CATHERINE CERISEY, enseignante de la perspective patient, à Paris 13
Ancienne patiente, ex-bloggeuse, entrepreneure et enseignante de la perspective patient auprès d’internes en médecine générale
Catherine, pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis une ancienne patiente. Je tiens beaucoup au terme « ancienne » car mon cancer du sein et les deux rechutes datent d’il y a plus de 20 ans. Avant ma maladie, j’étais clerc principal de commissaire-priseur. Après deux ans d’arrêt maladie, j’ai été gentiment remerciée... En 2009, j'ai décidé d'ouvrir un blog d'information « Après mon cancer du sein » pour partager mon expérience. Il y avait très peu de blog à l'époque, encore moins en santé, et dans le cancer. Je voulais aider, soutenir mais aussi informer les patientes. Je pense sincèrement qu'un patient informé est un patient mieux soigné.
Il a très vite fonctionné et je suis sortie d’Internet pour des interviews et sollicitations, notamment d’institutions comme la Haute Autorité de Santé. Ne faisant pas partie d’une association à l’époque, ils n’ont d’abord pas su comment m’intégrer alors que j'avais une communauté importante sur mon blog. Notre démocratie en santé permet aux pouvoirs publics, aux associations de se parler et donc aux représentants de patients de participer à l'amélioration du système de santé. Dans le même temps, depuis quelques années, nous voyons émerger des patients qui ne se retrouvent pas forcément dans le milieu associatif.
Je me suis rendue compte de la complémentarité des démarches et je me suis rapprochée du milieu associatif pour agir sur le terrain. J’ai été vice-présidente de Cancer Contribution, association qui œuvre dans le champ de la démocratie en santé. Je suis également devenue administratrice d’Europa Donna, la branche française d’une coalition européenne qui informe, rassemble et soutient les femmes atteintes d’un cancer du sein. Plus récemment, j’ai intégré les conseils d’administration d’Etincelle, rebondir avec un cancer, qui dispense des soins de support et de Coopération Patients, qui luttent pour améliorer la prise en soin des malades chroniques et leur place dans notre système de santé.
Comment êtes-vous devenue enseignante ?
Beaucoup de choses sont faites pour les patients, par les acteurs du système de santé, institutionnels, hospitaliers, industriels etc… mais sans les patients. Or, mon leitmotiv est la fameuse phrase « Rien sur nous, sans nous ! ». Le champ de la santé était le seul dans lequel le « consommateur » final, l’utilisateur, l’usager, n'était pas intégré à la construction des solutions, des organisations. Cette vision paternaliste m'a toujours interpellée. Elle est d’ailleurs moins présente au Canada, ou dans certains pays anglo-saxons. Il n’est pas possible de parler du patient à la troisième personne, à sa place pour dire ce qu'il pense et ce qu'il aimerait.
En 2016, j'ai été contacté par Olivia Gross qui montait un programme de formation des professionnels de santé pour les internes en médecine générale à l’Université Paris 13. Il s’agissait pour moi de participer à cette amélioration de la qualité des soins en enseignant aux médecins ce qui leur manquait : la perspective patient, les droits des patients, la communication, le processus de décision partagée etc. afin d’améliorer leurs futures pratiques. Avec enthousiasme, je suis rentrée dans ce programme et j'y participe depuis maintenant 5 ans. On nous appelle aujourd'hui enseignant de la perspective patients dans la mesure où il y a aussi des enseignants, représentants associatifs qui ne sont pas malades eux-mêmes.
Concrètement comment cela se passe ?
Nous sommes en binôme avec un médecin pour une dizaine d’internes. Ce ne sont pas des cours magistraux. Ils nous présentent un cas clinique qui leur a posé un problème. Les internes ont un format précis pour leur présentation de cas. Nous contribuons à l’ingénierie des cours et par exemple pour ces présentations, ils doivent intégrer les aspects psycho-sociaux. Interroger les patients sur ces aspects-là devient donc un automatisme pour eux. Nous recevons en amont les cas pour préparer la session. Dans le devoir final qu’ils rendent, nous leur demandons d’identifier l'apport de l'expertise de leur patient. Cela leur demande une gymnastique intellectuelle pour identifier le moment où ils l’ont questionné sur son désir, ses valeurs et surtout ses connaissances. Nous participons également à l'évaluation de ces internes. La quasi-totalité de leur cours est sur ce format là et le binôme enseignant patient/médecin apporte une grande richesse avec une vision différente et complémentaire. L'enseignement est alors très complet.
