CLARA FORTIN, navigatrice et hémophile, engagée avec l’AFH

Damien Dubois • juin 07, 2022

Sensibiliser à l’hémophilie chez les femmes


FLORENT BOSSERT-CASTELLI

Clara Fortin

Navigatrice et hémophilie

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?


Je m'appelle Clara Fortin. J'ai 27 ans ce mois-ci. Je suis hémophile de type B, c’est-à-dire avec un déficit de facteur 9, celui de la coagulation. J'ai découvert que j'étais malade à huit ans. L’hémophilie de mon père a été diagnostiquée à la suite d’une opération. Mes frères et moi avons été testés et j’ai tiré le gros lot. Pour le commun des mortels, l'hémophilie se transmet par les femmes et atteint les hommes. Pourtant, même si c’est plus rare, elle peut toucher les femmes, avec des conséquences particulières. Il s’agit d’une hémophilie mineure qui ne m’a pas empêchée de vivre. Cependant, j’ai constaté des défauts de prise en charge. L’hémophilie, c'est le sang qui ne coagule pas. Et nous, les femmes, avons des moments hémorragiques au moins une fois par mois.

 

Mes premières règles ont été extrêmement compliquées. Au bout d’une dizaine de jours, j'étais souvent en forte anémie. Ma gynécologue m'avait d’ailleurs conseillé une pilule qui finalement n'était absolument pas adaptée à ces risques hémorragiques. Trouver une contraception qui corresponde à chaque femme n'est pas simple ; encore plus dans mon cas. J'ai dû essayer six ou sept moyens de contraception différents, avec plusieurs gynécologues.


Par ailleurs, j’ai toujours été sportive et ai fréquenté les urgences à plusieurs reprises. Je me suis tordue la cheville, je me suis cassé un bras. Je n’ai pas toujours été prise au sérieux par les professionnels rencontrés à cette occasion. Il faut souvent se battre auprès des médecins pour simplement faire comprendre qu'on est hémophile. J'ai appris à vivre avec, sans changer mon mode de vie et j'ai continué à pratiquer le sport, notamment quinze ans de handball que j'ai dû arrêter sur blessure. Ce n'est pas le sport que je conseillerais en cas d’hémophilie même si cela me manque. Et maintenant, je suis une jeune navigatrice, je viens d'avoir mon bateau de course en Class40.

Comment est né votre engagement ?


En 2017, mon hématologue m’a parlé de l'Association française des hémophiles. Je voulais faire de la course au large et cherchais des conseils. J’ai été enrôlée dans la commission femmes. Nos actions visent à sensibiliser sur l'hémophilie chez les femmes. Un enjeu des échanges est la déculpabilisation des femmes qui transmettent l'hémophilie à leurs enfants a fortiori si elle est sévère. Ayant une mineure, je sais que je ne peux potentiellement transmettre qu’une mineure.

 

Nous nous réunissons une fois par mois ; enfin quand je ne suis pas en mer. Le dernier exemple d’action menée est une plaquette avec un quiz et des petits pictogrammes pour favoriser le dépistage : si vous avez les gencives qui saignent brusquement lors du brossage de dents, si vous avez effectivement des règles abondantes... Si vous cochez cinq de ces petits pictogrammes, il est conseillé d'aller voir un spécialiste. Nous essayons de motiver les femmes à se faire diagnostiquer. Nous parlons ici d’une maladie rare mal diagnostiquée.

 

Une campagne de sensibilisation a d’ailleurs été menée avec des protections hygiéniques. La plaquette avait été insérée dans les boites de tampons et de serviettes. Cet engagement est complémentaire à ce que je voulais faire à travers la voile en termes de communication autour de cette maladie.


 

La voile est donc le moteur actuel de votre engagement ?


Oui. Je mène mon projet de course au large depuis bientôt un an et demi et j'ai eu mon bateau de course au mois de juillet dernier. J’ai fait quelques courses, dont la Transat Jacques-Vabre en 2021 avec mon conjoint et co-skipper Martin Louchart. Quand j'en ai parlé avec l'AFH, ils avaient peur au début que je donne un exemple biaisé ; ce qui est totalement compréhensible. J'ai réussi à leur donner confiance en moi, en ma pratique, avec toute la préparation et l’accompagnement. Martin fait partie de l’association des sauveteurs en mer. Nous avons une formation médicale quand on fait la course au large. J'avais toutes les cartes en mains et la Jacques-Vabre s’est très bien passée.

 

Avec l’AFH, nous avons un partenariat de communication, pas financier. J'invite à chaque départ et arrivée de courses les comités régionaux de l'AFH qui viennent avec des familles. Ils ont beaucoup de questions et surtout besoin d’être rassurés, surtout si le diagnostic est récent.  L’échange permet de redonner de l’espoir. La maladie n’empêche pas de bouger. Et la natation, sport de prédilection des hémophiles, n’est pas le seul que l’on peut pratiquer.

