MAXIME PEREZ ZITVOGEL, co-fondateur de La Maison Perchée

Caroline Bee • janv. 18, 2022

Un espace dédié aux jeunes souffrant de troubles psychiques


Maxime Perez Zitvogel

Co-fondateur de La Maison Perchée
https://www.maisonperchee.org/


Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?


J’ai 29 ans et je suis bipolaire. Je suis le co-fondateur, avec trois autres personnes, de La Maison Perchée, créée en juin 2020, qui accompagne des jeunes en souffrance psychique. Le leitmotiv de la structure est « seul on va plus vite, ensemble on va plus loin ». Ma phase de manie est apparue en 2015, alors que je vivais en Chine, où je faisais des affaires après mes études. J’avais tous les symptômes : manque de sommeil, irritabilité, créativité débordante, dépenses inconsidérées, logorrhée. Mes deux colocataires et amis, dont j'étais très proche, se sont inquiétés. Ils ont alors écrit à ma mère qui, en superwoman, est partie en mission pour ramener son fils.

 

À peine arrivé en France, une ambulance m'attendait et je suis parti aux urgences, pensant que j’y allais pour un check-up, car j’avais les dents et le nez cassé à cause de problèmes en Chine. L’accueil a été assez violent. Après un refus de médicament, deux infirmiers m’ont plaqué au sol, déshabillé, fait une piqûre, et je me suis réveillé quelques jours plus tard, en contention dans une salle toute blanche, sans savoir où j'étais. Heureusement, un jeune aide-soignant est venu me voir.


C'est la première personne qui m'a parlé. Il m'a dit de ne pas m'inquiéter, que je n'étais pas loin de chez moi, que j'étais dans le cadre des « 12 jours »[1]. Il m'a expliqué, m'a rassuré. On m’a dit que j'étais bipolaire, on m'a expliqué les symptômes, et je me suis rendu compte que cela coïncidait avec ce que je vivais. On m'a expliqué que c'est une maladie à vie, avec un traitement à vie, avec beaucoup d'effets secondaires, que j'étais officiellement handicapé – et ce n'est pas rien d'apprendre qu'on est handicapé –, et que ça allait être dur toute ma vie mais qu'il fallait que je m'adapte. J’ai alors découvert l’univers parallèle de la psychiatrie.


 
[1] Depuis la loi du 27 septembre 2013, les patients hospitalisés sans leur consentement doivent être présentés à un juge des libertés et de la détention dans les douze jours suivant leur hospitalisation.

Comment s’est construit votre engagement patient ?

 

Lors de ma première hospitalisation en 2015, je me suis rendu compte que 90 % des gens qui étaient avec moi n'avaient pas de famille, ou bien avaient perdu leur travail et leur logement à cause de leur hospitalisation. Ils étaient ce que j'appelle des oubliés, et j'ai réalisé que j'avais de la chance. J'en ai eu honte. De par mon éducation, j'ai toujours été dans des milieux associatifs. Ma famille est un modèle pour moi, ce sont des gens qui ont dédié leur vie aux autres. Je n'ai jamais manqué de rien alors que c’était loin d’être le cas pour mes parents, grands-parents, etc. Je me suis demandé quel était mon rôle et ce que j'apportais à la société. C'est un devoir pour moi. Il n'y a rien de religieux. J'ai la foi en l'humanité c'est tout. J'ai la foi en l'homme, malgré tout ce qui m'est arrivé.

 

 

Comment est né votre projet ?

 

Lors de ma deuxième hospitalisation en centre expert bipolaire, j'ai pris le temps d'échanger avec les autres patients sur ce qu'il existait à l'extérieur comme aide. Je me suis rendu compte qu'il n'y avait rien qui me ressemblait. J'ai commencé à penser que la solution pour moi pouvait être « servir pour guérir ». C'est mon dicton. Mettre tous les aspects de la bipolarité au profit de la bipolarité. La créativité, le fait de faire plein de choses en même temps… Quand je me suis rendu compte de ça, depuis l'hôpital, j'ai fait mon coming-out de bipolaire en vidéo sur les réseaux sociaux. Je voulais créer un endroit où les gens seraient bien, où il y aurait des idées, du partage d'expériences. J'ai pris un an, avant de dire qu'il n'y avait rien, pour aller dans tous les lieux existants dans Paris. Je respecte très bien ce qu'ils font mais je trouve qu'il n'y a rien pour les jeunes. En créant La Maison Perchée (avec mes cofondatrices Caroline, Lucille et Victoria), je me suis imaginé ce que j’aurais voulu trouver à ma sortie d’hospitalisation, tout simplement.

