ANNE-SOPHIE JOLY, fondatrice du Collectif National des Associations d’Obèses (CNAO)

Sylvie Favier • mai 30, 2023

Obésité : 20 ans de plaidoyer pour l’action collective et la bienveillance


ANNE-SOPHIE JOLY, fondatrice du Collectif National des Associations d’Obèses

ANNE-SOPHIE JOLY

Fondatrice du Collectif National des Associations d’Obèses (CNAO) 

Tout d'abord, pouvez-vous vous présenter brièvement à nos lecteurs ?


J’ai 52 ans, j’ai une formation d’architecte d’intérieur et des monuments historiques. Et je suis une patiente qui souffre de problématiques de surpoids et d'obésité qui ont commencé vers l’âge de 20 ans, avant de s’aggraver petit à petit. J'ai fait des régimes hypocaloriques - à l’époque on ne connaissait que ça - qui ont eu l’effet plutôt inverse de celui recherché. Ils n’étaient pas encadrés comme ils le sont aujourd’hui ; on n'était pas du tout dans la gestion du plaisir, des émotions, on n’avait pas encore compris qu’il fallait appréhender le problème dans sa globalité. Et donc le poids s’installe avec des conséquences catastrophiques sur l’estime de soi. Le mal-être augmente, amplifié par la discrimination et la grossophobie. On vous tient toujours pour responsable de votre prise de poids, mais le métabolisme reste en partie une loterie, et il y a des prédispositions génétiques. 


J’ai abordé la médecine, ma deuxième passion, sous l’angle de la presse médicale. J’y ai travaillé pendant 18 ans, ce qui m’a confortée dans la certitude que les médecins ignoraient tout de cette problématique de l'obésité et qu’on ne prenait pas ces patients par le bon bout. Comme souvent dans l’engagement associatif, tout est parti d’expériences personnelles et douloureuses.

Quels manques cherchiez-vous à combler ?


J’ai d’abord rejoint une association en tant que patiente. Cette expérience, ajoutée à celle de mon métier, m’a fait toucher du doigt l’absence de bonnes pratiques dans la prise en charge de l’obésité. J’ai créé le Collectif National des Associations d’Obèses (CNAO) en mars 2003 parce que j’étais convaincue que pour bien faire, il fallait être capable de rassembler les acteurs les plus performants dans leur domaine et agir en co-construction. On n’est qu’un maillon de la chaîne et on a besoin de tous les maillons - l’Etat, les professionnels de santé, l’industrie agroalimentaire, les cantines scolaires, le mobilier urbain, et j’en passe ! - pour faire reconnaitre l’humanité de chacun, quelles que soient sa morphologie et sa taille de pantalon !


On a été les premiers à fédérer les associations de patients. Le Collectif en compte aujourd’hui une douzaine, liées par une charte éthique et de déontologie qui témoigne de leur investissement dans la cause de l’obésité. On interagit parfois avec d’autres associations comme la Fédération Française des diabétiques, la Ligue nationale contre le cancer, l’Alliance du Cœur, SOS Hépatites etc. On travaille en famille, en quelques sortes, avec l’objectif d’aider ceux qui en ont besoin, de les amener à entrer dans un parcours de soins quand ils se sentent prêts. Il faut savoir que de nombreuses personnes vivent recluses, retirées de la société et du système de soins parce que trop abîmées par des remarques humiliantes proférées dans des établissements de soins. Lorsqu’elles y reviennent, c’est souvent dans un état tellement dégradé qu’il est trop tard ! Sans compter les tables de blocs qui sont conçues pour un poids maximal de 130 kg, des tensiomètres dont les brassards ne sont pas adaptés au bras des patients, etc., etc.
Voilà pourquoi nous nous battons !



Quid de votre combat depuis 2003 ?


On n'a pas gagné la guerre, mais on a gagné des batailles ! L'Etat dans notre pays s'intéresse beaucoup à ce sujet ; c'est une chance que certains de nos voisins européens nous envient ! 
Nous avons pu participer en 2009 à une commission présidentielle à l’initiative de Nicolas Sarkozy, qui est à l’origine du premier Plan Obésité, dont sont issus les Centres Spécialisés Obésité et les Etats Généraux de l’Alimentation en 2017.
Nous avons également travaillé avec la Haute Autorité de Santé sur des recommandations de bonnes pratiques dans la prise en charge du surpoids et de l'obésité de l'enfant, de l'adolescent, de l'adulte. Sur la chirurgie bariatrique, nous avons déposé deux saisines qui ont été acceptées, notamment la dernière en date qui porte sur les carences en ferritine, à l’origine de complications post-opératoires chez les patients atteints de surpoids et d'obésité. 
 

