LAURENCE COTTET, patiente experte Addictologie

Albane Pariset • juin 03, 2021

Son combat contre l'alcool,

une expérience mise au service de patients au parcours semblable et de la prévention


Laurence COTTET

Patiente experte Addictologie

Laurence, pourriez-vous vous présenter en quelques lignes ?

Je suis une femme d’âge mûr, j’approche la soixantaine. J’ai eu un très beau parcours professionnel. Je viens d’un milieu bourgeois où l’alcool mondain est une habitude facile. J’ai une formation de juriste que j’ai suivie à l’Université de Droit de Lille II. L’alcool est très présent dans le milieu étudiant et c’est donc très jeune que j’ai débuté ma consommation excessive et régulière d’alcool. J’ai fait une carrière ascensionnelle dans le secteur du Bâtiment et des Travaux Publics (BTP), en gravissant de nombreuses marches avec succès. J’ai évolué dans un monde très exigeant, entourée d’hommes, où j’avais des difficultés à m’affirmer. Un monde du BTP où l’alcool est gratuit et à volonté mais cette consommation excessive, pendant plus de 15 ans, ne m’a pas empêchée de travailler, de réussir un beau parcours jusqu’à occuper le poste de cadre supérieur de Directeure des Risques dans le Groupe Vinci Construction France. Le 24 janvier 2009, lors d’une cérémonie des vœux,  je me suis effondrée ivre morte devant 650 cadres de haut niveau. J’ai terni l’image de marque du Groupe, perdu la confiance de mes supérieurs hiérarchiques et mon licenciement n’a pas pris plus de trois jours. Toutes les portes pour m’aider sont restées fermées : 

  • Aucun collègue de mon environnement professionnel m’a apporté de soutien tant la « faute » était énorme ;   
  • Mon médecin traitant a très vite évacué mes troubles ; 
  • Le médecin du travail n’était pas compétent car insuffisamment formé sur l’alcoolisme pour intervenir et m’aider ;   
  • et ma famille était dans le déni complet. 

 

J’ai quitté Paris car mon niveau de vie s’était complètement dégradé et je me suis installée comme avocate à Grenoble en Région Auvergne-Rhône-Alpes. En instruisant les dossiers, très vite j’ai compris que j’étais plus intéressée par le parcours médical de mes clients que par leur problématique juridique. J’ai rencontré tellement de gens atteints d’addiction à l’alcool (ou à d’autres substances psychoactives) que j’ai voulu témoigner. En 2014, j’ai pris la décision de raconter, à visage découvert mon histoire sur TF1, de l’alcoolisme féminin. En 2015, j’ai arrêté mon travail d’avocat et débuté un stage dans le service d’addictologie de Valence.  Le chef de service m’a accueilli après avoir lu un de mes livres. J’ai eu un excellent accueil des patients et par contre un très mauvais de la part des soignants. Ils ont très mal vécu l’expérience partagée du malade que j’étais venue leur apporter. Du coup le Chef de Service de Valence m’a présentée à son confrère du CHU de  Grenoble et j’ai débuté le DU de Pratiques Addictives, financé par pôle Emploi. J’étais la seule patiente entourée de nombreux médecins. Ma soutenance de mémoire a été filmée par France 5 ce qui m’a permis d’être repérée sur le plan médiatique. Le CHU a choisi de m’embaucher et l’Université des Patients de Sorbonne Université m’a soutenu financièrement pour me permettre d’entreprendre un 2ème DU en Education Thérapeutique. J’ai aussi appris à utiliser les 7 à 8 heures quotidiennes que me volait l’alcool. J’ai appris à me reconnecter à mes désirs d’enfant et à m’appuyer sur mes meilleurs souvenirs. Je vis en connexion avec la faune et la flore de ma région d’adoption et je me suis définitivement éloignée du moule parisien et des « paillettes » de mon ancienne vie qui ne me convenait pas réellement. 

Parlez-nous de votre projet

Je me suis intégrée petit à petit au service d’Addictologie du CHU de Grenoble-Alpes à partir de septembre 2019. Les soignants ont été demandeurs d’informations sur le vécu du patient. Tous les mardis je travaille avec eux, car j’ai deux vacations. J’ai compris que pour être acceptée il faut savoir rester à sa place. Je me place au carrefour entre le patient et le soignant. Je ne me substitue pas et ne donne jamais d’avis médical. J’ai suffisamment de recul. Je transmets mon savoir expérientiel. J’oriente, j’encourage le malade à créer un lien avec le spécialiste.


J’anime aussi un Groupe de Paroles de 15 à 25 personnes en visio-conférence. J’écoute, je soutiens, je suis au-dessus des conflits et je suis dans la pédagogie. Le parcours de soin est basé sur l’équipe pluridisciplinaire qui accompagne le patient sur tous les plans. L’hôpital a pris en charge toute l’installation pour le fonctionnement de ce groupe fermé sur Face Book. Je suis aussi Marraine de Déclic Addictions lancé par la Fondation du BTP qui déploie des modules de formation et de prévention contre l’addiction à l’alcool et d’autres produits. Je fais de nombreuses conférences ouvertes à l’encadrement et aux salariés de grands Groupes. Je poursuis mon expérience médiatique riche qui me permet de partager mon expérience avec le grand public. J’explique comment l’addiction est souvent liée au stress. Je réponds aux questions récurrentes des journalistes : « A partir de quand est on alcoolique ? » : A partir du moment où vous ne pouvez plus vous en passer, le cerveau a besoin de sa dose pour calmer ses angoisses et quand le corps témoigne par des signes qui ne trompent pas (tremblements, nausées, rougeur du visage…). 

