CECILE REBOUL, fondatrice de Skin, engagée pour la résilience

Sylvie Favier • janv. 13, 2022

Se réinventer dans un duo artistique ou sportif


Cécile Reboul

Fondatrice de l'association Skin


Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?


J’ai travaillé plusieurs années dans la communication écrite, pendant lesquelles j’ai eu de grandes difficultés à être enceinte. J’ai arrêté de travailler quelques années après la naissance de mes enfants et en 2007, j’ai eu un cancer du sein hormono-dépendant, auquel les nombreuses stimulations hormonales que j’avais subies n’étaient sans doute pas étrangères. Après les traitements, j’ai abandonné mon métier d’origine pour créer Skin, qui a été une véritable bouffée d’oxygène. Je m’y suis investie sans renoncer à mon appétence pour l’écriture ; je me suis sentie heureuse.


A quel besoin l’association répond-elle ?


A la suite de mon cancer, j’ai fait le constat que la période la plus difficile venait après la période des soins. A ce moment-là, on attend de vous que la vie reprenne son cours comme avant ; le plus dur est censé être derrière vous, on cesse de vous accompagner.

Or, on ne sera plus jamais celle ou celui qu’on a été. Confronté à l’incompréhension d’autrui, on est en proie à une souffrance invisible, on s’isole, rongé par la culpabilité d’aller mal alors qu’on est en vie. Une étude conduite par une psychothérapeute et un oncologue de l’Institut Curie sur un panel de 1000 femmes faisait état d’un délai de 9 à 12 mois après la fin des traitements avant que la personne se sente le droit de demander de l’aide alors que les séquelles d’un cancer peuvent durer jusqu’à 25 ans après le diagnostic, d’après le dernier rapport de l’Observatoire sociétal de La Ligue contre le cancer. Le coût que cela représente pour la société en fait un vrai sujet de santé publique.


Les quelques initiatives associatives dans l’après cancer concernent généralement la reprise du travail.  Mais il manquait une étape : celle du retour à soi, qui est une nécessité absolue avant de pouvoir retourner aux autres.  C’est à ce no man’s land, entre maladie et résilience, que Skin (dont le nom a été choisi par référence à l’extraordinaire capacité de régénération de la peau) s’intéresse.



Quel est le concept de Skin ?


Le modèle de Skin, dont l’objectif premier est de restaurer le lien avec l’autre, est né de ma propre expérience : ma rencontre avec la photographe et cinéaste Karine Zibaut, à ce moment charnière où tous les repères abolis par la maladie sont à reconstruire et où les mots ne suffisent plus. Grâce à cette amitié, la dépression, le repli sur soi ont progressivement cédé la place à une extériorisation des émotions, à une créativité propice à la métamorphose : réparation, réalignement avec les valeurs profondes, renaissance. 


Skin provoque la rencontre entre une personne qui a été touchée par le cancer et un(e) artiste ou un sportif. Ensemble, ils vont cocréer une œuvre ou accomplir une performance qui va se façonner librement, évoluer à son rythme en se nourrissant de l’un et de l’autre. C’est une expérience inédite dans laquelle la personne en souffrance va pouvoir libérer ses émotions, prendre du plaisir, mettre à distance son image intérieure détériorée par la maladie. L’artiste ou le sportif, qui va l’accompagner pendant un an sur le chemin de la reconstruction, est le premier à lui reconnaître tacitement le droit d’avoir mal dans son cœur et dans son âme.


Skin tient le rôle de passeur et de tuteur de résilience jusqu’à la finalisation de l’œuvre ou de la performance ; elle restitue ensuite le fruit de cette collaboration auprès du grand public (sous forme de spectacle, d’exposition, etc.) et au sein des hôpitaux, en même temps que le « carnet d’inspiration» qui témoigne de toutes les étapes de son évolution. La gratification au travers de la mise en visibilité est un maillon déterminant dans le renforcement positif de la personne. Elle enclenche un cercle vertueux qui emmène patients et soignants à la fois ; c’est aussi le moment où un nouveau dialogue se noue avec l’entourage. C’est fantastique !

