ELEONORE PIOT-DE-VILLARS, Fondatrice de Lympho’sport et référente Imagyn

Sylvie Favier • avr. 20, 2022

S’appuyer sur l’expertise patient pour la prise en charge des pathologies chroniques séquelles de cancers


ESTELLE DUBOIS

Eléonore Piot-de-Villars

Fondatrice de Lympho-sport et référente Imagyn

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots à nos lecteurs ?


J’ai 47 ans. J’ai une formation initiale de management sportif à l’UFRSTAPS (Unité de Formation et de Recherche en Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives), à Paris et à Montpellier. Il y a 12 ans, avant la maladie, j’étais responsable de club sportif, très engagée dans l’événementiel sportif et j’étais moi-même pratiquante de sports extrêmes de pleine nature. 


En 2010, à 35 ans, j’ai appris que j’avais un cancer du col de l’utérus. Après 5 années de traitement à Gustave Roussy, j’étais totalement guérie, mais des séquelles de lymphœdème à une jambe et au petit bassin sont apparues assez rapidement. Il en résulte des soins quasi quotidiens – drainage lymphatique manuel, bandages multicouches compressifs, port de bas de compression –, une perte de mobilité, des douleurs, une dysmorphie et surtout un traitement médical antibiotique prophylactique pour lutter contre un risque infectieux accru.

 
C’est à cette étape que j’ai eu envie de m’investir auprès d’autres patients en créant une association. 
Quelques années après, viendra un deuxième cancer, un mélanome de la peau, qui m’a confortée dans ma volonté d’accompagner des patients. Avec cette deuxième prise en charge à Gustave Roussy et le temps que je passais à l’hôpital en raison des complications infectieuses dues à mon lymphœdème, j’étais devenue une patiente professionnelle ! 


Je me suis alors engagée dans plusieurs cursus de formation à l’Université des Patients-Sorbonne.

Comment s’est construit votre engagement associatif ? A quel besoin répond-il ?


Il y a 10 ans, on ne parlait pas des bienfaits de l’activité physique dans le cadre de la prise en charge d’un cancer et encore moins d’un lymphœdème. Or, moi qui avais toujours baigné dans l’univers du sport, j’étais convaincue que bouger pouvait non seulement améliorer le retour lymphatique mais aussi et surtout, rendre le patient acteur de sa prise en charge.


Donc j’ai créé Lympho’sport, qui s’est développée d’abord sur la thématique du sport thérapeutique, via la marche nordique, auprès de patients atteints de lymphœdèmes post cancer, ou en cours de traitement pour un cancer, avant de se centrer sur l’éducation thérapeutique et la formation initiale et continue des soignants. Dans ce cadre, l’association intervient plus largement sur des thématiques transversales propres à un grand nombre de maladies chroniques, notamment la douleur, dans lesquelles on utilise différents outils, tels que le Qi Gong, la marche nordique, le Pilates ou la sophrologie… L’association participe également aux côtés de professionnels de santé à des conférences et journées de sensibilisation sur la thématique sport et cancer, la prise en charge du lymphœdème et la douleur.  


Cette orientation répond d’une part au développement de l’hospitalisation de jour : seuls chez eux, les patients se retrouvent désemparés, avec les effets secondaires de leurs traitements, leurs séquelles, leur fatigue et leurs doutes. L’ETP est une réponse individualisée, déclinée en ambulatoire par les services hospitaliers avec le soutien des associations. Elle répond d’autre part à une nécessité pour les professionnels de santé (infirmiers, kinésithérapeutes, ergothérapeutes, généralistes, oncologues, etc.) d’acquérir de la connaissance sur le vécu des patients. Comme patiente formatrice, j’ai la chance de pouvoir apporter la perspective patient à de futurs soignants dans leur cursus initial.


Dès 2015, je me suis également beaucoup investie auprès d’Imagyn, qui était la première association agréée de patientes atteintes de cancers gynécologiques.  Après en avoir été vice-présidente, je suis maintenant référente cancer du col de l’utérus. Je représente ces femmes atteintes d’un cancer du col qui pour 40% d’entre elles développeront un lymphœdème après avoir subi un curage ganglionnaire. 

