MARGOT TURCAT, enseignante et auteure de « Mon petit AVC »

Sylvie Favier • févr. 21, 2022

Un AVC à 33 ans : une BD pour expliquer


Mon petit AVC

Margot Turcat

Auteure de "Mon petit AVC", chez Larousse

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

J’ai 36 ans, j’habite à Bordeaux, je suis professeure d’arts plastiques et maman d’un petit garçon qui a aujourd’hui 4 ans. Il y a 3 ans, alors que je ne présentais aucun facteur de risque - pas de tabac, d’alcool, de tension artérielle, de surpoids, de cholestérol, de sédentarité, de diabète, etc. - j’ai été victime d’un AVC. J’étais perturbée par un post-partum difficile et beaucoup de stress professionnel, la période des conseils de classe me prenait du temps après les cours, j’en oubliais de manger correctement, alors j’ai cru à de l’hypoglycémie, avant de comprendre qui m’arrivait. Mais compte tenu de mon âge, 33 ans, je me suis heurtée à l’incrédulité des services de secours, qui ont conclu à une migraine avec aura. C’est grâce à l’insistance de mon père, pharmacien, que j’ai fini par être transportée à l’hôpital, plus de 4 heures après les premiers symptômes.  
Il en a résulté de nombreuses séquelles immédiates : une aphasie avec agrammatisme et dyssyntaxie (je tenais un discours incompréhensible, les mots dans le désordre), un débit de parole très ralenti, une immense fatigue.   
D’autres séquelles sont apparues plus tard : d’abord une hémiparésie, puis au fil du temps, des troubles cognitifs, des douleurs neuropathiques. Et bien après, une apraxie de la parole, avec des crises de mutisme récurrentes toutes les 4 à 6 semaines, puis des hyperesthésies, c’est-à-dire une hypersensibilité, à la lumière, au bruit et aux odeurs.  


Devenue incapable d’enseigner devant une classe, je n’ai repris le travail que très récemment, en tant que professeur-correcteur au CNED (Centre national d’enseignement à distance). 

Quand et comment vous est venue l’idée de raconter votre histoire dans une BD ?  


J’ai été hospitalisée pendant 5 mois et demi dans un centre de rééducation, et je me demandais comment j’allais expliquer mon absence à mon fils qui n’avait que 14 mois au moment de l’AVC. Faute de mots, que je ne pouvais écrire ou prononcer, j’ai eu l’idée de dessiner mon histoire. J’ai publié ces dessins sur un compte Instagram, pour que mes proches puissent eux aussi comprendre ce que je vivais. Mais très vite, et contre toute attente, l’impact a dépassé le cercle amical et familial : on m’a beaucoup écrit, posé de nombreuses questions… Jusqu’en octobre 2020 où, sans qu’aucune démarche de ma part ne le laisse présager, j’ai été contactée par Larousse qui m’a proposé d’en faire un livre. En fait, il n’existait aucun ouvrage grand public sur l’AVC et un grand nombre de personnes, confrontées directement ou indirectement à la maladie, étaient en recherche d’information.


Avec l’éditeur, nous avons tracé une ligne directrice et pendant toute la durée de ma rééducation, j’ai décrit en dessins mon quotidien avec les soignants, leur rôle, ce qu’ils m’apportaient. J’ai voulu donner à ce livre une structure pédagogique. D’une part, illustrer ce que recouvrent des termes tels qu’aphasie, douleurs neuropathiques, hémiparésie, troubles cognitifs associés, etc., en retraçant parallèlement une situation de vécu. D’autre part, expliquer mon parti-pris de ne rien cacher à mon fils, si petit soit-il. Tout dans le livre est 100% réel, rien n’est édulcoré ni romancé.



Quelles ont été les retombées de cette publication ?


Le livre s’est très bien vendu et il a touché non seulement les patients et leurs familles, mais aussi les médecins. Je suis citée dans les bibliographies des facs de médecine, de psychologie, de neuropsychologie, dans les écoles d’infirmiers et aides-soignants, d’orthophonie… On m’avait d’ailleurs demandé, avant le Covid, d’intervenir dans certains de ces instituts. Je suis sollicitée pour prendre la parole sur le sujet, comme cela a été le cas récemment dans une conférence avec le Dr François Rouanet qui est neurologue à Bordeaux dans l’unité hospitalière où j’ai été prise en charge.


Des vidéos de témoignage ont été réalisées pour Le Parisien, Doctissimo et pour la promotion du livre, dont une avec Konbini, qui totalisait plus d’un million de vues lors du dernier relevé. Le Huffington Post m’a demandé de rédiger une chronique dans sa rubrique « Life », un vrai challenge pour moi qui avais les pires difficultés à écrire !
J’interviens dans une classe de BEP Carrières sanitaires et sociales, et le mois prochain, avec l’association
AVC Tous Concernés, nous allons mettre en œuvre une campagne de prévention auprès des élèves de l’établissement scolaire dans lequel j’enseignais. Tout cela participe de ma rééducation car pour moi, le coût cognitif est considérable.

Mon Petit AVC

Quels sont selon vous les facteurs d’un tel succès ?

 

Un AVC à mon âge, on n’y croit pas ! Les victimes ont en moyenne plus de 70 ans (10 % seulement ont moins de 50 ans).  Ce livre répond déjà à une question qu’on n’ose même pas se poser !


Et puis, je n’ai pas voulu m’enfermer dans une bulle de tristesse ou de colère : en abordant la situation avec l’humour qui est dans ma nature, en racontant des épisodes positifs de mon parcours (comme le lien d’amitié qui s’est créé avec ma voisine de chambre, pourtant beaucoup plus âgée que moi), j’ai voulu montrer que les pires événements peuvent générer des moments agréables. Je crois que cette approche a plu.



Quelle suite avez-vous envie de donner à cette histoire ?


Si Larousse accepte de me suivre, je voudrais publier un volume 2. Le volume 1 décrit la partie la plus facile : le centre de rééducation, c’est le Club Med de l’hôpital ! On est entouré, on se repose sur les soignants. En revanche, le retour à la vie réelle est d’une violence inouïe.


J’aimerais raconter cette deuxième phase : la complexité des démarches administratives, la difficulté du retour à l’emploi, de la conciliation vie quotidienne et rééducation, la réorganisation de la vie familiale et la complication pour les aidants, qui sont des victimes collatérales invisibles… 

Cet accident cérébral a réécrit le reste de ma vie, j’ai expérimenté une des rares lacunes des services d’urgence (il faut reconnaître que dans la plupart des cas, tout fonctionne très bien), l’absence de reconnaissance de l’erreur de diagnostic, les lenteurs et les failles des systèmes administratifs (mon handicap n’a pas été reconnu car mon dossier auprès de la MDPH n’a pas été traité dans les temps), le désastre de la gestion du handicap...


Le ressentiment ne me rendra pas la santé, mais un « parler vrai » pourra peut-être conduire à une meilleure prise en charge.

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