Participer à l’Ocean Globe Race, une course mythique à la voile autour du monde, avec au sein de l’équipage de Neptune, un marin vivant avec la maladie de Parkinso
Bertrand Delhom
Patient aventurier, navigateur,
Fondateur de l'association "Neptune - Gagner avec Parkinson"
Bertrand pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je me présenterais bien aujourd’hui comme un aventurier de la course au large à la voile mais c’est un raccourci un peu rapide pour un long chemin. J’ai 59 ans, je suis marié et père de trois filles et grand-père de 6 petits-enfants. Passionné depuis toujours de mer et de voile j’habite à Plabennec à 15 kilomètres au nord de Brest.
Depuis l’adolescence je souffre de torticolis spasmodiques et de tremblements essentiels qui ne m’ont pas empêché de débuter ma carrière professionnelle comme moniteur de voile. Avec l’évolution de ma famille et l’arrivée des enfants, j’ai fait évoluer mon projet et j’ai lancé une entreprise de réparation de moteurs marins.
Début 1995 ma santé s’est dégradée avec des signes de sciatique paralysante suivis d’une intervention sur la colonne vertébrale. Ç’a été un coup d’arrêt professionnel brutal et j’ai été contraint de confier mon entreprise malheureusement à la mauvaise personne, entrainant la fermeture de mon magasin. Ce vol de confiance m’a plongé dans une dépression sévère qui s’est soldée par plusieurs tentatives de suicide et de multiples séjours longs en hôpitaux psychiatriques.
J’ai remonté la pente pas à pas et j’ai retrouvé un emploi dans le milieu mécanique mais je n’ai pas pu poursuivre à cause d’une exposition trop forte au monoxyde de carbone. Encore un accident de santé mais je ne me suis pas découragé et j’ai rebondi en rejoignant une entreprise spécialisée dans les moteurs marins. Ultime coup du sort dans mon parcours professionnel, j’ai eu un accident entraînant une section de l’avant-pied droit avec de multiples complications, staphylocoque doré, septicémie, ostéite : trois années de galère aboutissant au statut d’invalidité.
Je me suis engagé dans une activité bénévole dans les modèles réduits toujours autour de ma passion la voile. En 2013, à la suite d’un incendie à notre domicile et d’une nouvelle intoxication respiratoire j’ai été hospitalisé. Des examens réalisés lors de mon séjour ont mis en évidence un cancer du pancréas et nécessité très rapidement une duodénum-pancréatectomie avec ablation de la vésicule biliaire.
Mon torticolis s’est aggravé et j’ai subi une double opération au niveau des cervicales avec des suites compliquées, presque une habitude pour moi, et déclaration d’une méningite. Quelques mois plus tard, une opération de Lapeyronie complète cette riche anamnèse.
Mais décidément je n’en ai pas fini avec ma santé. En mai 2021, à la suite d’un bilan préopératoire pour une neurostimulation profonde en vue d’améliorer mon torticolis spasmodique et arrêter mon traitement de toxine botulique je reçois l’annonce de ma maladie de Parkinson. Connaissant des cas autour de moi, je suis un patient averti.
Pour tenir la barre, en bon marin, je retourne à ma passion et m’inscris comme enseignant bénévole à l’association Handi Voile Brest. J’accompagne des non-voyants, des personnes porteuses de handicaps très différents, tétraplégie, trisomie…, dans la pratique de la voile. Ils ont décuplé mon mental. Quelle meilleure récompense que de voir leur sourire éclatant lors des sorties en mer ?
Cette force je l’ai utilisée pour me lancer dans mon projet incroyable d’aventurier relevant le défi d’une course au large malgré ou avec la maladie de Parkinson.
Comment votre projet a-t-il vu le jour ?
En 1985, j’avais le rêve de devenir équipier d’un bateau pour la fameuse course Withbread autour du monde et en équipage. J’avais envoyé ma candidature à Eric Tabarly mais son équipage était complet et j’ai renoncé …mais pas définitivement. En 2021 je tente ma chance pour la Mini Transat mais le parcours de qualification est trop compliqué… Alors lorsque j’apprends le lancement de l’édition 2023 de l’Ocean Globe Race, nouvelle dénomination de la Withbread, pour les 25 ans de cette course mythique en trois étapes autour du globe je relance mon rêve…
Plein d’énergie retrouvée, je démarche tous les voiliers français engagés et j’obtiens 4 réponses dont celle concernant le projet Neptune. Ce bateau est le modèle du prototype construit en 1976 pour la Withbread et, fait du hasard, c’est le petit frère du Pen Duick d’Eric Tabarly. Le responsable du Neptune est médecin et cherche à donner un sens à sa course. Il a été confronté à la maladie de Parkinson avec deux de ses proches, son beau-père et un de ses amis.
