CHRISTOPHE RAMEAUX, pair-aidant en santé mentale, co-fondateur d’ESPER Pro et du Groupe d’Entendeurs de Voix de Marseille

Sylvie Favier • nov. 29, 2022

La pair-aidance en santé mentale : la perspective du rétablissement


Christophe Rameaux

Christophe Rameaux

pair-aidant en santé mentale, formateur en rétablissement, co-fondateur d’ESPER Pro et du Groupe d’Entendeurs de Voix de Marseille

Tout d’abord, pouvez-vous vous présenter brièvement à nos lecteurs ?


Je m’appelle Christophe, j'ai 44 ans, j’habite en région PACA. Je suis technicien biologiste de formation. Vers l’âge de 27-28 ans, même si je pense a posteriori qu’il y avait eu des prémices à l’adolescence, d’étranges phénomènes se sont manifestés, avec les problèmes que cela engendrait au quotidien : je racontais que la télévision me parlait, j’entendais des voix là où il n’y avait personne, je souffrais d’un délire de persécution. Ma famille s’en est beaucoup inquiétée, j’ai consulté des psychiatres libéraux, jusqu’à ce qu’à 33 ans, une décompensation psychotique me conduise à consulter le service de santé mentale adulte du Pr Lançon à Marseille. Après toute une batterie de tests somatiques et psychologiques, le diagnostic a été posé : schizophrénie paranoïde. J’ai accueilli ce diagnostic à la fois avec soulagement, parce que je comprenais enfin ce qu’il m’arrivait, et avec le désarroi lié à la conscience aiguë des représentations sociales de la maladie mentale. La schizophrénie est une maladie mal connue, qui s’accompagne dans l’imaginaire collectif de connotations et stéréotypes très négatifs. Le poids de la stigmatisation est lourd à porter.



Dès lors, quel a été votre cheminement vers la pair-aidance ?


Je me suis senti tellement libéré après le diagnostic que j’étais décidé à engager une reconversion professionnelle. Je sentais qu’il me fallait trouver une voie qui me permette d’apporter mon aide à d’autres, à l’instar de ce que j’avais moi-même reçu. Et dans le service du Pr. Lançon, j’ai rencontré deux travailleurs pairs, dont Yves Bancelin, qui m’ont donné envie d’exercer leur métier. Par son intermédiaire, j’ai d’abord intégré le programme expérimental de recherche Un chez soi d’abord, inspiré du concept Housing First développé aux États-Unis pour les sans-abris qui présentent des troubles psychiques.

La démarche prend totalement le contrepied des procédures de logement habituelles puisqu’elle attribue un logement sans condition préalable, sans passer par les centres d’urgence et d’hébergement, avec un suivi médical personnalisé pouvant aboutir, à terme, à un glissement du bail pour être locataire en titre. Depuis, ce programme a fait ses preuves (85% de stabilisations dans les logements et des rétablissements plus rapides) et a été déployé dans une trentaine de villes.


Le programme Working First, sur lequel j’ai travaillé ensuite, est né du constat que la problématique du travail se posait à la plupart des personnes accompagnées dans le cadre d’Un chez soi d’abord. Une partie de l’équipe est partie se former au Canada à la méthodologie IPS (Individual Placement and Support) pour proposer aux personnes souffrant de troubles psychiques un coaching qui fonctionne sur le même principe : l’emploi d’abord, sans condition préalable, le reste vient après. Dans les deux cas, les pratiques mettent en œuvre un parcours de rétablissement, c’est-à-dire un parcours individuel vers une vie choisie et satisfaisante pour la personne, malgré la maladie et la persistance possible de symptômes.


Nous nous réunissions souvent entre pairs-aidants pour parler de nos pratiques. Et d’année en année, il est devenu évident que les besoins et l’intérêt pour le métier ne faisaient qu'augmenter. Du coup, nous nous sommes lancés dans l’aventure d’ESPER Pro, dont Yves Bancelin est aujourd’hui le directeur. 

Expliquez-nous l’approche développée dans ce projet, ses valeurs...


ESPER Pro (Espoir, Soutien, Plaidoyer, Empowerment, Responsabilisation, ndlr) est une association de médiateurs de santé pairs en santé mentale. Elle porte la plateforme PACA de pair-ressources qui a pour objectif de faciliter l’accès à l’accompagnement par un pair-aidant. Nous travaillons soit avec des personnes concernées qui nous contactent directement ou nous sont adressées, soit avec les services sociaux et médico-sociaux à l’intégration dans leurs équipes de travailleurs pairs. L’accompagnement vise à induire un changement positif de perception chez nos pairs et se fait à travers divers outils pratiques dont nous disposons dans notre mallette de pair-aidant professionnel : le plan de rétablissement, l’entretien motivationnel…etc. Nous proposons également des modules de formation basés sur les parcours de vie que nous avons-nous-mêmes vécus et qui légitiment notre action. 


ESPER Pro porte également le groupe d’Entendeurs de voix de Marseille, dont je suis facilitateur. Il s’agit là de trouver, sans porter de jugement, des stratégies pour considérer ses hallucinations auditives comme une expérience de vie qui a du sens et pas seulement comme les symptômes d’une maladie mentale. Cela permet de vivre avec et mieux, et d’échapper à l’isolement qu’elles suscitent.


Dans son ensemble, notre démarche repose sur des valeurs de non-jugement, de solidarité, de respect et de tolérance. Avec l’aide de nos partenaires – des cliniques, des associations médico-sociales… - nous voulons promouvoir cette approche psycho-sociale (plus que sanitaire) de la maladie mentale et ces pratiques unificatrices et intégratives, de nature à faire évoluer le regard sur les maladies mentales. Car même si des changements commencent à se profiler dans le secteur de la psychiatrie classique (qui ne recourt pas à des méthodes orientées rétablissement), dans la société, la capacité à se rétablir lorsqu’on souffre de troubles psychique demeure totalement méconnue.
Et les préjugés ont la vie dure !




Que souhaitez-vous pour l’avenir d’ESPER Pro ?


ESPER Pro, c'est surtout une belle aventure humaine avec un collectif très fort qui nous rend heureux et fiers de faire ce que faisons. Alors, ce que nous souhaitons en tout premier lieu, c’est qu’elle perdure et que notre action puisse être pérennisée ! Notre association est financée par l’ARS et intervient aujourd’hui dans plusieurs départements de la région PACA ; nous allons simplement nous attacher à poursuivre ce développement régional.

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