ANTOINE BERTRAND, Patient Entrepreneur et Fondateur de la start-up Pheal vivant avec la Mucoviscidose

Albane Pariset • mai 10, 2022

Notre conviction est qu’en suivant les signaux faibles de la maladie, on peut prévenir ses évolutions plutôt que d’attendre de devoir les guérir.


ESTELLE DUBOIS

Antoine Bertrand

Patient Entrepreneur et Fondateur de la start- up Pheal vivant avec la Mucoviscidose

Antoine, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?


Je suis patient depuis... toujours. Né en 1993, je n’ai pas été diagnostiqué à la naissance car à l’époque les tests de détection de la Mucoviscidose n’étaient pas encore systématiques. À quatre ans et demi, je subis une hospitalisation prolongée avec un pronostic vital engagé. On découvre alors la maladie avec laquelle je me suis ensuite construit. Enfant, j’ai eu la chance d’être suivi par un spécialiste qui s’est beaucoup investi pour m’expliquer ma maladie, ses enjeux, ses risques et aussi le lien avec mon environnement de vie. J’ai alors appris à être vigilant sur mes ressentis simplement pour me donner toutes les chances de ne pas la subir.


À l’adolescence, je suis pris en charge par une nouvelle équipe soignante moins à l’écoute des petits signes que je pouvais partager avec elle, ce qui a immanquablement provoqué une dégradation de mon état de santé. Alors à 14 ans, je change d’état d’esprit, je choisis de devenir « mon premier médecin », d’être expert de ma maladie tout en collaborant étroitement avec mon équipe soignante, que j’ai toujours considérée comme des partenaires précieux et complémentaires à mes savoirs expérientiels.


C’est cet état d’esprit qui m’a permis de trouver mes propres solutions aux problèmes parfois complexes que je pouvais rencontrer, et a contribué à me permettre de concilier une prise en charge quotidienne lourde avec une prépa d’ingénieur et un tas de hobbies que je ne me suis jamais résigné à abandonner.


Comment votre projet a-t-il vu le jour ?


Après deux années en cursus d’ingénieur, je décide de me réorienter vers ce qui me passionne le plus, l’algorithmie, et je retrouve mon frère Thomas à Epitech Paris. Nous décidons de prendre un appartement en colocation. Malheureusement pour nous, cet appartement, qui nous avait été dit remis à neuf, était en fait insalubre et… bien camouflé, mais cela, nous nous en rendrons compte bien plus tard.


Sans m’en apercevoir, mon état de santé se dégrade progressivement, sans symptôme et sans conséquence pour moi, jusqu’à arriver à un point de rupture ou je déclenche une importante hémoptysie (un saignement provenant des poumons). La première d’une longue série qui va me mener aux urgences, et à brusquement passer de plus de 80% de capacité respiratoire à moins de 50% en quelques jours.


Pendant près de deux mois d’hospitalisation avec cure intraveineuse, à travailler avec mes camarades qui venaient me voir pour que je ne perde pas le fil des projets, à éplucher toute la documentation scientifique que je pouvais trouver, sans solution, tout en me voyant passer le reste de ma vie dans cette chambre, je me pose plein de questions : Comment ça a pu aller si vite ? Alors que j’allais si bien ? N’y avait-il vraiment pas moyen de voir le problème plus tôt ?


C’est là que je me souviens que quelques semaines auparavant j’avais observé que ma fréquence cardiaque à l’effort avait un petit peu augmenté, que j’étais plus vite fatigué aussi, sans raison apparente et sans vraiment m’inquiéter pour autant. Étaient-ce pour autant des signes ?


L’essence de Pheal nait alors de cette conviction qu’en identifiant et suivant les signaux faibles pertinents de la maladie, on pourrait prévenir ses évolutions plutôt que d’attendre de devoir les guérir. 


 

Mais alors comment ça marche ? Parlez-nous de votre projet ?


Très jeune, je me suis engagé dans des projets de recherche dans la Mucoviscidose mais aussi sur les maladies chroniques en général, j’ai toujours souhaité apporter ma pierre à l’édifice de l’amélioration de la condition des patients.


