CLAUDE COUTIER, présidente du Collectif Triplettes Roses
Gagner du temps de vie pour les Triplettes et accélérer l’accès à l’innovation thérapeutique
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
J’ai 53 ans. J'ai deux grands enfants. Ils ont 30 et 27 ans. Avant d'être malade, j’avais une vie agréable et tranquille. Informaticienne de formation, je travaillais dans un grand groupe bancaire avec des beaux projets. En novembre 2017, une mammographie montre deux anomalies, des microcalcifications et un nodule. Seule une biopsie des microcalcifications est faite car elles sont considérées comme les plus alarmantes mais cela n’a rien montré. Quelques mois après, le nodule avait grossi et la biopsie a révélé un cancer du sein triple négatif. Trop souvent, chez les jeunes femmes, les médecins n’accordent pas assez d’importance aux nodules. En effet, il y a plein de raisons d’avoir un nodule et dans la majorité des cas ce nodule est bénin. Mais il est important de vérifier pour écarter tout risque de cancer. Dans mon cas, il y a eu huit mois de retard de diagnostic.
Lors de mon premier rendez-vous à l'Institut Curie, le médecin a été très transparent. Il m’a dit « Madame, vous n’avez pas un petit cancer du sein, vous avez un triple négatif ! » J’ai alors commencé les traitements : chimiothérapies, opérations, radiothérapie. Puis, j’ai décidé de reprendre le travail en juin 2019 en parallèle de la prise d’une chimiothérapie orale pour réduire le risque de récidive. Dès l’été, j’ai eu le sentiment que quelque chose n’allait pas. Je ressentais des douleurs croissantes. Il aura fallu que des côtes se cassent à cause de métastases pour mettre en évidence une récidive précoce. J'étais effondrée, mais j'avais un mot sur ma douleur.
Dans mon malheur, ma maladie a eu la bonne idée de récidiver alors qu’une autorisation temporaire d'utilisation, une ATU, existait pour une immunothérapie appelée atezolizumab couplée à une chimiothérapie. Elle a vite été arrêtée car les conclusions définitives de l’essai clinique étaient défavorables. J'y ai toujours droit depuis janvier 2020 car ce traitement fonctionne pour moi ; la maladie s’est stabilisée. Les métastases sont toujours là, mais elles ne progressent plus. Je mesure cette chance incroyable !
Comment est né votre engagement ?
Sur un double constat. D’une part, j’ai droit à un traitement alors que toute nouvelle Triplette dans la même situation ne peut plus en bénéficier. D’autre part, aux États-Unis, les Triplettes métastasées bénéficient d’un traitement novateur non disponible en France. Le collectif est né de cette réalité. Il faut savoir que ce cancer touche des femmes jeunes -40 % ont moins de 40 ans- et cela conduit à des retards de diagnostic. Il représente à peu près 15 % des cancers du sein, il est particulièrement agressif avec un taux de récidive de 30 % trois ans après l'annonce du diagnostic.
Triple négatif veut dire qu’il n'a pas de récepteurs aux œstrogènes, ni à la progestérone et que la protéine HER2 n’est pas exprimée. Au premier abord, certaines femmes pensent que c’est une bonne chose, mais en fait cela veut surtout dire qu’il n'y a peu ou pas de thérapie ciblée pour le soigner, contrairement aux autres cancers du sein. Lorsque des métastases se sont propagées à d’autres organes, la médiane de survie est de quatorze mois. Quatorze mois, ce n'est rien ! Heureusement, nous ne sommes pas une statistique. J’ai d’ailleurs largement dépassé les deux ans d’espérance de vie que l’on m’accordait.
Avec d’autres femmes du groupe Facebook « Les Triplettes Cancer du sein triple négatif », nous avons créé, en décembre 2020, un collectif informel #MobilisationTriplettes, pour revendiquer l’accès à cette fameuse molécule disponible aux USA, le sacituzumab govitecan. Notre motivation était d’abord de comprendre pourquoi il n’était pas possible de l’avoir en France. Nous avons sensibilisé les médias, l'opinion publique, les politiques, l’ANSM, d’autres associations de patients et le ministère de la Santé. Les oncologues nous ont soutenues. Nous avons également contacté le laboratoire qui produisait la molécule. Nous avons installé spontanément une démarche collaborative en réunissant toutes les pièces du puzzle pour aboutir à notre objectif.
Quels ont été les résultats ?
Nous avons d’abord identifié un problème d'approvisionnement de la part du laboratoire. Grâce à une enquête auprès des oncologues, nous avons montré que cela représentait, en France, « seulement » 600 Triplettes en urgence de vie ! En juin, nous avons obtenu des doses pour 78 d’entre elles. Cela parait ridicule mais c’était un début. Nous avons augmenté l’espérance de vie de 78 femmes de six mois. Dans notre cas, l’urgence est de gagner du temps, tout en préservant notre qualité de vie, en espérant l’arrivée d’une nouvelle thérapie qui nous permettra de vivre avec et dans l'idéal de guérir. Nous avons maintenu le cap et en novembre 2021, grâce à la mobilisation de tous, nous avons obtenu l’accès à ce médicament pour toutes les Triplettes qui en avaient besoin.
La seconde réussite est d’avoir obtenu plus rapidement la mise à disposition du pembrolizumab au stade précoce de la maladie mais aussi en première ligne de traitement métastatique pour les Triplettes, grâce au dispositif d'accès précoce, avant l’autorisation de mise sur le marché. Ce dispositif français est très précieux et beaucoup nous l’envient. L’accès à l’innovation thérapeutique est notre mobilisation prioritaire.
