LAURE GUEROULT ACCOLAS, fondatrice de réseaux sociaux privés pour les malades du cancer

Damien Dubois • janv. 31, 2022

Grâce au digital, une ancienne patiente du cancer permet aux patients et leurs proches de gommer les distances et faciliter le quotidien face à l’épreuve de la maladie.


Laure Guéroult-Accolas

Directrice de Patients en Réseau

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?


J’ai 51 ans. Je suis pharmacien de formation, comme mon mari. Pour son travail, nous avons vécu dans différents coins de France et à l’étranger jusqu’à mon cancer du sein, découvert l’été de mes 39 ans en plein déménagement entre la Pologne et la Turquie. J’ai travaillé dans l’industrie pharmaceutique, dans la répartition pharmaceutique et les études de marché. En Pologne, j’avais monté ma structure que j’aurais dû continuer en Turquie. Je ne m’attendais pas du tout à tomber malade alors que je n’avais pas l’âge du dépistage… Un parcours de soins compliqué, entre la France et la Turquie dont je ne connaissais rien et encore moins la langue…. Une épreuve par ricochet pour toute ma famille, mes enfants encore très jeunes : leur soutien a été majeur pour garder le sourire et fêter mes 40 ans sur les bords du Bosphore !

 

En rentrant en France, au début de l’hormonothérapie, j’ai pu échanger avec d’autres femmes à la « Maison des patients ». Nous nous étions installés dans une banlieue que je ne connaissais pas. J’ai réalisé qu’à 3h d’avion, 1h30 de train ou 45 minutes de RER du centre de soins, l’isolement est le même : on ne peut pas revenir pour bénéficier des propositions de support, des activités des associations… J’ai compris que nous étions finalement très nombreuses à être nous être senties seules, souvent incomprises, et que nous étions trop souvent passées à côté d’informations utiles dans notre parcours de soins ou pour nous en remettre….

En échangeant avec un ami pharmacien, je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire pour accompagner les patientes, permettre l’échange entre pairs, diffuser la bonne information, faire connaître les bons interlocuteurs pour faciliter le quotidien des patientes mais aussi de leurs proches. Le projet de réseau social Mon réseau cancer du sein est né ainsi. Avec le digital, nous voulions gommer toutes les distances et permettre à tous d’échanger quel que soit le lieu de vie, de soins ou l’étape de la maladie.



Comment le projet s’est-il concrétisé ?


Nous avons réfléchi au modèle. La start-up était tentante au regard de la solution développée, avec une nécessité de fonds importants. En effet, nos utilisateurs ont les mêmes exigences de facilité d’usage et d’efficacité que pour les réseaux sociaux internationaux…. Pour autant, en France, la structure associative, relativement rapide à monter, était plus adaptée pour l’interaction avec tous les acteurs de la santé : elle nous permet d’interagir avec les soignants, les chercheurs, les institutions, l’industrie pharmaceutique et les sociétés privées, les start-up…. et même quelques responsables politiques !

Ainsi nous répondons à un besoin différent et complémentaire des associations de patients de proximité mais aussi des grands réseaux sociaux en créant des réseaux privés, cocons accueillants, bienveillants, rassurants, qui sont animés et modérés par des patients-partenaires et des bénévoles. Depuis 2014, nous avons créé quatre réseaux dédiés au cancer du sein, gynécologique, du poumon et colorectal.

 

Avoir choisi le modèle associatif ne nous a pas empêche d’être très mobilisés par le monde du numérique, de l’innovation et de suivre de près les évolutions dans les parcours de soins en cancérologie. La première start-up avec qui nous avons collaboré est We Fight, pour la création de l’assistant virtuel Vik Sein puis Vik Poumon. Depuis 2017, autour du virage ambulatoire, nous participons avec Continuum+ à une belle histoire, le développement des parcours d’accompagnement AKO.


 

Quelle est cette histoire ?


