représentatif même si j’essaie de l’enrichir au contact d’autres et par la formation. Nous avons aussi développé d’autres projets comme le MICI Sailing Tour pour encourager les patients à se dépasser. Nous faisons naviguer des patients avec leur médecin, avec leur gastroentérologue pour partager un moment différent et pour faire évoluer cette relation. A titre personnel, je n'ai jamais été aussi heureux en tant que patient et en tant qu'individu. Parler librement de ma maladie, à travers ce projet, a été très bénéfique pour moi, pour mon vécu de la maladie, notamment grâce aux retours des patients tout au long de l’année, sur les quais. Un patient m’a dit par exemple : « C'est génial. Je suis ce que tu fais depuis trois ans. Cela m'a donné la motivation de me lancer. Moi je fais du VTT. »

 

La semaine dernière, à l’arrivée de la Normandy Challenge Race, un homme m’a interpelé et m’a dit : « Je voulais vous remercier. J'ai été stomisé il y a deux ans et puis au même moment, vous sortiez une campagne de communication sur la stomie en disant que même quand on était atomisé, on pouvait vivre ses rêves. Vous m'avez sauvé la vie ». Je n’ai pas la prétention d’être aussi fort, mais ce retour était très puissant. Avec une telle rencontre, vous pouvez être dernier de la course. Ce n’est pas grave. Vous avez déjà rempli le contrat. Aujourd'hui, telle est ma motivation.



Plus globalement, quelle est votre vision de l’engagement patient ?


Plus je rencontre de patients, plus je suis convaincu qu’ils ont leur place dans les évolutions des parcours de soins. Je rêve de patients formés et intégrés dans les équipes de soins, pourquoi pas salariés par l'hôpital ou par l'ARS. Quand j'ai été stomisé, lors du retrait de la poche, les infirmières m’ont demandé d’échanger avec un patient de mon âge qui allait être stomisé. Il faisait un blocage sur la stomie. Nous devions parler cinq minutes. Nous sommes restés deux heures. Il avait des questions auxquelles les infirmières, les chirurgiens, aussi compétents et bienveillants soient-ils, n'avaient pas les réponses. Ils n’avaient pas le vécu patient. Je crois beaucoup dans ce modèle-là, donc c'est aussi pour ça que ça m'a poussé à faire cette formation d'éducation thérapeutique.


 

Quel est votre prochain objectif ?


Nous repartons la semaine prochaine pour une transmanche Cowes-Deauville. Toute cette année de préparation nous emmène à la Route du Rhum. On se prépare depuis quatre ans sur un bateau de douze mètres, un Class40. Il est possible de partir en solitaire, vivre son rêve avec une maladie de Crohn. Ce projet de vie est intégré dans ma prise en charge clinique. Les examens sont calés en conséquence. L'objectif, là aussi, est d'avoir tous les feux au vert pour arriver au top de ma forme en novembre pour le départ. Rendez-vous le 6 décembre à Saint-Malo !

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