On y mène des actions de prévention et de sensibilisation en faveur de la vaccination des jeunes filles et jeunes garçons contre le papillomavirus responsable de nombreux cancers dont celui de l’utérus, et du dépistage qui pourrait éviter de nombreux décès. Des initiatives telles que Septembre turquoise (à l’instar d’Octobre rose) favorisent une meilleure communication sur ces cancers pelviens et nous permettent d’aller à la rencontre de ces femmes, de les inviter à consulter régulièrement leur gynécologue et dès la survenue d’un signe inhabituel. L’association relaie aussi toutes les innovations de la recherche clinique dans le domaine des cancers gynécologiques.

Quelles ont été vos motivations profondes ?


J’ai bénéficié d’un programme d’ETP pour la prise en charge de mon lymphœdème ; j’ai constaté les bienfaits d’une activité physique adaptée pour gérer ma pathologie chronique. S’en est suivi une formation concrète dans ce domaine – un DU d’éducateur médico-sportif en cancérologie à la faculté de Médecine Université de Paris 13 - et surtout un engagement très fort.
Avec le deuxième cancer et la progression de mon lymphœdème, j’ai senti que j’allais devoir lâcher du lest et baisser mon niveau d’engagement physique dans l’accompagnement des patients pour me recentrer sur ma propre prise en charge.*


Mais il me restait l’éducation thérapeutique pour agir sur la qualité de vie des patients et les aider à gagner en autonomie. L’association s’est donc développée davantage dans le champ de l’ETP et de la formation des soignants. En 2016, je me suis orientée vers un DU d’Education Thérapeutique du patient à l’Université des Patients de Paris-Sorbonne, au cours duquel j’ai effectué un stage à l’Institut Curie, dans un programme sur la prise en charge de la douleur du cancer. J’y ai trouvé ma raison de vivre ! Au point que j’ai poursuivi avec un Master 2 en Education Thérapeutique. Aujourd’hui patiente partenaire, je co-crée et co-anime des ateliers pour l’Unité Transversale d’Education thérapeutique du Patient (UTEP) de l’Institut Curie.


L’activité physique n’est qu’un maillon du soin parmi beaucoup d’autres. Je trouve passionnant de travailler sur son intégration dans une prise en charge pluridisciplinaire - je sais par expérience combien c’est important - et d’aborder avec divers spécialistes (médecins, kinésithérapeutes, infirmières, nutritionnistes, éducateurs APA, psychologues, sophrologues…) d’autres thématiques telles que « comment bouger avec ma douleur ? », « gérer ma fatigue au quotidien », « pourquoi je dois continuer à me mobiliser même quand j’ai mal »… Intervenir comme patiente partenaire dans un programme éducatif à destination des patients est un moteur extraordinaire, on reçoit autant qu’on apporte.



Qui sont vos partenaires ?


La prise en charge du lymphœdème repose en grande partie sur les industriels du dispositif médical (vêtements compressifs, bandages…). Il se trouve qu’il y a peu de patients experts dans ce domaine, ce qui nous a valu d’être soutenus par des fabricants qui nous ont proposé des opérations en partenariat : par exemple, tester pour eux du matériel à venir sur le marché ou participer à la réalisation d’un court métrage sur la vie avec la pathologie lymphatique.



Quels retours avez-vous des femmes que vous accompagnez ?


Il n’existe pas encore dans les cancers gynéco de sororité comme il en existe dans le cancer du sein. Alors grâce à Imagyn elles se sentent moins seules, rassurées. Déculpabilisées aussi parce que les cancers gynéco s’accompagnent de connotations dégradantes : ils touchent les organes sexuels, c’est sale… Elles se sentent en confiance car nous avons vécu la même chose.



Quels sont vos projets, à court ou plus long terme ?


Un projet avec l’Institut Curie : sur un modèle déjà mis en place sur le site de Saint-Cloud avec une autre patiente partenaire, il s’agit d’un cycle de 5 à 6 séances d’activité physique adaptée, fondée sur la marche nordique. Nous allons aussi intervenir en visio dans un programme d’ETP sur des thématiques un peu inhabituelles – sexualité et intimité avec un lymphœdème - avec le Centre de référence des maladies lymphatiques et vasculaires rares de l'hôpital St-Eloi du CHU de Montpellier, où je suis suivie.


Tout doit tendre vers la perspective des patients qu’il nous appartient d’intégrer dans l’éducation thérapeutique, la communication, la décision médicale partagée, la démocratie sanitaire et dans le soin, où nous apportons une vision qui est source d’innovation.  
Professionnels de santé, industriels ou patients, on a tous à gagner à travailler ensemble.  

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