Comment se construisent ces partenariats ?


Une première étape consiste à identifier avec la personne le projet artistique ou sportif qui lui convient. Ensuite il nous appartient de trouver l’artiste qui l’accompagnera et de nous assurer que le duo va « matcher ». C’est presque toujours le cas, car Le projet résonne auprès de nombreux artistes. Au tout début, ne venant pas de ce milieu, j’ai fait appel aux quelques artistes que des amis ou amis d’amis connaissaient. Certains se sont engagés spontanément. Le bouche à oreille a fait le reste. 
Nous avons aujourd’hui des binômes partout dans l’hexagone, dans tous les domaines de l’art : culinaire, pictural, littéraire, cinématographique…



Quels ont été les facteurs de réussite de cette démarche ?


La reconstruction a besoin de douceur :  je suis opposée au vocabulaire guerrier, d’exhortation au combat qui entoure généralement le cancer parce que l’expérience montre que le succès réside dans la rencontre humaine, le plaisir, le temps, le partage, la bienveillance. Skin est une famille sécurisante et l’équipe représente un facteur de protection supplémentaire.  Le bien-fondé de la méthode est corroboré par les signes successifs de reconnaissance qui nous ont été manifestés et qui sont autant d’encouragements à poursuivre.


D’après le Pr Bernard Anselem, neuropsychiatre et parrain de l’association, notre modèle est un véritable soin de support, qui s’inscrit totalement dans une nouvelle branche de la psychologie, appelée ACT (acceptance and commitment therapy). Le neuropsychiatre et psychologue Serban Ionescu, qui a développé le concept de résilience assistée, m’a du reste invitée à intervenir au 5ème Congrès International de la résilience, qui s’est tenu en visioconférence de Yaoundé en mai dernier, pour présenter la méthodologie Skin. Enfin, j’ai été élue femme de santé 2020 par le collectif « Femmes de Santé » et depuis peu, nos bureaux ont été accueillis au sein du Philanthrolab, premier lieu philanthropique en France et premier incubateur d’associations et de fondations en France.

Quelles perspectives pour Skin pour l’année à venir ?


Notre modèle de binômes artistiques se poursuit, avec une ouverture nouvelle au monde de l’entreprise. Pour la première fois en 2020, nous avons associé des « femmes Skin » à des artisans du luxe, collaborateurs de la Maison Chanel, pour la création de vêtements, de parfums ou de bijoux. 
Nous reprenons pour nos membres les opérations de resocialisation qui avaient été mises en sommeil pendant la crise sanitaire : sorties culturelles (théâtre, musée…) et ateliers collectifs (créatifs, sportifs, bien-être). 


Nous créons des « after Skin », qui sont des rencontres physiques où chacun peut parler librement et sans tabou de n’importe quel sujet, si sensible et intime soit-il.
Pour sensibiliser davantage l’opinion publique sur l’après, nous avons lancé un cycle de conférences, à raison d’une par mois, animées par des personnes que nous avons choisies pour le modèle de résilience qu’elles représentent, dans d’autres domaines que celui du cancer. La première devait se tenir le 13 janvier au Philanthrolab avec une personnalité des jeux paralympiques, mais la recrudescence du virus nous oblige à la différer. Nous sommes également très heureux d’avoir obtenu l’accord de principe des négociateurs de la BRI (Brigade de recherche et d'intervention) qui sont intervenus lors des attentats du 13 novembre 2015, pour une prochaine session.


Enfin, dernières nouveautés : d’une part, nous lançons un accompagnement à la reconversion professionnelle pour nos bénéficiaires, d’autre part, les adhésions sont désormais ouvertes aux aidants, qui sont les premiers à subir les effets collatéraux des dommages du cancer.

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