Nous nous rencontrons à Vannes et très vite la décision est prise. L’association « Neptune – gagner avec Parkinson » est lancée. Je touche là mon rêve, à 59 ans, malade de Parkinson et alors ? Je suis de cet équipage intergénérationnel et partirai pour le tour complet.
Mais alors comment ça marche ? Parlez-nous de votre projet aujourd’hui
La course part de France en septembre 2023 avec trois escales : Le Cap, Auckland, et Punta del Este. C’est un projet de longue durée pour tous et bien sûr surtout pour moi, 8 mois dont cinq mois et demi de navigation. Il s’agit d’une première dans la course au large, intégrer au sein de l’équipage un marin vivant avec une maladie neurodégénérative : ‘Parkiss’, les voileux apprécieront. Le bateau bénéficie d’aménagements adaptés et l’équipage se prépare pour m’accompagner au mieux. Mais je ne veux pas qu’ils soient mes infirmiers ! Nous devons nous qualifier et parcourir 1 500 miles. Mois après mois, notre agenda de régates et d’entrainement se construit jusqu’au jour du départ. Nous serons 10 marins à bord dont 4 permanents, le skipper, le bosco qui a remis le bateau en état, un jeune de moins de 20 ans et ‘ma pomme’.
Depuis que j’ai ce projet, mes proches ne me reconnaissent plus. Mon médecin lui-même n’en revient pas ; il a pu supprimer les traitements pour la dépression, psychotrope, modulateur de l’humeur, diminuant à très faibles doses les morphiniques présents de longue date pour la douleur.
Quelles sont vos prochaines étapes ?
Nous voulons utiliser la voile et l’aventure humaine pour porter des messages forts dans la lutte contre la maladie. Nous souhaitons mettre en avant l’adaptation de la société au vieillissement et donner de l’espoir aux 7 millions de personnes vivant avec la maladie de Parkinson. Nous avons obtenu le haut patronage du ministère de la Santé et le soutien du département du Morbihan. Nous recherchons des partenaires pour apporter de la visibilité à ce projet un peu fou et des mécènes pour nous aider à finaliser nos préparatifs.
Nous préparons des actions de sensibilisation, des ateliers sport et santé, des conférences d’information et de sensibilisation à destination du grand public, un long métrage est en élaboration.
Nous souhaitons enrayer les préjugés autour de cette maladie et présenter différemment le quotidien des patients et de leur entourage. Nous avons aussi prévu, lors de nos trois escales, des rencontres avec les associations de patients locales.
Cette épopée s’appuie sur une pratique de la voile rappelant les conditions de la première édition il y a 50 ans, sans aide météo et simplement des cassettes pour écouter la musique. Alors je vais vivre au rythme du vent et de la mer et je vais tenir un carnet de bord jour après jour pendant la course pour raconter ma place dans ce projet et ma vie au sein de l’équipe. Ce carnet sera déchiffré à notre retour avec l’aide d’un neuropsychiatre.
A notre arrivée, le bateau sera adapté pour accueillir des personnes en situation de handicap, des séniors et personnes atteintes de maladies neurodégénératives. Notre projet de course n’est qu’un début, un starter emblématique pour ouvrir de merveilleuses opportunités à d’autres patients. Je partagerai donc mon rêve !
Qu’avez-vous envie de partager de votre expérience ?
Ce début d’aventure m’a ouvert de formidables portes et permis déjà de faire des rencontres incroyables que je n’aurais pas pu imaginer au moment où j’ai lancé mes candidatures. Ce n’est pas parce que l’on vit avec une maladie de Parkinson qu’il faut rester dans son coin. Chaque individu a quelque chose qui lui tient à cœur et il faut faire en sorte que cela se réalise. La maladie ce n’est pas le chant du cygne, je pense que mes tentatives de suicide font partie du parcours, je n’ai plus le droit d’envisager cette solution pour ma famille, mes petits-enfants.
Tous mes proches soutiennent ce projet. Mon père très âgé s’accroche à ce projet et lui aussi rêve de me voir arriver. J’ai un ami de longue date qui vit au Canada et qui a décidé de venir m’accueillir lors de l’étape de Auckland à des milliers de kilomètres de chez lui.
Je sais que je vais vivre une aventure incroyable et aussi très dure sportivement et enfin réaliser ce rêve de jeunesse. La vie est belle, je peux le dire aujourd’hui grâce à mon engagement dans le projet Neptune. C’est aussi partager la devise de l’équipe : qui ose vivra !