JEAN-CHARLES VERHEYE, chercheur en santé publique, écoutant et formateur pour la Ligne C
Un premier recours de santé issu d’une initiative communautaire
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis infirmier par ma formation initiale. J’ai ensuite suivi un cursus universitaire. J’ai un master en éducation thérapeutique et un doctorat en sciences de l’éducation et de la formation. Je m’intéresse particulièrement à la place du patient intervenant dans les programmes d’éducation thérapeutique et à la collaboration entre patients et soignants dans l’offre de soin.
Mon engagement militant est aussi une démarche que j’ai initiée il y a de nombreuses années, notamment dans le champ du VIH, dans les années 90.
J’ai en quelques sortes une double identité, de soignant et de militant associatif.
Comment la Ligne C a-t-elle vu le jour et comment avez-vous été embarqué dans ce projet ?
Le projet de la Ligne C est né d’une mobilisation communautaire, de l’implication de patients, de soignants et d’associations de patients qui ont saisi intuitivement, au moment du premier confinement, la nécessité de soutenir et d’accompagner les malades chroniques. La crainte de développer une forme grave de la maladie conduisait de nombreuses personnes vivant avec une maladie chronique, à s’isoler d’elles-mêmes, au-delà de l’injonction règlementaire ; la continuité des soins était fortement menacée, avec les conséquences que l’on imagine sur le suivi de la maladie mais aussi sur les relations familiales. Il fallait éviter les ruptures de parcours et recréer du lien avec le monde du soin.
J’ai été sollicité dès les premiers jours du confinement pour intégrer le réseau d’écoutants bénévoles -patients et soignants- qui s’est constitué dans cette optique. Et dans les jours qui ont suivi, lorsqu’est apparu le besoin d’accompagner la montée en compétence des écoutants, notamment en termes de gestion relationnelle, j’ai activement participé à la mise en place d’une formation à l’écoute téléphonique, sur la base du counseling ; c’est-à-dire en partant du principe fondamental que le patient qui présente des symptômes liés à un « traumatisme » comme pouvait l’être cette crise sanitaire soudaine et sans précédent, possède intrinsèquement les ressources qui lui permettront de trouver des réponses adaptées.
Cette méthode bénéficie à l’écoutant patient, que certaines situations renvoient aux siennes propres dont il doit se protéger et à l’écoutant soignant, en l’obligeant à sortir du réflexe prescriptif qui fait partie de son identité. Il est important de préciser que nous avons tenu à ce que la formation des écoutants soit qualifiante, au travers d’un partenariat avec un organisme de formation capable de délivrer une attestation de formation continue.
Bien sûr, des lignes d’écoute se sont développées avec la COVID, notamment dans le domaine de la psychiatrie. Mais ce qui fait la singularité de la Ligne C, c’est sa transversalité, puisqu’elle était ouverte à tous les patients chroniques, toutes pathologies confondues. C’est aussi que le projet n’a pas été conduit par des soignants, mais par des patients chroniques pour des patients chroniques.
Concrètement, comment avez-vous pu assurer la réactivité et la fiabilité du service ?
Il y avait des profils très disparates parmi les bénévoles ; tout s’est naturellement articulé autour de la compétence de chacun.
Nous avons ainsi mis en place un planning d’écoute scrupuleusement respecté, une veille scientifique quotidienne sur la COVID, de manière à donner aux écoutants des informations actualisées et les moyens d’expliquer le risque encouru en tant que patient chronique et les gestes barrières, sachant en plus qu’à ce moment-là, les données évoluaient quasi quotidiennement. Un site dédié, interne au groupe, a été créé spécifiquement pour documenter leurs réponses et en garantir la qualité. Il faut préciser que la ligne n’avait pas vocation à traiter des questions liées à une pathologie spécifique ni des situations d’urgence : dans ces cas-là, les patients étaient réorientés vers le système de soin et les services compétents.
Les temps de formations ont été optimisés en regroupant les bénévoles dans des sessions successives concentrées sur des périodes très courtes. Et deux fois par semaine, des séances de régulation, c’est-à-dire de partage d’expérience et d’analyse de pratique, leur permettaient d’échanger sur les situations auxquelles ils s’étaient trouvés confrontés et sur les difficultés rencontrées.
Bien sûr, tout cela ne s’est pas fait sans la contribution de nombreux alliés. Nous avons bénéficié du soutien logistique de Sida Info Service qui a mis à disposition sa ligne téléphonique, de soutiens financiers, notamment de la Fondation de France, d’importants relais de communication grâce au réseau du système de santé et aux médias traditionnels comme la presse locale. Enfin, nous avons pu nous appuyer sur la structure administrative de l’association
Tribu Cancer, déjà fortement impliquée dans l’entraide participative.
Quelles conclusions tirez-vous de cette expérience ?
La Ligne C a été une réponse spontanée à une situation inédite, auquel le système de santé n’apportait pas de solution.
Dans ce contexte, la Ligne C a démontré, si besoin était, la force de la mobilisation, mais surtout, qu’elle ne repose pas sur des enjeux de pouvoir. Sans s’y substituer, notre action est simplement venue compléter l’offre de soins, là où elle avait une utilité. Elle a également confirmé la valeur ajoutée de la proximité et des interactions entre pairs, en apportant à une situation déstabilisante et anxiogène une dimension rassurante, fondée sur la légitimité et la confiance.
Enfin, l’action a été conduite dans l’urgence mais tout a bien fonctionné ! Ce qui tend à démontrer qu’il suffirait de process bien huilés pour augmenter la force de frappe ; cela mériterait d’être modélisé.
Au-delà de la crise sanitaire, quels objectifs la Ligne C a-t-elle pu servir ?
D’abord, la Ligne C a été le déclencheur d’autres initiatives du même ordre. Si l’on a fait le choix de ne pas réactiver la ligne lors de la deuxième vague de contamination, c’est parce que d’autres structures, avec des moyens plus importants, s’étaient organisées pour prendre le relais.
Ensuite, l’écoute est une compétence transférable. Pour preuve, nos formations ont été dispensées, à leur demande, à deux associations de patients, dont
Marie-Madeleine, qui accompagne des personnes originaires d’Afrique sub-saharienne qui vivent avec le VIH ou d’autres pathologies lourdes.
Enfin, au sein d’un réseau de chercheurs en sciences de l’éducation et de la formation auquel je participe, cette dynamique communautaire en a surpris plus d’un. Cela y a ouvert un débat passionnant qui a contribué à la publication d’un article dans une revue scientifique sur les leçons à tirer la crise de la Covid. Il est intéressant d’analyser le cercle vertueux de la compétence : comment une pluralité de profils a généré la mise en commun de savoir-faire dans une logique de réciprocité et de continuité. Tous les participants à cette aventure continuent à vivre et à se mobiliser ensemble, de manière informelle, sans faire de bruit.
Je me concentre aujourd’hui sur des projets de recherche sur l’investissement communautaire - comment il se construit, quelles sont ses limites … - auxquels j’ai déjà associé plusieurs intervenants de la Ligne C, aux côtés de soignants, pour valoriser leur apport issu de cette expérience.