À ma sortie d’hospitalisation, nous sommes en 3e année à Epitech et nous devons choisir un projet de fin d’étude. Nous décidons avec notre groupe d’amis de nous donner les moyens pour que l’expérience qui m’était arrivée quelques mois plus tôt ne se reproduise plus JAMAIS.


Dès le démarrage, nous voulions développer une application très simple pour les patients atteints de mucoviscidose, leur permettant de suivre des données objectives mesurées à l’aide d’objets connectés, couplées à des données subjectives renseignées à l’aide de questionnaires et d’échelles dans l’application. Le tout avec le parti-pris de leur restituer l’intégralité de leurs données « comme si » ils étaient médecins afin de contribuer à ce que « chaque patient puisse devenir le pilote de sa propre prise en charge »

Qu’ils puissent apprendre de leurs expériences en vie réelle et améliorer leur quotidien au fil de leurs apprentissages. Et évidemment détecter précocement les problèmes, favoriser une « prévention douce ».


Très rapidement, nous nous sommes lancés dans la co-construction de la solution avec des patients aux profils variés autant cliniques que personnels ainsi qu’avec des médecins spécialistes qui nous ont aidés à tenir une rigueur médicale. On s’est vite rendu compte que les usages des uns n’étaient pas les usages des autres.


Nous avons par ailleurs compris que pour prétendre entrer dans l’intimité de la vie du patient, il fallait que le dispositif soit parfaitement en ligne avec ses besoins et ses attentes.

Toute l’architecture du dispositif numérique a alors été repensée en y ajoutant une facette unique d’ultra-personnalisation permettant à deux patients avec la même application, de bénéficier de deux services différents, adaptés à leur usage et leur choix afin d’en tirer toujours une valeur ajoutée maximale.



Et ensuite que s’est-il passé ? Où en êtes-vous aujourd’hui ?


En 2019, nous remportons le challenge national de notre école qui nous permet de rejoindre l’incubateur partenaire Creative Valley et nous créons quelques mois plus tard la société PHEAL.


Depuis, nous avons complété le service avec une plateforme web à destination des équipes soignantes avec un système d’alerte pour assurer le suivi des patients à domicile et en temps réel. Nous avons lancé notre premier projet de recherche à l’hôpital Foch en partenariat avec une équipe de sociologues du LATTS-CNRS afin d’évaluer l’impact du dispositif sur la vie des patients, la relation de soins et la qualité de vie au travail des équipes.


Nous avons par ailleurs présenté Pheal sur plusieurs congrès scientifiques et partageons régulièrement notre approche, notre vision, pour interpeller l’écosystème en santé.


Nous avons également complété notre offre en permettant un usage observationnel de la solution au service de la recherche clinique, permettant notamment l’évaluation des effets de traitements innovants. À ce sujet, nous lançons une étude nationale, en vie réelle, pour évaluer les effets d’un nouveau traitement révolutionnaire dans la Mucoviscidose : Le Kaftrio.


Enfin, nous avons plusieurs nouveaux projets qui arrivent sur le champ plus large des maladies respiratoires en général comme la broncho pneumopathie chronique obstructive, l’asthme ou la transplantation pulmonaire.


Qu’avez- vous envie de partager de votre expérience ?


Être malade n’est pas une fin en soi. C’est un cadre dans lequel on apprend à vivre, souvent contraignant, parfois désagréable. Mais par-dessus tout un levier puissant pour développer des forces insoupçonnées, profondément ancrées en nous. Une certaine forme de résilience je crois.


Et la résilience est une qualité indispensable à un entrepreneur. Alors je pense que quelque part, être patient peut contribuer à développer cette posture d’entrepreneur, à minima favoriser une démarche entreprenante.


Pour autant, se lancer dans l’entreprenariat n’est pas évident et à plus forte raison en tant que patient, condition le plus souvent associée à des contraintes supplémentaires.


La meilleure recette que j’ai trouvée, et je ne pourrais que la recommander, est de s’entourer de personnes bienveillantes et conscientes des problématiques de la maladie, capables de servir de phares lorsque l’on est soi-même emporté par le flot passionnant mais aussi très énergivore des activités de la vie d’entrepreneur.
 


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