LEWIS LAILLE, fondateur et trésorier de l’association Taputea Ora Santé Mentale Polynésie

Damien Dubois • févr. 09, 2023

Taputea Ora, un arc-en-ciel de vie en polynésien, pour que ceux qui vivent avec un trouble psychique puissent reconquérir leurs habiletés et leurs forces

Lewis Laille

Lewis Laille

Fondateur et trésorier de l’association Taputea Ora Santé Mentale Polynésie

Pour commencer, pouvez-vous vous présenter brièvement à nos lecteurs ?


J’ai 69 ans et je suis travailleur social retraité depuis 9 ans. Tout au long de ma carrière professionnelle je me suis engagé auprès d’associations de divers secteurs ; j’ai eu l’occasion d’en accompagner plusieurs centaines. Durant ma carrière, j’ai exercé de nombreux métiers (responsable administratif et financier, animateur culturel,  enseignant, formateur, travailleur social, chef de service, conseiller socio-éducatif et conseiller technique), j’ai poursuivi ma formation de travailleur social. J’ai été trésorier ou secrétaire bénévole dans deux associations qui interviennent en prévention des MST et auprès de personnes atteintes du sida et dans d’autres associations du secteur social. Je suis toujours membre actif. Je suis toujours impliqué dans des associations qui interviennent dans le domaine de la maladie d’Alzheimer, des troubles psychiatriques et j’apporte occasionnellement mon aide à une association dans le domaine des soins palliatifs.


Je suis aidant de ma petite sœur âgée de 59 ans, diagnostiquée il y a environ 40 ans, d’abord avec des troubles schizophréniques, puis des troubles bipolaires et ensuite des troubles schizo-affectifs... J’ai connu l’époque où les patients étaient amenés à l’hôpital psychiatrique en camisole, enfermés pour de longues durées. A l’époque, je pensais que l’on ne pouvait soigner les pathologies psychiatriques sévères que par des traitements médicamenteux et avec des internements fréquents en milieu hospitalier.

Comment est né votre engagement ?


Dans le cadre de ma formation de travailleur social, j’ai fait un stage au sein de l’ancien hôpital psychiatrique, en prison et aussi dans un centre d’enfants handicapés mentaux. Je me suis documenté sur le sujet des troubles de santé mentale pour compléter ma formation en travail social. Dans les années 2000, j’ai cherché en tant qu’aidant à trouver une association de soutien aux aidants et il n’y en avait pas à Tahiti. Aussi je me suis rapproché de l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (UNAFAM).


En 2017 et 2018, j’ai participé aux travaux d’élaboration du plan de santé mentale en tant que représentant de Polynésie Alzheimer. Les participants ont émis le vœu que soient créées des associations pour les usagers et les familles d’usagers qui pourront par la suite se rapprocher des associations nationales. J’ai donc sollicité leur aide pour créer une association polynésienne pour les familles et les aidants de personnes présentant des troubles psychiques.

Le département de psychiatrie nous a également soutenus lorsque nous avons créé notre association fin mars 2019. J’ai pris conscience du rôle important joué par les familles et l’entourage pour aider une personne à se rétablir et que les médicaments seuls ne suffisent pas. Et qu’il faut aussi un accompagnement avec des interventions qui permettent aux personnes d’aller de l’avant et de reprendre du pouvoir sur la maladie. 


 
Comment cela s’est concrétisé ?


Nous avons créé l’association Taputea Ora en 2019 avec les statuts de l’UNAFAM. Cela veut dire Arc-en-Ciel de vie. Nous avons intégré les 4 missions sociales de l’UNAFAM auxquelles nous avons rajouté la création et la gestion de structures, du fait qu’en Polynésie tout reste à faire dans ces domaines. Nous avons commencé par un état des lieux et faire part de nos souhaits et de nos projets. En dehors des interventions de l’hôpital psychiatrique, les familles sont souvent seules face à une prise en charge sur la durée. Il n’y a pas toutes les structures qui existent en métropole. Les rares structures qui accueillent les personnes concernées par les troubles psychiques sont saturées et ne peuvent accueillir qu’environ une centaine de personnes alors que le nombre de personnes suivies en consultation dépasse les 10.000 personnes. De plus, les hospitalisations sont de plus en plus courtes et leur durée moyenne tourne autour des 15 jours.


En période Covid et depuis le virage récent vers l’ambulatoire, la prise en charge s’est déplacée vers les familles sans que celles-ci soient formées et accompagnées pour que les choses se passent mieux à la maison. Pour beaucoup de familles, l’ambulatoire est perçu comme « famille débrouille-toi ».

En 2019, nous avions envisagé de faire venir des formateurs mais nous avons dû abandonner cette idée d’une part parce que nous n’avons pas obtenu d’aide, surtout en raison des mesures sanitaires restrictives dues à la Covid 19. Nous avions aussi été confrontés au fonctionnement en silos de nos administrations sanitaires et sociales. Du fait de l’équipement et des conditions en Polynésie, nous n’avions pas pu développer immédiatement des formations en visioconférence. Depuis 2022, nous avons réussi à mettre en place des interventions en distanciel.