 

Avant de rencontrer l’AFH, j’avais trouvé mon partenaire financier, Randstad France, spécialisé dans l'intérim et ses filiales Ausy, des chasseurs de tête dans l'ingénierie et l'appel médical, intérim pour le corps médical. Randstad a accepté que le logo de l'AFH apparaisse sur le bateau. Le 17 avril, lors de la journée mondiale de l'hémophilie, Randstad a fait une opération en interne avec l’association. Je suis ravie qu’ils soient aussi devenus des partenaires entre eux.


 

L’objectif est donc centré sur la communication et la sensibilisation ?


Oui en premier lieu. C’est une occasion d’échanger sur cette maladie, de redonner espoir. Le projet entraîne aussi des effets concrets. Au milieu de l'Atlantique, mes médicaments n’étaient plus utilisables à cause de la chaleur. Ils ne doivent pas être exposés à plus de 20 degrés… Il devait faire 40 degrés dans le bateau ! Cela nous a questionnés sur les limites imposées par l'hémophilie. On ne peut pas sortir de sa zone de confort à partir du moment où on doit s'injecter un produit tous les jours.


Nous avons lancé une enquête sur le groupe Facebook et avons eu beaucoup de réponses sur la difficulté à partir en vacances, en randonnée ou à aller dans les pays chauds à cause de la conservation des médicaments. Nous avons proposé à Ausy de créer un mini-frigo autonome solaire, avec une application pour gérer la température, la chaîne du froid, la batterie. Cela peut d’ailleurs être utile dans beaucoup d’autres maladies. Nous espérons avoir un prototype sur la route du Rhum.

Vous serez au départ de la course en novembre ?


Le bateau oui, skippé par Martin, pas par moi. Nous y avons réfléchi et avons pensé qu’une telle course en solitaire n’était pas raisonnable pour moi ; peut-être plus tard. Martin sera le plus jeune concurrent. Il a 20 ans. Je vais de mon coté m’occuper de tout ce qui se passe à terre, notamment la communication et le lien avec l’association. Lors de la Transat Jacques Vabre, nous avions été reçus par le Comité martiniquais de l’association. Cette fois, nous irons à celui de Guadeloupe. Comme l’hémophilie touche peu directement les femmes, ce sont plus souvent les femmes qui prennent soin de leur mari. Ici, c’est Martin qui prend soin de moi.

 


Comment connaissez-vous Pierre-Louis Attwell dont nous avons récemment fait le portrait ?


Nous nous sommes rencontrés lors de notre formation de moniteur de voile à Dives-sur-Mer et avons sympathisé. Pour sa première course en solitaire, celle du Figaro en 2008, je me suis occupé de sa communication, des réseaux sociaux, des liens avec ses partenaires et avec l'AFA. J'ai trouvé cette expérience passionnante. Les échanges qu’il avait avec les patients étaient très forts. Aujourd’hui, nous nous retrouvons dans la même catégorie, concurrents mais surtout très amis. Beaucoup de gens pensent que monter un partenariat avec une association médicale est une stratégie pour recevoir plus d'argent. Ce qui est totalement faux. D’ailleurs, j’avais trouvé mon partenaire avant de rencontrer l’AFH.


 

Comment qualifiez-vous votre engagement ?


J’ai des contraintes au quotidien mais je ne suis pas à un stade de certains patients qui sont réellement malades. Je me sens plus engagée que patiente. L'engagement que j'ai voulu prendre avec l'AFH était pour donner une vraie valeur à mes traversées de l'océan, pour être plus qu’un panneau publicitaire. L’AFH m’a soutenue et je continuerai avec eux tant que je naviguerai et que je pourrai leur apporter de la visibilité. Et même au-delà, mon implication dans la commission femmes n'est pas uniquement corrélée à ma carrière de navigatrice.

 

Le leitmotiv de Pierre-Louis est "même quand on est malade, tout est possible". C'est la vérité. Dans le même temps, nous sommes des faux malades parce qu'on fait des trucs incroyables. Nous prenons soin de nous, sommes réfléchis et entourés. Nous connaissons notre maladie, notre corps, nos limites. Donc, à partir de là oui, nous pouvons faire tout ce que nous voulons.

Cet engagement permet de donner de l’espoir et de passer des messages. En parlant de mon hémophilie et de mes maux, j'ai trouvé du soutien et des solutions. Il est donc très important de partager pour avancer, comprendre ses propres limites et mettre toutes les chances de son côté.

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