EDITH DESMARAIS, illustratrice fondatrice de Boop Project et patiente engagée

Sylvie Favier • 21 novembre 2022

Glamour et humour : quand une styliste re-design le cancer


Edith Desmarais

Edith Desmarais

illustratrice fondatrice de Boop Project
et patiente engagée

Pouvez-vous nous présenter votre parcours jusqu’à la création de Boop Project ?


Je suis Canadienne, je viens d'avoir 50 ans, je suis styliste et j'ai travaillé pendant 25 ans dans la mode et le luxe en France, notamment chez Chanel et Dior.  En 2018, j'ai eu un cancer du sein – trois tumeurs dans le même sein. J’ai été opérée très rapidement et puis j’ai eu le protocole classique : chimio et radiothérapie. Juste avant le début de la chimio, ma mère qui a elle-même eu trois cancers et subi trois cycles de chimio, a eu cette réflexion qui m’a marquée : « Tu sais, ils en font tout un truc, du cancer et de la chimio, mais ce n’est pas si difficile que ça ! ». Alors que je me retrouvais chauve peu à peu, je me suis dit qu’elle avait dû oublier ! Alors j’ai eu envie de créer des visuels, des photos, des vidéos, pour me rappeler de moi à cette période de ma vie où moi qui travaillais dans l’univers de la beauté, je me trouvais aux antipodes du milieu d’où je venais ! Ma belle-fille, Jeanne Picard-Depalle, qui est assistante-réalisatrice, m’a proposé de me filmer à l’hôpital : en robe haute-couture, avec des platform shoes et différentes perruques que l’on m’avait prêtées, je me suis beaucoup amusée à défiler dans les couloirs. J’ai aussi monté un camping pour le remake de mes vacances passées à l’hôpital et j’ai interprété divers personnages dans un film, avec différentes perruques que l’on m’avait prêtées - la brune afro, la blonde accro au téléphone… -etc.

Je me suis découvert un potentiel comique que je pouvais utiliser comme outil de sensibilisation…
J’ai continué à me filmer régulièrement, à toutes les étapes de la maladie jusqu’à la repousse des cheveux et à la fin, je me suis dit qu’il fallait que je montre ces vidéos à quelqu’un d’assez « décalé » dans le monde de la cancérologie : Suzette Delaloge, médecin oncologue et grande spécialiste du cancer du sein à l’Institut Gustave Roussy mais aussi prêtresse des beaux-arts et ancienne gothique ! Elle les a trouvées géniales. C’est à partir de là, que j’ai créé, en 2020,  l’association Boop Project, qui a pour objet de créer des outils de communication - des livres, des films, des expositions - sur la thématique du cancer, avec une approche positive, décalée et ludique à visée pédagogique.



Comment s’exprime votre engagement ?


Je travaille depuis deux ans sur un premier projet, une série et un long métrage, qui sont toujours en cours. En attendant leur sortie, j’ai allié mon talent d’illustratrice - le personnage de Madame Boobs – avec le talent d’humoriste de Caroline Le Flour, qui est comédienne et auteure de « La Chauve SouriT », où elle raconte avec humour et désinvolture son combat contre un lymphome. Avec mes dessins et ses mots, nous avons créé deux BD pour faciliter l’annonce du cancer à la famille, à l’entourage et aux enfants : Madame Boobs a un crabosorus, puis son pendant masculin, Mister Ouille a un crabouille. Elles sont colorées et drôles. Madame Boobs me ressemble, elle est coquette, elle aime la mode. Quant à Mister Ouille, celui qui me l’a inspiré n’est pas au courant ! Ces livres sont en vente à Gustave Roussy et permettent de récolter des dons pour la recherche. On peut bien sûr les acheter sur notre site https://www.boopproject.com/ et actuellement aussi à la librairie de la Cité des sciences et de l'industrie, dans le cadre de l'exposition temporaire Cancers. C’est une grande fierté pour moi parce que le concept de ce musée entre complètement en résonnance avec ma vision des choses. 


Il y a aussi deux expositions en cours en Seine Saint-Denis, l’une, temporaire, à la mairie de Villemomble et l’autre, permanente, à l’hôpital Avicenne de Bobigny. L’une d’elles reprend des illustrations issues de mes livres, l’autre présente, au travers de 14 dessins, la courbe du Phoenix, une courbe émotionnelle utilisée en psychologie, qui décrit le mécanisme de la descente vers la dépression, puis la remontée progressive vers la résilience et la renaissance. 

Parallèlement à Boop Project, j’ai deux autres casquettes. Je suis illustratrice free-lance en santé. J’apprends beaucoup par le dessin anatomique que j’aime autant que le dessin humoristique ! Par exemple je travaille actuellement pour un laboratoire à un livret qui allie les deux sur la mutation génétique BRCA1/BRCA2, destiné aux femmes porteuses de cette mutation.


Enfin je suis patiente partenaire en cancérologie, diplômée de l’Université des Patients de Paris-Sorbonne depuis l’année dernière. J’avais suivi cette formation, en même temps qu’une formation en communication digitale, pour professionnaliser l’association. Aujourd’hui, je suis la première « patiente engagée » (c’est l’intitulé de mon poste) salariée de l’UTEEP, l’Unité Transversale d’Education et d’Engagement du Patient, à l’AP-HP, où je suis chargée de développer le partenariat patient dans l'éducation thérapeutique, au sein de différents services de maladies chroniques - cancers, mais aussi maladies cardiaques, asthme, diabète, etc.

Humainement, qu’est-ce que cela apporte ?


Cela donne du sens à ce que j’ai vécu. Je trouve très important de livrer un témoignage et de le partager pour aider mes pairs. J’ai quitté le milieu de la mode mais je mets ma créativité au service d’autre chose. Par exemple, j’ai posé récemment, à la demande d’une abonnée, pour la maison 123, qui a réalisé une série de spots publicitaires pour une collection dont le fruit de la vente est intégralement reversé à SOS Cancer du sein. C’est une association qui propose des soins de support dans la région niçoise. Moi qui en ai largement bénéficié, j’ai été très heureuse de rendre la pareille en contribuant bénévolement, à ma mesure, au bien-être de ces femmes. C’est tellement important !


Mon expérience du cancer, c’est une vision décalée, entre rêve et réalité, que j’essaie de transmettre par une approche très personnelle : se projeter dans l’imaginaire quand la réalité devient trop dure. C’est établir un équilibre entre distraction et information, entre rire et respect de la souffrance.



D’autres projets créatifs en gestation ?


Deux autres livres sont en préparation, l’un sur les cancers pédiatriques et l'autre sur le développement des cellules cancéreuses. On aimerait rendre cette information accessible aux plus jeunes, au sein de l’Education Nationale, parce que nous sommes tous impactés par cette maladie, directement ou indirectement.


Comme toujours, il faut trouver des fonds… Nous avons reçu le soutien de l’appel à Agir In Seine Saint-Denis 2021 et de Malakoff Humanis, qui nous ont permis de financer les films en partie. Lorsqu’ils sortiront (courant 2023, en fonction des financements et des diffuseurs), ils seront diffusés sur le Web mais nous aimerions aussi qu’ils soient retransmis à la télévision, pour avoir un maximum d'audience. C'est en négociation…

Et puis, comme j'ai aussi fait une formation en animation, j'adorerais animer mes personnages Madame Boobs et Mister Ouille !

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