ANNE-CECILE RATSIMBASON, designer, fondatrice de Stylisme Médical©

Sylve Favier • mai 10, 2023

Mieux vivre le handicap et la maladie : une mode inclusive qui associe confort, esthétique et fonctionnalité


ANNE-CECILE RATSIMBASON, designer, fondatrice de Stylisme Médical©

ANNE-CECILE RATSIMBASON

Cdesigner, fondatrice de Stylisme Médical©

Avant tout Anne-Cécile, pouvez-vous vous présenter brièvement à nos lecteurs ?


J'ai 38 ans, je suis styliste-modéliste ; pour des raisons à la fois professionnelles et personnelles, je partage ma vie entre la France et l’Allemagne. 
Vers l’âge de 18 ans, à la suite d’un accident banal, on m’a diagnostiqué une forte scoliose qui préexistait mais n’avait pas été décelée, malgré une cambrure marquée que l’on attribuait à mes origines malgaches. Ma rencontre avec le Dr Pomatto, de l’Ecole du Dos à Nice a été décisive, tant sur le plan de ma santé que sur le plan de mon avenir professionnel. Il n’était pas favorable à la chirurgie compte tenu de mon jeune âge et de la localisation des trois hernies discales que l’accident avait provoquées. Après m’avoir expliqué très précisément les mécanismes en jeu, il a préconisé le port d’un corset, associé à une activité sportive pour muscler le dos et à la perte de poids. Cette thérapeutique allait durer de 5 à 10 ans en fonction de mes progrès.

 Pendant toutes ces années j’ai été suivie par un coach sportif et un nutritionniste, un accompagnement visionnaire extrêmement bénéfique ! J’étais alors à l’Ecole Nationale Supérieure d’Art Villa Arson à Nice, je me destinais à travailler dans la mode. Je ne savais pas encore que cet épisode allait déterminer ma carrière, mais l´entreprise que j’ai créée par la suite, Ratsimbason Stylisme Médical©, est directement inspirée de mon expérience personnelle.



Comment la dimension médicale s’est-elle imposée dans votre parcours ?


Au bout de 5 ans, j’étais sortie d’affaires et j’avais obtenu mon diplôme de l’ESMOD (Ecole Supérieure des Arts et Techniques de la Mode) à Berlin où j’avais poursuivi mes études, spécialité prêt-à-porter femme. Le Dr Pomatto, m’a alors proposé un challenge : créer des vêtements pour ses patients, adaptés à leurs différentes affections orthopédiques et aux différents corsets. Je n’avais pas pensé à cette orientation, ni même qu’il pouvait y avoir un réel besoin. 


Pourtant j’avais connu une multitude de désagréments liés au corset qui me couvrait le tronc depuis les hanches jusqu’en-dessous de la poitrine. Par exemple, la transpiration absorbée par le textile qui fait interface avec la peau sous le corset, les coutures parfois blessantes là où le corset fait pression, le choix d’un haut assez long pour que le corset ne soit pas visible au moindre mouvement et de préférence zippé devant parce que lever les bras pour enfiler un pull peut être douloureux. Je ne pouvais pas non plus mettre de jean, seul un pantalon avec une large ceinture stretch, de type yoga ou grossesse, pouvait passer par-dessous le corset... J’ai dû transformer moi-même presque tous mes vêtements ! Tout cela était contraignant, contrariant, mais aussi très motivant : pour en être débarrassée, j’ai vite appris à me remuscler et à manger mieux ! 


Le Dr Pomatto a mis à ma disposition une salle de son établissement pour en faire mon showroom et lancer mon activité. Il me faisait confiance, j’avais envie de réussir et de lui rendre, d’une certaine façon, l’aide qu’il m’avait apportée. Tous les mercredis, je recevais des patients en entretien pour bien cerner leur pathologie, leurs difficultés mais aussi leur univers familial, leur mode de vie. A partir de ce « portrait », je proposais quelques croquis et un prototype de vêtement totalement personnalisé. Je me suis vite passionnée pour cette démarche et j’ai décidé d’en faire mon métier. J’ai fondé mon entreprise en janvier 2015.



Comment avez-vous développé votre offre ? 