A la suite de Cancer@dom, travail remarquable et inspirant mené en 2016 par l’AF3M et Cancer Contribution, nous avons réfléchi aux problématiques du virage de l’ambulatoire, en particulier pour accompagner les personnes en situation métastatique, au moment de l’instauration de leur thérapie orale en ville. C’est en effet beaucoup plus compliqué qu’on ne le pense de devoir auto-gérer son, voire ses traitements, repérer les potentiels effets indésirables, savoir vers qui se tourner pour les gérer…


En 2017, j’ai participé à un “Défi Santé Numérique” qui donnait la parole aux soignants hospitaliers, de ville et aux patients sur le “virage ambulatoire”. Une démarche de coconstruction et d‘échanges sur différents projets puis un jury pour retenir les meilleures propositions. J’y ai rencontré Guillaume Gaud, créateur de Continuum+ qui présentait AKO@dom qui a remporté le coup de cœur de notre jury. C’était la seule proposition qui alliait l’innovation digitale et l’accompagnement humain des malades, particulièrement les plus fragiles, vulnérables ou complexes, avec leur infirmière de proximité pour qu’au domicile elle fasse le lien avec les autres soignants : oncologue, infirmière de coordination, médecin traitant et pharmacien. Nous avons alors entamé une collaboration pour construire et mettre en place le premier pilote des parcours AKO@dom.


En tant qu’association, nous avons décrit et conceptualisé les besoins des patients et échangé sur les besoins des soignants hospitaliers et de ville, notamment le médecin traitant et le pharmacien d’officine qui délivrent les traitements et les infirmières de proximité, formées spécialement pour venir en soutien du patient. Ensemble, nous avons dessiné les étapes du parcours, les cibles, de façon à répondre à des besoins de terrain avec toujours comme priorité la qualité de vie et de soins du patient mais sans oublié les besoins d’interactions entre les professionnels pour faciliter suivi et coordination.


Cette collaboration est assez unique. En cancérologie, nous sommes d’ailleurs la première association de patients à coporter une expérimentation article 51 destinée à évaluer de façon complète ce type d’innovation tant sur les bénéfices individuels qu’organisationnels et médico-économique. La finalité est que plus de patients puissent être accompagnés dans l’instauration de ce type de traitements (thérapies orales, immunothérapies et combinaisons). Nous croyons que des solutions coconstruites avec tous les partenaires concernés apportent de l’efficience et de la pertinence. N’oublions jamais que le patient, l’humain donc, est au cœur du parcours de soins quelle qu’en soit la complexité et la qualité thérapeutique.

Comment cet engagement se combine-t-il avec une vie professionnelle ?


Après les traitements, de retour en France, j’ai hésité à retourner dans l’industrie mais cela ne me motivait plus. Finalement, mon action au sein de l’association participe à l’accompagnement des patients comme un pharmacien participe à l’accompagnement du médicament. Les formations que j’ai suivies à l’Université de Patients m’ont confortée dans cette position d’accompagnement. Très rapidement, le temps consacré à l’association n’était plus compatible avec un statut de présidente bénévole. Nous avons fait le choix en 2019 que je devienne directrice. Cela m’assure une stabilité et une continuité dans l’action et aussi une certaine légitimité de ce parcours personnel, de formation, d’actions.


 

Quels messages donneriez-vous à ceux qui veulent s’engager ?


Allez-y ! Quelle que soit la forme, cela fait un bien fou, que ça soit ponctuel, ou plus régulier, dans un projet associatif ou professionnel. L’énergie de l’engagement est très positive, constructive, soutenante, valorisante. Elle redonne confiance en soi. S’engager en rebondissant sur son expérience de la maladie participe à cicatriser, se rétablir en trouvant du sens et se tourner vers les autres procure de la joie. Et aujourd’hui, pour les personnes qui ont envie de creuser, les propositions de formations sont plus nombreuses.

 

J’ai beaucoup apprécié retourner sur les bancs de la fac, réfléchir avec d’autres patients et soignants sur ce qui nous tient à cœur et comment transformer cela en actions. Le modèle associatif et celui de l’engagement évoluent. Les patients engagés arrivent avec leur parcours de la maladie mais aussi leur bagage personnel et professionnel. Ils ne sont pas interchangeables. Il y a de nombreuses places pour eux pour accompagner les parcours de soins en pleine évolution ! 

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