ERIC BALEZ, patient expert, vice-président de Afa Crohn RCH France

Damien Dubois • sept. 04, 2022

Un patient expert autodidacte et multifonction


Eric Balez

Eric Balez

Vice-présidente de AFA Crohn RCH France

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
 

J’ai 58 ans, deux filles et deux petits-enfants. Nous vivons près de Nice. J’ai un parcours santé vraiment atypique. En me voyant, personne ne se doute que j’ai eu trois cancers, l’ablation du colon, de la vessie, de la prostate, du rectum ; que j’ai une stomie de l’urètre avec une vésicule biliaire et en insuffisance sévère. Professionnellement, je suis un autodidacte. J’ai quitté l’école en 3e avant de commencer dans une petite start-up en bas de l’échelle. Je suis passé par tous les services. 15 ans après, j’étais le bras droit du patron comme ingénieur production dans la chimie. Avec mon 2ème cancer, on me donnait six mois à vivre. A contre-cœur, je me suis mis en invalidité. Je me suis dit après que je m’occuperais autrement. Aujourd’hui, je donne 50h par semaine au milieu associatif ; une surprise pour moi qui étais anti-association. Cela fait plus de 15 ans que je suis patient expert à l’Afa Crohn RCH France, dont je suis aujourd’hui vice-président, alors que je ne suis jamais resté plus de 5 ans dans une entreprise.

Justement, comment passe-t-on d’anti-association à vice-président ?
 

A 14 ans, j’étais d’abord un patient passif. Progressivement, je suis devenu actif pour moi-même, gérer ma stomie, mes sondes bilatérales, les passages au bloc, les septicémies. J’ai décidé de changer moi-même mes sondes pour être plus autonome. J’ai observé, puis fait avec l’infirmière puis tout seul. Au début, le médecin n’était pas du tout favorable. Pourtant, cela fait 20 ans que je ne suis pas retourné aux urgences alors que j’y allais tous les 3 ou 4 mois. Je me suis créé un classeur Excel pour noter tout ce qui se passait. Je le montre souvent aux patients comme exemple. Un jour, lors d’un problème de passage de sonde, j’ai pu remonter deux ans après, pour constater que cela était déjà arrivé dans les mêmes circonstances de reprise de musculations. En reformant ma plaque abdominale, la sonde passait moins bien.

 

Ensuite, je suis devenu acteur pour les autres malades même si ce n’était pas naturel. J’imaginais les associations emplies de personnes âgées ressassant la maladie. Lors d’une grosse opération, avec mon 2ème cancer, une mamie est venue taper à ma porte. A la 3ème visite, cette femme d’1m50 et 33 kilos, qui se démenait du haut de ses 80 ans, m’a convaincu de mettre un pied dans son association. J’avais 36 ans et cette femme, qui en avait 16 dans la tête, m’a sorti de mes préjugés. J’ai accepté d’agir, notamment avec mes compétences de vidéaste, mais au début, je ne voulais pas voir de malade. Je n’avais pas encore pris assez de recul. Rapidement, il m’a été proposé de reprendre l’AFA dans la région, sans délégué depuis plusieurs années. Le vrai basculement s’est opéré quand le responsable du pôle digestif du centre hospitalier m’a proposé de témoigner à la journée nationale des MICI[1]. J’ai alors compris la valeur du témoignage. Visiblement, je véhiculais une image positive qui rassurait. Dans la foulée, j’ai mis un pied dans l’écoute avant même d’être formé en 2008 à l’éducation thérapeutique du patient (ETP) avec les professionnels de santé.

 

C’était le début de l’ETP, en amont de la loi HPST[2] et nous avons travaillé sur un programme en insistant sur la participation des patients. J’ai eu l’une des quatre premières places. J’ai convaincu également le patron du pôle digestif de monter un programme avec le service. Nous avons créé le premier binôme patient expert et professionnel de santé, avec la psychologue du service dès 2008. Quand la loi est passée, nous avions déjà lancé le programme.

 

Par ailleurs, petit, je voulais travailler dans l’audiovisuel. La vie en a décidé autrement, mais grâce à l’association, j’ai pu m’y reconsacrer. J’ai créé l’AFA WEB TV. Aujourd’hui, nous avons plus de 15 000 usagers et plus de 600 vidéos, tournées en 8 ans et 400 pour la plateforme MICI Connect.