J’ai aussi écrit trois livres. Le premier que j’ai débuté à quatre mains avec ma sœur et que j’ai fini seule après qu’elle ai décidé de mettre fin à ses jours. Elle avait aussi des problèmes avec l’alcool. Je l’ai présenté comme une fiction en évoquant beaucoup de secrets familiaux graves. C’était un cri de douleur qui m’a empêchée de rechuter. Le deuxième ouvrage a osé mettre en place et proposé une méthode pour mener à bien un sevrage et devenir abstinent « heureux ». Cette méthode s’appuie sur trois paramètres : ne jamais avoir Honte, la honte empêche de se faire soigner, avoir l’Honnêteté de dire la quantité de substance ingérée et avoir l‘Humilité de demander de l’aide. Le troisième livre est un petit guide pour réussir « mon mois sobre » pour inciter les français à se poser des questions sur leur rapport à l’alcool et les informer sur une consommation responsable. La troisième édition de Janvier sobre a eu lieu en 2021. J’ai trouvé des mécènes qui m’ont permis de créer des kits d’accompagnement et d’assurer une bonne diffusion de l’événement. C’est une campagne de prévention efficace qui permet de toucher à la fois les patients et aussi tous ceux qui pourraient intervenir auprès d’eux. Aujourd’hui j’ai suffisamment de recul et de crédibilité pour transmettre mon savoir, apporter un soutien aux patients et en vivre. 

Aujourd’hui quels sont vos attentes à résoudre ?  

Toutes mes missions actuelles ont un sens et je ne suis pas prête à arrêter cet élan. Avec l’équipe d’Addictologie du CHU de Grenoble nous allons développer un programme d’ateliers thérapeutiques avec l’appui financier de l’ARS. Nous avons aussi un deuxième groupe Face Book en préparation. Nous souhaitons intégrer des protocoles de recherche sur les groupes de paroles en visio. Face à l’importance de la prévention je souhaite poursuivre ma prise de parole médiatique et toucher le public, mais aussi tous les acteurs qui n’ont pas pu ou pas su m’accompagner dans mon parcours de malade-alcoolique. J’ai entrepris l’écriture d’un quatrième et probablement dernier livre qui s’inspire de ce que j’apprends des souffrances qui se cachent derrière le « masque alcool ». Je vais m’appuyer sur ma formation  juridique en revenant aux définitions et législations applicables à ces souffrances, sur mon engagement en santé en tant que patiente-experte et mes 6 années d’animation des groupes de parole. 

 

A quel public est destiné votre projet ?  

Les groupes de travail que j’anime sont composés à 64% de femmes, souvent d’un bon niveau socio professionnel et qui occupent des postes à responsabilité. Les groupes de paroles sont mixtes. Mon travail avec les professionnels de santé me permet d’échanger avec une cible large à l’hôpital. Globalement mon travail de porte-parole médiatique a pour objectif d’être en lien avec la cible la plus diverse possible. Mes projets en entreprises et mes conférences sont destinés à tous les niveaux : du manager, pour lui donner des clés pour ses équipes et pour lui- même, à des publics larges de salariés. Le projet Janvier sobre est ouvert à tous les français. 

 

Parlez-nous de vos premiers résultats ? 

Les retours sur mon animation dans les groupes de paroles sont très gratifiants et me confortent dans mon engagement. Je suis fière d’avoir pris la plume et d’avoir écrit 3 et bientôt 4 ouvrages et d’avoir trouvé un éditeur. Le premier m’a empêchée de rechuter, j’avais tellement de chose à partager pour aider les autres. Mon parcours académique avec mes deux DU était aussi une gageure pour sortir de mon échec et parvenir à être formée pour me mettre au service des patients et m’intégrer à une équipe soignante. J’ai de très bons retours sur mon expérience médiatique que j’aime beaucoup et qui me permet de toucher un public très large et de contribuer à sa prévention. 

 

Qu’avez- vous envie de partager de votre expérience ? 

Quand j’ai provoqué le déclic pour me sortir de l’alcoolisme, j’en avais marre de cette vie-là. Mon addiction était un suicide à petit feu, accompagné de plusieurs tentatives de suicide. Ensuite, je m’en suis sortie avec la volonté de faire pour les autres ce que je n’avais pas pu faire pour ma petite sœur, Marie. Lorsque nous sommes en échec nous nous donnons pas toujours de chance. Il faut provoquer le déclic pour s’en sortir. Ma maladie j’en ai fait une force et j’ai la chance d’avoir rebondi, d’être debout sans séquelle. J’aime ce que je fais aujourd’hui, je suis bien dans mes différentes missions et je ne suis pas près de m’arrêter. Je m’appuie au quotidien sur mes expériences de ma vie d’avant : ma connaissance du monde économique et du respect de la hiérarchie, le travail en mode projet, le management et le travail en équipe. Toutes ces compétences alliées à mon savoir expérientiel de la maladie me permettent de surmonter les obstacles et de réussir mes missions actuelles. Je ne regrette rien. Je suis à ma place, j’aime ce que je fais et chaque jour, je remercie la vie. 

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