Nous plaidons pour la reconnaissance de l'obésité en tant que pathologie. Alors que la France est très active depuis longtemps dans le domaine - cadrage étatique, Programme National Nutrition Santé (PNSS) - l'Etat ne reconnaît toujours pas officiellement l'obésité comme une maladie, contrairement à l’OMS et à plusieurs pays d’Europe, dont le Portugal, l'Allemagne et l'Italie. Cette demande, qui nous tient particulièrement à cœur parce que le Covid nous a fait énormément de mal, a été réitérée il y a quelques semaines seulement auprès des ministres Jean-Christophe Combe et François Braun, à l’occasion de la remise du rapport Mieux prévenir et prendre en charge l’obésité en France du Pr Martine Laville sur la suite à donner au combat contre l'obésité. Nous réclamons un plan interministériel sur une période de dix ans renouvelable, hébergé à Matignon pour faciliter une collaboration transversale incluant la prévention. 


Par ailleurs, nous intervenons depuis quatre ans au Conseil National de l'Alimentation, qui est une instance interministérielle sous l'égide des ministères de l'environnement, de la consommation, de la santé et de l'agriculture. Dans ce cadre, nous pouvons être saisis par les ministères sur des propositions de loi ou nous auto-saisir, comme nous l’avons fait pour le RETEX de la crise du Covid et des habitudes alimentaires déclenchées par le confinement. 


Enfin, nous sommes signataires depuis 2010 de la charte alimentaire de l’ARCOM (ex-CSA), pour la promotion d’une alimentation saine et de l’activité physique dans les programmes TV et la publicité.
Cet engagement de l’Etat facilite évidemment les avancées mais nous n’avons pas freiné la progression de l’obésité dans la population.

CNAO

Quelles sont vos priorités maintenant ?


Notre alimentation de plus en plus transformée, avec les sucres ajoutés, les graisses saturées, les perturbateurs endocriniens et la sédentarité ne font que rajouter à une problématique en réalité beaucoup plus large. Il y a une vraie souffrance, beaucoup de maltraitance et de problèmes psy. J'insiste vraiment là-dessus. L'obésité n'est pas un choix de vie, c'est la quatrième cause de mortalité évitable dans le monde, une maladie dont résultent d’autres pathologies lourdes et qui touche les plus précaires. Donc nous militons aussi pour une vie plus qualitative, pour une approche bienveillante, pour une meilleure compréhension de la maladie, pour qu’enfin on cesse d'invectiver les gens, de les culpabiliser, et qu’on leur ouvre des chemins cliniques de prise en charge. 


Les comportements ont vocation à évoluer. Chaque année, la Journée mondiale contre l'obésité a d’importantes retombées médiatiques et les jeunes générations sont plus réceptives que les anciennes. Mais la priorité c’est de mettre en place une politique de prévention. La Scandinavie a montré que ça fonctionne et pour la première fois, nous avons un ministre de la Santé et de la Prévention ! L’approche One Health commence à émerger. 


Mais pour parvenir à nos fins, il faut d’abord restaurer le bien-être, apprendre à s’aimer un peu plus. Le Pr. Daniel Nizri, le président du PNNS, nous a confié le pilotage d’un groupe de travail national destiné à lutter contre la grossophobie, la stigmatisation et à sensibiliser les gens à la prévention. Notre mission consiste à faire une photographie de la situation, avec des auditions à l’appui. Nous remettrons notre rapport et nos propositions au ministre le 4 mars 2024, à l’occasion de la Journée mondiale contre l'obésité. L’Etat décidera de ce qui est faisable ou non. Mais ce sera un engagement fort de santé publique parce que travailler sur l’obésité, c’est aussi travailler sur le diabète de type 2, la rhumatologie, l’infertilité masculine et féminine, et bien d’autres pathologies. On espère être à la hauteur de l’enjeu !


Au cœur de la prévention, il y a deux cibles prioritaires : les DROM-COM qui souffrent plus que l’hexagone de surpoids et d’obésité, et les enfants chez qui l’obésité est en augmentation. La CPAM a initié le dispositif « Retrouve ton cap » de prévention de l’obésité pédiatrique et de nombreux « Article 51 » sont en cours sur le sujet. Reste une revendication que nous portons : la sensibilisation et la formation des futurs soignants. Alors que la moitié de leur patientèle souffrira de surpoids ou d’obésité, leur cursus initial n’intègre pas la prévention, c’est une aberration !



Un dernier message à cette population de patients ?


Essayez d’être bien dans vos chaussures ! La vie passe vite, peu importe si on a des fesses plus généreuses que la moyenne ! L'essentiel, c'est d'être en bonne santé et une fois qu'on l'a perdue, on peut rarement revenir en arrière. Alors bougez ! Ça ne veut pas nécessairement dire faire du sport. C'est aussi danser, faire du shopping, promener son chien, faire du jardinage, les musées… ! Ça passe par l'identification, par le plaisir, par le nudge. Exit les donneurs de leçons !

Je suis une citoyenne française comme tout le monde et j’emmène avec moi qui veut me suivre dans ce combat un peu fou. Ça durera le temps que ça durera, je ferai ce que je pourrai. Mais si j'ai réussi à protéger trois personnes, alors c’est ma plus belle récompense !

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