ESTELLE DUBOIS, Fondatrice de l’association EwenLife

Caroline Bee • avr. 18, 2022

Une plateforme d’information et de témoignages sur les maladies rares


ESTELLE DUBOIS

Estelle Dubois

Fondatrice de l'association EwenLife

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots à nos lecteurs ?


Je m'appelle Estelle Dubois, j'ai 46 ans. À la base je suis de formation ingénieur, j'ai fait toute ma carrière dans des postes de cadre sup, un parcours un peu tout tracé je dirais, une ou deux créations d'entreprises avant que le grand chambardement n'arrive. En 2015, mon fils est tombé malade et a été hospitalisé. Je n’ai pas su tout de suite qu’il s’agissait d’une maladie rare, mais j’ai pu rencontrer d’autres parents qui nous ont aidés, soutenus, expliqué qu'ils avaient des enfants qui étaient atteints, que c'est dur, compliqué, mais qu'on peut vivre avec.


La notion de « vivre avec » est très importante, c'est ce qui va mener l'expérience EwenLife. Bref, je ne le sais pas encore, mais je viens de rentrer dans la grande communauté des maladies rares. En France, les maladies rares touchent 3 millions de personnes, à 80 % des enfants, dont beaucoup n’atteignent pas la majorité, encore maintenant. Et on oublie souvent qu’autour de ces patients, il y a des aidants, le plus souvent les parents. Si on fait le calcul, c'est 8 à 10 % de la population qui est directement concernée par le « vivre avec une maladie rare ».

Comment s’est construit votre engagement de proche aidante ?


En 2015, je travaillais pour une grosse boîte, Thalès, et j’étais au plus bas après la découverte de la maladie de mon fils. Les médecins ne comprenaient pas, l’école ne comprenait pas, nous étions seuls. Mon employeur a proposé à ses salariés de mettre en avant leurs idées pour de l'entrepreneuriat. J’ai présenté une application de télémédecine appliquée aux maladies rares et, à ma grande surprise, j’ai été retenue ! On a créé cette application avec la bénédiction de Thalès et on a même obtenu un partenariat avec le CHU de Bordeaux, grâce au Dr Contis et au professeur Mercié qui est désormais notre responsable de comité éthique, et qui nous suit depuis sept ans. Au moment du test de l’application – qui était réalisé auprès de personnes ayant la maladie de Rendu-Osler –, j’ai demandé à ce qu’on rajoute une petite option qui proposait des témoignages, parce que moi j’en avais eu besoin à certains moments. Cela a été le début de tout.



Vous avez découvert la force du témoignage ?


Oui. C'était dans mes moments de stress, à 3 h du matin, que je recherchais des témoignages de parents ; des témoignages vidéo, parce que c'est bien d'avoir le texte, mais ça ne fait pas tout. J'avais besoin de voir une personne avec une bouche, une tête, qui parle de comment elle vit avec la maladie et comment elle y arrive concrètement. On a trouvé des témoignages qu’on a rajoutés sur l’application et contre toute attente, les 20 patients qui l’ont testée ce jour-là ont tous réagi en disant : « L’application de télémédecine c’est cool, mais là, le truc sur les témoignages, c'est une application ? Je peux la télécharger ? » On a senti qu'il y avait quelque chose. On a décidé de faire une mini web-série qui s’appelait « Résilience et maladie rare » avec Marie qui était atteinte de Rendu-Osler.


La série était composée de quatre épisodes, où elle explique de façon incroyable ses trucs et astuces pour vivre avec sa pathologie. On l’a postée sur les réseaux sociaux, et ça a cartonné, en France comme ailleurs. Comme on n’était plus sur de la télémédecine et qu’à Thalès, ils n’étaient plus très sûrs de vouloir aller dans un projet vidéo, ils m’ont demandé ce que je désirais faire, et j'ai décidé de partir pour créer l’association EwenLife, qui a vu le jour en 2017. Ewen, en gaélique, cela veut dire jeune guerrier, la vie du jeune guerrier. Cela correspond bien aux enfants qui vivent avec la maladie. Et de plus en plus, nos bénévoles aiment dire qu'ils sont des Ewen, des jeunes guerriers.