 

Quelle est votre perception de l’évolution de l’engagement patient ?

 

En fait, globalement, la perception de l’apport des associations et des patients experts a énormément évolué. Progressivement, les professionnels comprennent que l’expertise en question n’est pas opposable mais complémentaire et constructive pour eux aussi. Je trouve qu’il y a une bonne dynamique et je suis très intéressé pour faire avancer le partenariat de soin même si ce n’est pas encore une évidence pour tous, y compris certains patients experts. Personnellement, je suis un autodidacte. Je n’ai pas fait de formation particulière. Je suis parti de mon savoir expérientiel et de mon bagage personnel. Je suis un facilitateur, encore plus dans le binôme que je forme avec la psychologue. Et au sein de l’association, j’aime cette polyvalence, entre les vidéos, la communication, l’écoute, les liens avec les hôpitaux…


 
[1] Maladies Inflammatoires Chroniques de l’Intestin

[2] Loi Hôpital Patients Santé Territoires de 2009 qui a posé le cadre de l’ETP

Revenons à MICI Connect. En quoi consiste cette plateforme ?


En 2016, nous avons remporté un appel à projet pour monter la plateforme gratuite MICI Connect, d’information, d’accompagnement et d’échange pour mieux vivre avec une maladie
de Crohn ou une rectocolite hémorragique. Je l’ai conçue en partant de mes besoins non couverts au cours de ma maladie. Elle est donc faite par des malades avec un comité de pilotage de médecins et d’infirmières pour valider ainsi que 7 patients experts. Nous sommes partis des propositions des malades soumises à des professionnels pour la construire ensemble, contrairement à ce qui se passe souvent. En 2018, nous avons d’ailleurs remporté le prix Galien face à des start-ups et laboratoires pharmaceutiques.

Nous la faisons évoluer régulièrement et sommes en train de l’ouvrir à d’autres pathologies chroniques avec l’ARS PACA. Aujourd’hui, MICI Connect rend par exemple l’ETP accessible aux personnes éloignées des centres de soins ou qui ne peuvent se déplacer. Nous avons adapté et restructuré les formats, en différents cycles…. Les professionnels n’ont pas tout de suite adhéré à ce volet et nous l’avons monté seuls. Pourtant quand le Covid est arrivé, tous les centres nous ont appelés en urgence pour numériser leur programme. Nous leur avons monté des ateliers clés en main. En échange, ils incluent des patients experts et valorisent l’association et nos outils, à commencer par MICI Connect.
 

Comment la plateforme est-elle reçue par les professionnels ?

 

Elle intéresse énormément. En tournant avec Anne Buisson, directrice-adjointe de l’association, sur les événements, nous nous sommes rendu compte de la notoriété de la plateforme. Pourtant, les professionnels n’envisageaient pas toute sa richesse. Pendant la pandémie, j’ai organisé des visios de démonstrations qui ont abouti à un comité de pilotage pour développer une version pro de MICI Connect pour la recherche clinique. Avec ces professionnels, nous sommes en train d’aboutir à une version avec un standard beaucoup plus solide avec des scores. Ce sont des procédures complexes notamment juridiques et règlementaire mais nous avançons.

Quelles sont d’ailleurs vos dernières actualités ?


Nous avons mis en place une formation sur la fatigue et la douleur dans la continuité de trois webinaires sur le sommeil, la douleur et la fatigue que l’on peut retrouver sur notre WEB TV. La première a eu lieu début juin avec un grand succès. Il y a eu plusieurs ateliers sur l’information, la façon d’aborder le sujet et nous avons réalisé un slam sur la douleur avec un résultat très sympa. J’ai tourné une trentaine de vidéos à disposition des associations et pour nourrir MICI Connect.

 

Et plus récemment, nous avons développé un axe qui me tient particulièrement à cœur. Nous avions eu l’occasion de faire des ateliers de cuisine en présentiel et j’ai proposé de les faire en live pour en ouvrir l’accès au plus grand nombre. Nous avons investi pour du matériel et la formation. Le premier live en juin a très bien marché et le prochain est le 29 septembre, vous retrouverez toutes les informations sur notre site.

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