EMMANUELLE HOCHE, Chargée de mission "Expérience Patient" au Centre Henri Becquerel et Chef de projet "Expérience Patient" à Unicancer

Damien Dubois • mai 03, 2023

 Un travail quotidien de mise en relations, de promotion des activités, de pédagogie sur l'expérience patient sur le terrain dans un centre et à la fédération


EMMANUELLE HOCHE

EMMANUELLE HOCHE

Chargée de mission "Expérience Patient" au Centre Henri Becquerel et Chef de projet "Expérience Patient" à Unicancer

Pour commencer, pouvez-vous vous présenter brièvement ?


J'ai 48 ans. Je suis née, j’ai grandi et je vis à Rouen. Je travaille à mon compte depuis près de 15 ans dans le domaine des ressources humaines, domaine que j'ai choisi pour faire en sorte que les gens se sentent bien et s'épanouissent dans leur travail. Cela passe par des enquêtes, des audits sur des problématiques de qualité de vie au travail ou encore de management, puis des accompagnements ad hoc. Je donne également des cours en formation initiale et continue. Donc, avant même l’engagement dont on va parler, mon activité était centrée sur l'humain.



Il y a cinq ans, on me découvre un cancer du sein. Je travaille seule, sans salarié et… n'ai pas de prévoyance. Je n’ai pas le choix et je me focusse sur ma santé. J'attaque les soins avec un parcours complet. Et le 18 décembre 2022, quand certains fêtaient la seconde place des bleus au Mondial de foot, j’arrosais la fin de cinq ans d’hormonothérapie.


Comment est né votre engagement ?


Fin 2017, alors que j'étais encore en radiothérapie, la Responsable communication du Centre Henri Becquerel me parle du projet d'agrandissement de l'Établissement et de la volonté d’avoir l’avis des patients sur l'aménagement, la signalisation, la décoration... Je la connaissais car j’avais fait un peu de bénévolat pour le Centre, alors que maman y était soignée. N’ayant pas la compétence en interne, et connaissant mon activité professionnelle, elle m’a proposé de monter un groupe de patients, qu’on appelle aujourd’hui patients partenaires. Nous tâtonnions encore sur le vocabulaire. Le projet "Becquerel-LAB" était né.

 

Il s’agissait de les recruter, les former à travailler en mode projet et les préparer à collaborer avec les professionnels de santé. J’ai accepté et lui ai juste demandé un délai pour terminer les rayons. J'ai ensuite commencé ma mission, en tant que consultante, un jour par mois. Plus nous avancions, plus nous nous rendions compte de l'étendue des projets que cela pouvait représenter. Il nous apparaît notamment vite évident que le plus difficile est de préparer les professionnels de santé à accueillir des patients dans leur pratique et qu'il allait leur falloir, à eux aussi, un temps d'acculturation à ce nouveau concept. En quatre ans, le projet évolue et se construit progressivement. Un bureau de l'expérience patient est créé afin de structurer et dynamiser la démarche au Centre Henri Becquerel. On me confie un rôle de coordination des projets liés au déploiement des pratiques collaboratives entre professionnels de santé et patients/anciens patients. J’augmente progressivement mon temps de consulting, puis le remplace par du temps de salariat. J’ai peu hésité car si j’étais heureuse de l’activité que j’avais construite avec ma société, le projet du Centre Henri Becquerel m’a vraiment enthousiasmée et j’y suis allée. Depuis un an, je suis à 50% salariée au Centre.


 

Et pour le temps qui reste ?


Parallèlement, fin 2019, grâce à la fédération Unicancer[1], je suis envoyée en Belgique pour le premier Congrès de l'association SPX[2], où j’échange avec une personne de l’Institut Bergonié, le Centre de Lutte Contre le Cancer de Bordeaux et deux de Gustave Roussy, celui de Villejuif.

Au vu de nos activités similaires et de l'enthousiasme partagé, nous décidons de faire un retour commun et exprimons le souhait de continuer à partager nos pratiques.

 

Cela correspondait pleinement à la volonté et aux travaux déjà en cours d’Unicancer, qui a aussitôt concrétisé la création d'un Groupe de Travail Expérience Patient qu'elle souhaitait mettre en place. En 2021, je reprends la coordination du groupe, comme salariée en CDI à 40%, après le départ de la personne qui en avait la charge. Ma mission : contribuer à l'élaboration de la stratégie de l'Expérience Patient au niveau national, développer les relations inter-centres sur cette thématique, faciliter les échanges, les partages d'expériences, les partages de pratiques et d'initiatives entre les centres, et développer des relations avec des organisations en France et à l'international.

 

C'est un travail quotidien de mise en relations, de promotion des activités, de pédagogie. Les deux missions sont très complémentaires. Je trouve très appréciable d’avoir un pied sur le terrain à Rouen, en contact direct avec les équipes, pour m'imprégner de leurs problématiques, de leur perception de la fédération... Et, de l’autre côté, avec un pied à Unicancer, j’accompagne la volonté de soutenir les Centres. Je suis dans la stratégie avec une vision plus globale.

 

Par ailleurs, j'ai récemment, intégré un groupe de travail au niveau de la Direction Générale de l'Offre de Soins, avec encore un autre niveau stratégique. Unicancer, comme le Ministère, ont besoin de remontées du terrain qui, lui-même, a besoin d’être entendu et accompagné pour bénéficier de tout ce que la fédération peut lui apporter. Il n’y a pas de chargé de mission comme moi dans tous les centres mais cela se développe progressivement. D’autres patients partenaires embauchés font davantage de la pair-aidance que de la coordination, une autre façon de faire du partenariat patient.