Pouvez-vous nous présenter La Maison Perchée ?

 

C'est le paradis ! Non je plaisante. L’objectif de La Maison Perchée est double : un accueil physique dans un lieu dédié – que nous cherchons encore – et un accueil en ligne pour les gens en région ou qui n’ont pas le temps. La Maison Perchée est spécialisée pour les 18 / 40 ans et surtout non médicalisée. Elle est gérée par les personnes concernées et s’adresse aussi aux proches. Nos activités s’organisent en intra-Maison et extra-Maison. Dans la partie intra-Maison, la Canopée propose tout un panel d'activités centrées sur le rétablissement. À chaque fin de Canopée, on propose aux participants de devenir eux-mêmes animateurs et ainsi pair-aidants après une formation maison. Cela fonctionne très bien, et c’est motivant et encourageant pour la suite. Attention, ce n'est pas du soin, c'est du rétablissement, c'est très important. Les Nids sont des échanges « one to one ». Le « Nid » de base, ce serait quelqu'un qui vient d'être diagnostiqué bipolaire et qui va m'appeler, moi, une heure. Je ne suis pas psy mais j'écoute, et je comprends parce que j'ai un vécu similaire. C'est de la pair-aidance.

 

Les « Perchoirs » sont des groupes de parole, par thématique : bipolarité, schizophrénie… et des ateliers, thérapeutiques (yoga, nutrition), ou à visée plus sociale (apprendre à faire un CV, à prendre la parole publiquement, à monter une association). Les « Grands perchoirs » sont des webinaires sur des thématiques comme « le handicap et l’emploi », « comment parler de ses troubles à ses proches ». Enfin, les « Piailleries » sont un espace de création. Nous avons aussi des activités extra-Maison qui visent à déstigmatiser la maladie mentale : création de contenus, sensibilisation dans les entreprises et les écoles, mobilisation auprès du grand public, partenariats en milieu hospitalier… Après deux ans d’existence, La Maison Perchée est un succès, avec plus de 120 Nids dans l’année et une bonne liste d’attente !

Quels sont vos partenaires ?

 

Nous sommes très soutenus au niveau politique, même si cela fait trois ans que nous cherchons un lieu. Nous avons un conseil consultatif, constitué d'experts vers qui nous nous tournons sur des sujets importants comme le rétablissement. Dans ce conseil nous avons par exemple Jean-Victor Blanc, un jeune psychiatre assez célèbre, Alain Morel, psychiatre, Lucie Caubel, qui a créé Hello Handicap, et d'autres, qui sont là si besoin, viennent à nos AG, nous encadrent. Mais ce sont des consultants, c’est-à-dire qu'ils nous laissent gérer nous-mêmes. Du fait que nous avons levé beaucoup de fonds, nous sommes tenus à une certaine rigueur, à tenir nos objectifs, nos engagements auprès des fondations qui nous soutiennent. Et c'est une bonne chose, on se professionnalise. Nous sommes plusieurs à être salariés, cela a bien évolué. Mon rêve est de pouvoir un jour rémunérer chaque personne (dans le besoin) donnant de son temps à La Maison Perchée.

 

 

Quels sont vos objectifs à venir ?

 

Avant tout, c'est l'ouverture du premier lieu en 2022. Je me projette un peu loin, mon rêve est d'en ouvrir un peu partout en France. Nous voudrions également refaire tout notre site Internet. On a une équipe dessus en ce moment. À l'horizon début février, les gens auront un « espace membre », dans un intra-site où se trouveront l'agenda de leur activité, des forums, des chats, un wikiperché pour apprendre à faire certaines choses chez soi.


 

Le mot de la fin ?

 

Je voudrais dire « n'oubliez pas de parler de psychiatrie, ça peut sauver des vies ». Il y a 2 % de bipolaires et 1 % de schizophrènes dans la population, ce sont les statistiques officielles françaises. La priorité du prochain quinquennat devra être la santé mentale des Français. J'insiste aussi sur un point : on me dit souvent, après avoir entendu une interview, que je suis guéri. Non, je suis rétabli. On ne guérit pas, j'ai un traitement, des effets secondaires. C'est un vrai handicap, les gens ont tendance à l'oublier. La guérison existera peut-être le jour où les laboratoires se mobiliseront. La psychiatrie concerne 12 millions de personnes en France, ne l’oublions pas.

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