Quel est le but de l’association EwenLife ?


Notre objectif, c’est d’aider les gens atteints de maladies rares au quotidien, grâce à des témoignages vidéo. On s’est dit, le petit bouton, là, qu'on avait créé pour l'application de télémédecine, on va en faire une plateforme, on va faire comme pour Rendu-Osler, on va aller chercher par maladies rares toutes les vidéos qui existent. Et on s’est vite aperçu qu’il n’existait pas grand-chose : soit les vidéos étaient incompréhensibles, soit elles n’existaient pas. Alors on a décidé de les faire nous-mêmes !

Comment cela se passe-t-il concrètement avec les témoignages ?


On ne fait pas venir n’importe qui pour les témoignages. On contacte l'association de patients qui est référencée chez « Alliance maladies rares » ou l'équivalent en Suisse et en Belgique, parce que c'est surtout là qu’on a des contacts. On demande s’ils ont quelqu’un de disponible  qui a suffisamment de recul par rapport à la maladie pour pouvoir donner des conseils. Et c'est l'association, généralement, qui va sélectionner quelqu'un qu’ils ont déjà identifié, et qui leur propose de faire un témoignage avec nous. Il y a d’abord une première phase de sélection avec un pool de bénévoles formés par une psychologue, afin de déterminer si la personne est vraiment dans l'acceptation.


Si elle passe ce stade, on va réaliser l’interview sur Zoom à l’aide d’un questionnaire tout fait qu'on a vu et revu sans cesse au fur et à mesure des interviews, et qui couvre l'ensemble de la vie au quotidien avec une maladie rare. C'est souvent les mêmes questions qui reviennent. « Comment ça se passe avec les frères et sœurs ? » « Comment ça se passe en couple ? »… L’interview dure entre une heure trente et trois heures, puis elle est validée par l’intéressé qui nous dit ce qu’il veut supprimer.


Il faut savoir aussi qu'on ne fait pas témoigner des enfants avant 16 ans, et on interdit aux parents de prononcer le prénom de leur enfant, afin qu’il n’ait pas à porter le poids de la vidéo plus tard. Après validation, on découpe la vidéo en petits épisodes de dix minutes et on en fait une mini web-série, qu’on diffuse sur les réseaux sociaux, sur Youtube, en espérant que ça touche les bonnes personnes. Nous avons à ce jour une soixantaine de témoignages, 4 web-séries pour le moment et une communauté de 110 bénévoles.


 

Quels sont vos projets futurs ? Vous avez la volonté de devenir européen, voir mondial ?


Ce n’est pas une volonté, c’est un fait. La maladie, elle n’en a rien à faire, des frontières ! Déjà, nos 60 témoignages se retrouvent dans des programmes de formations de généralistes et de psychologues, à Bordeaux, Clermont-Ferrand et Toulouse. On a commencé à comprendre que dans notre contenu, il y avait des signaux faibles qui pourraient servir aux généralistes, aux assistantes sociales, aux psychologues, aux écoles, etc. Récemment, on a présenté notre projet à un gros organisme européen pour mettre un pied sur l’accélérateur : on leur a dit qu’on allait avoir besoin d’aide pour arriver à faire 7 000 témoignages sur 7 000 maladies rares, que c’était faisable avec ce qu'on a mis en place, mais qu’il fallait des sous : traduction en plusieurs langues, travail sur le questionnaire, gestion des témoignages par intelligence artificielle… Nous avons absolument besoin d’un outil qui nous aide. La première marche c’est la traduction en plusieurs langues parce qu'il y a certaines maladies rares qui touchent seulement 10 personnes dans le monde.



Le mot de la fin ?


Il me semble important de dire que la médecine, la recherche médicale, est incroyable. Mais il y a toujours des gens qui vont perdre des enfants. Il y aura toujours des gens qui vont vivre avec la douleur, la fatigue, l'incompréhension, l'exclusion. Et ça, c'est le rôle des sciences humaines et sociales et c'est pour ça qu’EwenLife est là, pour aider à vivre avec.

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