Nous sommes une trentaine d’enseignants de la perspective patient tous issus du milieu associatif ou de communautés virtuelles Chacun participe à sa mesure et en fonction de ses possibilités et disponibilités en termes de nombre de sessions. Personnellement, j'en fais cinq par an. D’autres participent à des cours de démocratie en santé. Nous avons un comité de pilotage patients qui nous permet d’échanger des retours d'expérience, afin d’améliorer chaque année la formation. On nous demande souvent si nous sommes formés. Nous avons en commun du recul par rapport à notre histoire, la capacité de se distancer de notre expérience individuelle au service du collectif et une solide connaissance de notre système de santé. Et puis est-ce que les médecins enseignants sont formés ?
Avec quels résultats ?
L'évolution du ressenti des étudiants est évidente. Leur perception initiale et leur surprise sur cette approche est énorme puis ils s’habituent à notre présence et sont même demandeurs de nos retours pendant les cours. Ils découvrent leurs failles de jeunes médecins devant un patient et acquièrent naturellement de nouveaux automatismes. Les premières expériences ont démarré en 2015. Plusieurs universités ont mis en place depuis des patients enseignants ou des enseignants de la perspective patient. Chaque doyen est libre de choisir la façon d'enseigner.
En parallèle, j'ai participé à une task force « Associons nos Savoirs » pour intégrer les patients et les personnes accompagnées à l'enseignement des professionnels. Nous avons rédigé une charte avec 80 personnes impliquées, signée par Agnès Buzyn à l'époque Ministre. Les choses avancent car une mention concernant cette participation des patients à l’enseignement des professionnels est inscrite dans Ma Santé 2022.
Qu’avez- vous envie de partager de votre expérience ?
Les personnes que je croise, notamment sur les réseaux, me demande souvent comment j’ai fait pour transformer mon expérience de la maladie. Rien n'était prémédité. Mon investissement s’est prolongé, diversifié parallèlement à l'augmentation de l'engagement patients dans le système de santé et le développement des réseaux sociaux et de la présence des patients dans ces réseaux. Cet investissement va avec un militantisme que je ne me connaissais pas avant la maladie. Je dis aux patients qui veulent s’investir qu’il est important de prendre du recul par rapport à sa propre histoire et de se laisser du temps. Je croise des femmes ayant envie d’agir très tôt après la fin des traitements. L'après cancer est une étape très difficile qui nécessite un temps de digestion pour récupérer de ce parcours difficile. Après, chacun combinera son envie, son besoin d'investissement selon aussi son passé, notamment professionnel mais pas seulement.
D’ailleurs, si le bénévolat est indispensable -je le suis dans plusieurs associations- je pense que cela ne convient pas à tous. Il existe souvent un turn-over des bénévoles. Pour pérenniser l’action, il est très intéressant que les patients se professionnalisent au sens littéral du terme, notamment après une rupture professionnelle, en trouvant une autre voie. Ils veulent pour la majorité d’entre eux donner du sens à leur maladie, leur expérience. Je leur conseille de ne pas se lancer tête baissée. Beaucoup ne se rendent pas compte qu’ils vont se heurter à des personnes qui ne sont pas forcément en accord avec cet engagement. Le risque est de s'essouffler dans ce combat. Pour ma part, je suis très heureuse de cet équilibre. Ce sont des engagements différents et complémentaires Mon désir profond est que cela devienne une évidence, que tout ce qui concerne les parcours de soins soit coconstruit avec les patients. Je me réjouis que de plus en plus de patients s’engagent et ce dans toutes les pathologies. Plus nous serons nombreux plus facile sera la victoire.
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