MARIE-FRANCE LALANDE, patiente ressource à la suite d’un Locked-In Syndrome

Damien Dubois • févr. 07, 2022

Conceptrice du langage visuel "Clin d'œil à la Vie" pour les personnes qui n’ont plus que leurs yeux pour parler


Marie-France Lalande

Créatrice de clin d’œil à la vie

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?


Je suis mariée depuis 42 ans. Nous avons eu 4 enfants adoptés dans le monde entier et nous habitons Carcassonne. Juriste en droit de la santé, je me suis très tôt engagée dans des actions sociales et humanistes, dans le champ de la démocratie en santé, avant même d’être malade. J’ai travaillé longtemps dans l’aide à la réintégration des personnes sorties du système, notamment de l’emploi. J’ai aussi participé à la création d’un EHPAD expérimental pour des personnes handicapées. J’ai aussi dirigé une association d’intégration sociale et professionnelle et créé création d’un centre de préparation d'élèves infirmières, aides-soignantes, éducateurs spécialisés...

 

En 2016, après une fatigue sans signe clinique clair, mes jambes m’ont lâchée. Après 48h en médecine générale, où on m’a pris pour une hypocondriaque, j’ai insisté pour voir un neurologue qui a diagnostiqué un Guillain-Barré. J’étais progressivement en train de devenir tétraplégique. J’ai été trachéotomisée. Je suis restée deux mois en situation de Lock-in Syndrome, sans pouvoir émettre un son, ou bouger autre chose que les paupières. J’ai eu la chance de m’en sortir grâce à des bons soins médicaux et des proches extrêmement présents. J’ai progressivement tout récupéré au prix d’une rééducation intense ; alors que, selon les médecins, dans le meilleur des cas, je devais finir en fauteuil. D’ailleurs, à ce moment-là, cela me paraissait déjà fabuleux. J’ai réappris à écrire, à manger, à me tenir assise, à marcher. Et depuis, je suis astreinte, et c’est un plaisir, à beaucoup de marche.

Comment s’est concrétisé cet engagement ?


J’ai d’abord écrit un « manuel pratique », de conseils aux aidants de personnes dépendantes, quelle que soit la pathologie. J’ai commencé seule pour ne pas déformer mon vécu avec un relevé de mes souvenirs, de mes besoins puis et j’ai parlé à d’anciens malades pour compléter. Il n’y a pas à ma connaissance d’association active concernant spécifiquement le Syndrome de Guillain Barré, maladie qui m’a affectée, juste des groupes de Facebook, mais l’Association Française des Neuropathies. Périphériques AFNP. Ces groupes et l’association m’ont été utile pour mieux comprendre ce qui m’était arrivé. « Accompagner un patient très dépendant » est donc sorti en mai 2021 chez Chronique Sociale, un éditeur avec qui nous nous sommes tout de suite compris. Nous étions sur la même longueur d’onde humaniste.

En parallèle, j’anime des formations, principalement pour les aides à domicile qui travaillent avec les proches. Les équipes font un travail colossal mais sont en manque d’outils pour communiquer même à minima et ont besoin de prendre conscience des réalités que vivent ces patients au quotidien.


Avant même la sortie du livre, j’ai commencé à travailler sur un dispositif de communication. Lorsque j’étais en état de Locked-In Syndrome, je n’avais qu’un document carton avec l’alphabet et quelques mots. Seul mon mari acceptait de s’en servir. J’ai constaté qu’il n’existait rien dans le monde qui puisse répondre à ce besoin de manière simple et accessible. Or, 600 000 patients sont concernés en France par un AVC, Parkinson, SEP (Sclérose en plaques), SLA (Charcot). En fin de vie même pour quelques jours, ils doivent pouvoir vous dire encore qu'ils vous aiment. 


J’ai ainsi créé un dispositif Clin d’œil, un langage des yeux, un dispositif de communication par langage visuel codé, simple, sur carton lavable, à disponibilité du patient avec un tutoriel vidéo. La base de données est issue des mots dont j’avais besoin, croisés avec les plus utilisés dans la langue française et le dictionnaire de la langue des signes. Pour développer ce projet et aider un maximum de patients à communiquer dans de bonnes conditions, je voulais créer une association mais ce statut n’était pas assez réactif et fonctionnel.  Avec mon mari, nous avons créé une SAS, soutenue localement, dans laquelle, nous ne faisons qu’injecter de l’argent mais qui nous permet d’avoir les mains libres.

Quels sont les retours et les prochaines étapes ?


Le livre a été très bien accueilli par les proches, désemparés et en quête de solutions pour accompagner leur proche. L’outil de communication n’est pas difficile à mettre en place, notamment grâce au tutoriel vidéo. Mais je me suis rendu compte qu’il était nécessaire de former les soignants à son utilisation. Les premières personnes à qui je l’ai envoyé n’utilisaient qu’une partie des fonctionnalités. J’ai proposé de former les soignants de mon hôpital. J’ai d’ailleurs passé moins de temps à expliquer l’outil que de parler du vécu du patient, de l’importance de la communication.

 

Je reste fatiguée et ne peux pas me permettre de faire toutes les formations moi-même. Je suis donc en train de finaliser des sessions de e-learning, d’ici un mois. Je voudrais pouvoir transmettre la solution clés en main à une association, un service, un partenaire. La formation est certifiée Qualiopi et devrait être prochainement éligible au CPF.


 

Quels ont été les facteurs de réussite ?


Un des enjeux a été le travail préalable de communication avec des partenaires très intéressants comme le Festival de la communication santé, dont nous avons eu le Prix Coup de Cœur 2020 dans la catégorie Communication Médicale pour les professionnels de santé pour le dispositif  Clin d’œil. Suite à la médaille du Concours Lépine en 2019, la Société Elwood a offert gracieusement ses compétences : création du logo, de l'affiche, du flyer, de la vidéo de présentation, et bien sur toute la conception du chevalet. J’ai eu de la chance de faire de belles rencontres.

 

Par ailleurs, je suis aussi nourrie par mon investissement dans différentes associations (UDAF11, APF11, UNAFAM11) et mes mandats de représentants des usagers dans quatre établissements de santé (clinique médecine, chirurgie, obstétrique, Soins de suite et de réadaptation, et santé mentale).

 

En 2021, j’ai voulu compéter ma formation et intégrer la Faculté de Médecine La Sorbonne Paris afin de préparer un Diplôme Universitaire de Démocratie en Santé et devenir Patient Expert, même si je préfère le terme de Patient partenaire. Puis, j’ai eu l’opportunité de suivre la Master class Groupe d'Analyse de Pratiques Expertise Patient et la formation de Patients Formateurs pour avoir une légitimité auprès des instituts de formations.


 

Quels messages donneriez-vous à ceux qui veulent s’engager ?


Nous avons grandement besoin de patients qui s’engagent. Les soignants ont besoin d’entendre une autre voix, de visualiser une autre approche du soin. Nous avons notre place comme représentants des usagers dans les structures de soins, et dans le médico-social. Dans les EHPADs, on en parle beaucoup aujourd’hui mais c’est tristement d’actualité depuis très longtemps.

 

Je crois par ailleurs, que nous devrions réfléchir à l’éthique et la déontologie de cette forme d’engagement. Il serait dommageable que le risque de déviance de l’un desserve la cause dans son ensemble. Une charte éthique et déontologique de l’expertise patient pourrait être intéressante à réfléchir.

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