Notre deuxième axe est de faire connaitre le cancer du sein Triple Négatif et sensibiliser les patients, le grand public et les professionnels de santé non spécialisés en oncologie sur la particularité de ce type de cancer. C’est notamment important pour réduite les retards de diagnostic. Comme pour tous les cancers, plus il est pris tard, plus il est difficile à soigner. Or, en situation métastatique, il n'y a pas de rémission pour les Triplettes. Le troisième point est le soutien à la recherche. Nous soutenons des programmes bien précis, bénéfiques pour les Triplettes.
Quels sont vos liens avec les autres associations de patients, notamment autour du cancer du sein ?
Dès le départ, nous ne nous sommes pas positionnées comme un groupe de soutien ou de parole. De nombreuses associations le font déjà très bien. Nous agissons en complémentarité avec d’autres associations. On peut, par exemple, citer Jeunes et roses, Geneticancer, Mon Réseau Cancer du Sein, le Collectif 1310 et bien évidemment La Ligue. Nous souhaitons favoriser des actions communes avec les autres associations via notre réseau régional d’ambassadrice(eur)s.
Notre histoire reste très récente. Le collectif est né en décembre 2020 et nous sommes principalement des femmes en traitement. Nous mobilisons notre énergie sur nos urgences de vie. Il est donc d’autant plus important de travailler avec le tissu associatif. Par exemple, des associations locales qui ont vu notre webinaire du 3 mars, pour la journée mondiale du cancer du sein triple négatif nous ont contactées pour unir nos forces.
Justement, comment êtes-vous structurées ?
Jusqu'à décembre 2021, nous étions un collectif informel. Aujourd’hui, nous sommes une association loi 1901. L’histoire est particulière et touchante. Une jeune femme, Dorothée, avait créé en septembre 2019 l’association « Les Triplettes roses ». Elle est malheureusement décédée au moment où nous avons créé le collectif #MobilisationTriplettes. Nos objectifs étaient les mêmes. Nous avons rencontré Léa, la fille de Dorothée, qui voulait continuer à faire vivre l’association en mémoire de sa maman. Mais elle ne pouvait pas répondre à toutes les sollicitations et cela devenait lourd à porter.
De manière très naturelle, nous avons fusionné nos entités. En décembre dernier, les Triplettes Roses et notre collectif #MobilisationTriplettes sont ainsi devenus l'association « Collectif Triplettes Roses ». Nous voulons améliorer la prise en charge des Triplettes et garantir l’égalité des chances sur le territoire français. Nous sommes convaincues que chaque patiente doit être considérée comme une partenaire à part entière de l’équipe de soins.
Qu’est-ce qui vous anime personnellement ?
C’est cette capacité à faire bouger les choses, à faire bouger les lignes, qui m’anime. Dans notre communication, nous insistons sur le fait qu’ensemble, tout est possible. Je n'aurais jamais imaginé cette vie-là, la richesse des rencontres avec des personnes investies, généreuses, sensibles, des modèles... Et je ne pensais pas que cela donnerait tant de sens à ma vie même si je m'éclatais dans mon boulot avant. J'ai toujours été passionnée par mes actions professionnelles. Aujourd'hui, j'ai dépassé l’espérance de vie qu'on me donnait, donc finalement, chaque jour est un cadeau !
D’ailleurs, après deux ans d’arrêt, j'ai repris mon travail, à 30 %. Reprendre le travail était une sorte de test pour voir où j’en étais, de quoi j’étais capable. Cela rassurait aussi mon entourage. Et puis, j'ai demandé à travailler sur des sujets plus en lien avec l’humain. J'ai aussi la chance d'avoir intégré l'Université des patients dans la Masterclass « Mission Patient Partenaire dans le Cancer du sein métastatique », qui s’est terminé en juin. Là aussi, j’ai fait des rencontres magnifiques. Cela ouvre aussi mes perspectives. Les actions du Collectif Triplettes Roses sont centrées sur les urgences de vie, qui sont les réalités de notre maladie. Là, je m'ouvre à d'autres réalités du cancer du sein métastasé, le vivre avec sur la durée.
Actuellement, nous sommes très mobilisées sur la préparation d’Octobre Rose.
Quelle est votre actualité ?
Notre objectif actuel est d’améliorer l’accès à l’innovation thérapeutique via les essais cliniques car les Triplettes y ont trop peu accès. Nous avons construit un programme ambitieux appelé TripletteAccess. Il est composé de 3 piliers. Le premier doit garantir l’égalité des chances sur le territoire. Le deuxième est la mise en place d’une plateforme nationale des essais cliniques, nous avançons avec KLINEO sur ce pilier. Le dernier est l’accompagnement des patientes.
Ce programme fait d’ailleurs appel à certaines de mes compétences professionnelles en informatique, en gestion de projet et en organisation.
Nous sommes en lien avec l’Institut National du Cancer, la Direction du Numérique en Santé du ministère de la santé, des oncologues, des laboratoires et La Ligue pour ce programme. Notre objectif est de pouvoir montrer un résultat d’ici la fin d’année.
Nous continuons également à avancer sur nos autres axes comme la mise en place du réseau d’ambassadrices en région. Par exemple, en septembre, en région Auvergne-Rhône-Alpes, sous l’impulsion de Jeunes et Roses et avec Geneticancer, en lien avec le Centre Jean-Perrin de Clermont-Ferrand, nous montons une action de sensibilisation des professionnels de santé au cancer du sein chez la jeune femme. Enfin nous préparons activement Octobre Rose.