Parlez-nous de vos premiers résultats ?


Nous avons donc adapté nos projets en fonction de nos moyens avec des activités qui mobilisent peu de moyens que ce soit sur le plan humain, financier et logistique. Donc des activités courtes, qui se répètent, qui peuvent être organisées par une toute petite équipe ou une personne seule (conférences et formations avec les médecins du département de psychiatrie et des psychologues du secteur libéral, groupes de parole, rencontres avec les familles…), pour aider à donner des repères et proposer des rendez-vous réguliers qui facilitent un accompagnement sur la durée. Nous avons essayé de les organiser régulièrement tous les mois.


Nous avons été très vite confrontés à la difficulté de trouver des salles. Il n’existe pas ici de maison des associations. La Covid nous a aussi obligés à arrêter nos activités. Or nous savons tous qu’il est nécessaire que l’accompagnement des personnes souffrant de troubles psychiques ne se fasse pas de façon épisodique et ponctuelle mais sur la durée et de façon fréquente et régulière.


Nous en avons profité pour créer notre site Internet grâce au FDVA (fonds de développement de la vie associative) et structurer notre fonctionnement et nos interventions et aussi pour chercher des financements. Nous avons ainsi pu répondre aux demandes d’information et de documentation des familles et permis aux personnes concernées de mieux comprendre ce qui leur arrive et mieux y faire face. Grâce à la Fondation de France, nous avons pu louer un local professionnel et embaucher une salariée à mi-temps pour expérimenter un projet innovant au bénéfice des familles et des personnes concernées par un problème de santé mentale.


Nous avons donc créé une structure de services en santé mentale, qui fonctionne toutes les semaines sur des plages horaires variables et adaptées aux personnes en fonction de leurs occupations. Nous profitons de l’occasion pour renouveler nos remerciements pour ce financement et nous espérons que le relais sera pris de façon pérenne par les services du Pays qui nous ont accordé des aides annuelles pour notre fonctionnement depuis 2022. A défaut, nous mettrons la clé sous la porte.

Taputea Ora Santé Mentale Polynésie

Aujourd’hui quels sont vos attentes et vos objectifs à venir ?


Il est urgent qu’une politique de prévention et de promotion de la santé mentale soit mise en place par le Pays, pour changer le regard de la population sur la santé mentale et les maladies psychiques et pour lutter contre la stigmatisation qui empêche l’accès aux soins. Il est nécessaire que la détection précoce soit mise en place pour que tout soit fait pour empêcher l’installation, le développement et la chronicisation des maladies. Et que les familles et les personnes concernées soient accompagnées dès le moment où elles découvrent le monde de la psychiatrie et tout au long de leurs parcours. 


Pour cette année 2023, nous avons réussi à constituer une équipe pour suivre des formations dans le domaine des premiers secours en santé mentale. Nous commençons aussi à développer l’entraide et le programme de psychoéducation, avec le Centre Hospitalier du Vinatier. Nous souhaitons réussir à mettre en place des dispositifs qui permettent de mener à bien nos missions sociales, et en particulier constituer notre propre équipe de formateurs accrédités pour les premiers secours en santé mentale et une équipe d’intervenants en psychoéducation.     



Qu’avez-vous envie de partager de votre expérience ? 


Depuis que je travaille bénévolement pour développer des dispositifs pour venir en aide aux familles et aux personnes concernées par les troubles psychiques, j’ai rencontré ou échangé avec un nombre de plus en plus important de familles et de personnes concernées par les troubles psychiques. Souvent, très souvent même, il y a beaucoup de détresse et de souffrance. Je sens même beaucoup de désespoir face à des situations anxiogènes où les familles se retrouvent vraiment seules.


Or, il est possible de se rétablir, de vivre une vie satisfaisante avec des difficultés en santé mentale, d’avoir un emploi, une vie de famille, et de donner un sens à son parcours… C’est dur, compliqué mais on peut vivre avec et on peut s’entraider pour vivre avec et prendre un nouveau départ. Ce n’est pas une question de volonté mais davantage d’accompagnement sur la durée pour aider la personne à trouver ses propres réponses, à trouver le déclic ou l’impulsion pour agir et aller de l’avant et reprendre du pouvoir sur sa vie pour se rétablir. 



Quel message voulez-vous passer aux personnes qui veulent s’engager ?


Nous souhaiterions nous adresser aux Polynésiens de souche, de cœur et d’adoption qui résident en Polynésie, en métropole et à l’étranger. Nous avons besoin de votre aide pour développer des services et des projets. Nous invitons ceux et celles qui font leurs études ou qui ont l’occasion de faire un long séjour en métropole à nous contacter. Nous avons besoin de personnes, bénévoles ou professionnelles, pour qu’elles puissent se former à l’accompagnement des personnes souffrant de troubles psychiques auprès de divers organismes en métropole et à l’étranger. Vous pouvez profiter de votre séjour pour vous former et ensuite revenir nous aider à monter en compétences et en technicité.

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