 
[1] Fédération nationale réunissant les 18 Centres de Lutte Contre le Cancer + 2 membres affiliés.

[2] https://spexperience.org/fr/

Unicancer

Vous reconnaissez-vous dans le statut de patient partenaire ?


Pas vraiment. Selon moi, patient partenaire, ce n'est pas un métier. Être patient est un état physique ou mental mais pas un métier. En revanche, cela t'apporte une expérience de vie, comme une autre, et je trouve périlleux de vouloir faire un métier de l'état patient. Cela peut paraître paradoxal au vu de ma situation mais pas tant que cela. Sur mon contrat de travail et mes cartes de visite, ce n’est pas marqué patient partenaire, mais chargée de mission Expérience Patient d’un côté et chef de projet Expérience Patient de l’autre.

 

Cette mission est la continuité de mon parcours professionnel. Être passée par la case cancer me donne juste un autre regard et une légitimité complémentaire. Avoir vu l’envers du décor est un plus mais ne suffit pas pour constituer un métier, notamment quand les missions du patient partenaire impliquent des compétences précises comme la gestion de projet ou la coordination d'équipe.

 

La question de la formation n’est pas si évidente. Je n’ai pas voulu, pour ma part, suivre de diplôme universitaire, du type de celui de l'Université des patients. J'ai un Master en commerce international et marketing, qui me permet d'avoir une vision globale de l'entreprise, de l'approche systémique de l'organisation et un Master recherche en psychologie clinique et psychopathologie. Ensuite, j’ai privilégié la formation continue, sur la qualité de vie au travail, ou la gestion des conflits et une, récemment, avec SPX sur le partenariat patient. Je prends également le temps d'échanger avec les professionnels de santé, qui partagent volontiers leurs connaissances et expériences, mais aussi de suivre des webinaires et de participer à des journées d'études, colloques…

Il est intéressant de voir l’évolution d’ailleurs. On ne parle quasiment plus de patient expert. Je crois même qu’à l’Université des patients, il est maintenant question de "patient partenaire et référent en rétablissement en cancérologie".

 

Finalement, je continue mon métier, en changeant de secteur d'activité. Je n’imaginais pas, si je remonte à peine quelques années en arrière, redevenir salariée quasiment à plein temps et consacrer mon activité à la cancérologie. Aujourd’hui, c’est un grand plaisir au regard de la richesse et de la diversité de la mission. Et les professionnels de santé avec lesquels je travaille ne me renvoient pas (plus) à cette casquette de patient.

 

Par ailleurs, ma formation initiale crée des opportunités. Grâce à mon Master recherche, le Centre Henri Becquerel m’offre la possibilité de mener un projet de recherche en sciences humaines avec le service de chirurgie et j'ai intégré le Cancéropôle du Nord-Ouest en tant que représentante des patients et des usagers. Pour le moment, j'ai participé à l’évaluation de candidatures pour des projets de recherche en lien avec l'Expérience Patient. Tout cela remplit bien les 10% de temps qu'il reste. Je mesure la chance que j'ai d’avoir un travail qui me plaise autant, dans lequel je m’épanouis totalement et qui, en plus, est utile.

 

A Becquerel, nous faisons bouger les lignes. J’ai gagné la confiance d'une partie des professionnels de santé, qui sont maintenant proactifs sur l’Expérience Patient. Ils ont compris ce que c’est et ce que cela apporte à leur pratique.

Quant à Unicancer, la mission de la fédération prend également tout son sens en matière d'Expérience Patient. De plus en plus de Centres partagent leurs pratiques et initiatives, et développent des projets communs dans ce domaine. Nous facilitons également les relations avec l'étranger : la Belgique, l'Espagne et le Canada notamment. C'est réellement un partenariat gagnant.

Centre Henri Becquerel

Comment voyez-vous évoluer ce monde de l'Engagement Patient ?


C'est un très vaste sujet. Comme je le disais, nous devons être vigilants avec cette transformation en métier. La formation, de l’Université des patients ou d’ailleurs, par exemple est un outil plus qu’une fin en soi. Elle ne fait pas une personne. Le potentiel et les capacités à agir sont très personne-dépendantes. De plus, il est risqué de donner l'espoir à toutes ces promotions qu’elles pourront en faire un métier ; tout dépend de la façon dont la personne va s'approprier le diplôme et l’intégrer dans un parcours. De même, il est important de réfléchir à l’accompagnement de ces personnes. Certains se sentent pousser des ailes mais peuvent retomber vite. Tout le monde n'est pas outillé de la même manière pour déployer des changements organisationnels dans les institutions ou encore pour intervenir auprès de patients ou de soignants.

 

Le deuxième point de vigilance concerne le modèle économique. Les établissements de santé ne sont pas du tout prêts à embaucher des pair-aidants ou des patients partenaires en masse. La question de la rémunération d’ailleurs est complexe. Elle me semble totalement légitime pour de nombreuses missions comme celle de patient formateur. Pour d’autres, telle que le patient-ressource, elle pose question là où se mélangent bénévolat, choisi par certains, et besoin d’être payé pour les autres. Se pose aussi la question contractuelle et donc de la responsabilité.

 

La professionnalisation de l’engagement patient est très certainement utile mais elle doit passer par des étapes de réflexion collective sur la faisabilité, et individuelle sur le pourquoi et le comment agir. J’ai apprécié, dans mon cas, que cela se fasse naturellement et progressivement. J’ai pu confirmer que j'étais au clair dans mon rapport à la maladie, identifier ce qui m’intéressait, comment le faire, quelle limite donner à mon engagement. Et encore une fois, je suis très heureuse de ma position et je mesure ma chance.

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