J’ai d’abord bénéficié du réseau médical du Dr Pomatto, puis d’un bouche à oreille favorable qui m’a amenée à aborder de nombreuses autres pathologies. Par exemple, je travaille aujourd’hui pour des patients diabétiques porteurs de pompes à insuline, pour des patients stomisés, ou encore pour des femmes qui ont subi une mastectomie ou souffrent de lymphœdèmes à la suite de cancers. Je m’immerge dans la pathologie en me rapprochant d’associations de patients pour bien comprendre les contraintes qui y sont liées et en travaillant avec des psychologues sur l’image corporelle pour me guider dans la conception de mes modèles. Chaque prototype que je réalise est soumis à la validation des services hospitaliers, des associations ou des distributeurs de matériel médical avant commercialisation. 


J’ai toujours été très bien accueillie par les soignants, qui sont très demandeurs de solutions parce qu’un patient qui vit mieux sa maladie est un patient plus observant. Tout le monde y gagne.


J’ai commencé par fonctionner par abonnement auprès des familles avant de constater la limite de ce modèle : la fabrication d´un vêtement sur mesure et à l´unité peut être onéreux et s’agissant souvent d’enfants, il doit être renouvelé fréquemment. J’ai donc privilégié la fabrication d’accessoires, et surtout j’ai développé au sein d’hôpitaux ou d’associations des ateliers d’upcycling et d’accompagnement personnel pour apprendre aux familles concernées à adapter leurs vêtements en fonction de leurs besoins. Enfin, j’ai également une activité de consulting auprès de sociétés spécialisées dans les vêtements et accessoires adaptés à la maladie.



Tout cela a été impulsé par trois prix que j’ai obtenus successivement : dès 2015, le grand Prix du Sénat Talents des cités, l’année suivante le Prix des Professionnels de la Fondation Cognacq-Jay et en 2019, le prix MAAF-Les Echos Talents BGE. Grâce à cette reconnaissance, j’ai pu, entre autres, acheter les matières premières et le matériel dont j’avais besoin et les retombées médiatiques m’ont permis de me faire connaître au sein de multiples services hospitaliers. J’ai pu déléguer la fabrication à un atelier niçois d’abord puis à un deuxième atelier en Allemagne, et je participe désormais à une douzaine de congrès par an, qui à leur tour m’ouvrent des perspectives.

https://stylismemedical.fr/

Quels sont vos critères de différenciation ?


Je ne peux et ne veux pas me mesurer à des enseignes qui distribuent massivement et à bas prix des accessoires fabriqués en Chine, ou en tout cas dans des conditions défavorables humainement. Mon objet est d’y ajouter de la qualité sur les plans esthétique et ergonomique, avec une validation scientifique. Les temps de prototypages sont longs et minutieux.


Mes produits sont aujourd’hui distribués par des fournisseurs de matériel médical, parfois offerts aux patients par des prestataires de santé ou des associations, ce qui les rend accessibles à de nombreux patients, en attendant qu’un jour peut-être ils soient pris en charge comme dispositifs médicaux. 


Ensuite il y a la dimension humaine à laquelle je tiens beaucoup. J’ai une grande proximité avec tous mes partenaires, et particulièrement avec les artisans qui travaillent avec moi. Je suis en contact avec eux quotidiennement, ils partagent mes valeurs et tout comme moi, ils se sentent gratifiés de savoir qu’ils ont été utiles. 
Enfin, mon modèle est fondé sur une démarche participative et écologique - système D, zéro gâchis - dans un objectif d’autonomisation des patients et d’amélioration de la conscience de soi.



Et maintenant, quels sont vos projets ?


Tous les retours que j’ai me confortent dans l’idée qu’il faut continuer de démocratiser une mode inclusive, tellement l’impact sur l’image et l‘estime de soi est important. Il faut introduire le concept dans les écoles et les marques mainstream. 


J'ai déjà eu la grande chance d'intervenir dans le jury du Lycée Professionnel des Métiers Les Coteaux à Nice, dont la directrice était impliquée dans l'association L'espoir de Flavio (qui soutenait à l´époque les enfants atteints d’amyotrophie spinale) et a proposé - chose rarissime - que le diplôme de fin d'année porte sur une collection adaptée aux enfants en situation de handicap. 


J’aimerais beaucoup apporter ma contribution en tant que consultante à des marques de prêt-à-porter, pour développer des gammes adaptées à plusieurs conditions physiques. Il arrive même que des gammes pour tous se démarquent par de petites astuces plus inclusives, perçues comme des sophistications par certains, comme un plus en termes de confort par d´autres. Parfois un vêtement peut aller à tous ! Et c´est la joie ! J´adore par exemple les modèles de vêtements ajustables permettant d´être portés par toutes les tailles.

https://stylismemedical.fr/
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