BEATRIX de LAMBERTYE, consultante en Obésité-TCA
Un projet de formation soignants, dans le champ de l’obésité, reposant sur un travail de recherche et un savoir expérientiel
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Dans le passé, j’ai été écrivain fantôme, formatrice auprès d’adultes, enseignante anglophone en affaires internationales à l’ESSEC et avant, j’ai travaillé dans le milieu du transport international. Aujourd’hui, je suis consultante en obésité et troubles du comportement alimentaire. Cette expertise est née d’un terrain expérientiel à travers la militance au sein de l’association Allegro Fortissimo, créée en 1989 par Anne Zamberlan. Anne est à l’origine du mot grossophobie, entré dans le dictionnaire en 2019. Pendant 8 ans, j’ai été la porte-parole de l’association et je gérais le forum de l’association pour aider les personnes témoignant de violences, de stigmatisation et de discriminations vécues par les personnes corpulentes.
J’ai moi-même été confrontée à l’obésité de manière beaucoup plus importante qu’aujourd’hui. J’ai vécu un parcours de chirurgie bariatrique et réparatrice. C’est après avoir assisté à un certain nombre de colloques de la SOFFCOM (Société Française et Francophone de Chirurgie Métabolique) que j’ai enfin entendu dire par des chirurgiens spécialisés, que l’obésité était une maladie chronique, et qu’une chirurgie bariatrique permet de perdre du poids, pas de guérir de l’obésité.
Comment votre parcours d’engagement s’est-il construit ?
À partir de cette prise de conscience, au début des années 2010, j’ai commencé à réfléchir à des propositions pour améliorer la communication entre les personnes en situation d’obésité et le reste du monde, surtout le milieu médical et les institutions.
J’avais suivi une formation universitaire en Victimologie et psychotrauma en 2002, à la faculté Paris V-Descartes. Elle m’a permis de comprendre les mécanismes du syndrome post-traumatique et son impact sur le long terme. Je me suis intéressée également au concept de double contrainte, qui vient de l’école de Palo Alto : Grégory Bateson explique comment elle se traduit par une injonction paradoxale : par exemple la mère qui frappe son enfant en lui disant je t’aime. Dans l’obésité, on retrouve notamment ce mécanisme dans la contradiction entre le monde d’abondance, vendu dans la publicité et les injonctions à la beauté et la minceur.
J’ai ensuite fait un DU d’Accompagnement professionnel, puis un DU d’Ethique et je me suis formée en Education Thérapeutique du patient. Enfin, je viens de terminer un DU de Nutrition des obésités à Montpellier pour mieux comprendre les ressorts de l’obésité, qui relève bien d’une responsabilité collective et sociétale, et non pas individuelle.
Sentez-vous une évolution de la reconnaissance de cette responsabilité ?
Chez 5% des professionnels oui. C’est déjà un ferment, un germe qui donne de l’espoir. Le premier facteur de cette maladie est génétique, autrement dit c’est la génétique qui porte la plus grande responsabilité (70%) dans notre poids. Notre métabolisme s’est forgé depuis les chasseurs-cueilleurs sur le besoin de résister aux famines et au froid, c’était encore le cas jusque dans les années 50. Ceci explique pourquoi les régimes restrictifs sont contreproductifs voire dangereux car ils mettent l’organisme en situation de famine et donc de stockage. Le tissu adipeux se développe, s’enflamme, et cela entraîne un dysfonctionnement hormonal qui peut à son tour causer des maladies : cancer, diabète, hypertension, et bien d’autres.
Depuis, la sédentarité, le confort et l’offre de consommation ont modifié notre façon de vivre mais pas notre métabolisme. Il y a donc une certaine injustice génétique, à laquelle s’ajoutent des malheurs de la vie ou des expériences traumatiques qui génèrent un besoin de béquille pour tenir, ou de consolation. Certains fument, d’autres boivent, se droguent ou mangent.
Le mécanisme qui consiste à se restaurer pour se réconforter lors d’une émotion est normal. La difficulté naît lorsque la personne n’éprouve pas de satiété et ne peut pas s’arrêter. Malgré l’évolution des connaissances en matière d’obésité, la stigmatisation est encore forte même au sein du monde médical et éloigne certains du soin, avec des risques évidents.
Comment avez-vous mis en application toutes ces formations ?
Via les réseaux sociaux, j’ai commencé à partager des solutions, des analyses. J’ai créé une association, Obésités Mode d’Emploi : Apprendre à Vivre Ensemble pour aider les personnes en situation d'obésité, quels que soient leurs choix, en leur apportant des informations, et en soutenant la recherche visant à mieux comprendre les mécanismes de ce qui est à la fois une pathologie et un motif de stigmatisation.
L’actualité a été porteuse d’évènements. J’ai commencé à dispenser des formations dans des hôpitaux ou instituts de soins infirmiers. Les étudiants posaient des questions extrêmement pertinentes. Je suis donc en train de développer une offre pour modéliser cet accompagnement, sachant que je ne pourrai pas le faire indéfiniment de manière bénévole. C’est comme cela que je suis passée de l’associatif militant à une démarche de professionnalisation, notamment pour faire comprendre aux soignants qu’il n’y a pas de bons ou de mauvais patients, mais aussi pour influer sur la prise en soin.
Des traitements à vie vont bientôt être proposés pour permettre une perte de poids ou la maintenir après chirurgie bariatrique, mais pour l’instant pas de prise en charge de l’assurance maladie, et le coût mensuel par patient est de 500€. Ma proposition au système de santé est de réduire ces coûts en permettant un meilleur accueil des personnes vivant avec l’obésité grâce à la construction d’une passerelle entre soignants et soignés. Les gens se sentiront mieux, ne craindront plus les cabinets médicaux, et certaines des comorbidités coûteuses de l’obésité pourront leur être évitées.
Comment se passe cette professionnalisation ?
Je veux pouvoir capitaliser sur le fruit de mon travail. C’est une question d’équité. Tout travail mérite salaire. Surtout, cela me permettrait de me consacrer pleinement à ce projet sans que cela soit difficile économiquement. Il s’agit aussi de faire reconnaitre cette expertise, et sa légitimité.
L’association reste ma vitrine et je sépare bien les actions bénévoles, comme les témoignages dans le service du chirurgien qui m’a retiré un anneau gastrique, de l’offre que je suis en train de construire. En complémentarité des associations de terrain, j’agis vers les professionnels et les institutions pour que cela bénéficie aux patients. Les professionnels de santé s’intéressent progressivement à ma démarche, me parrainent pour intégrer des sociétés savantes ou groupes de réflexion, m’invitent à communiquer lors de colloques ou à écrire des articles dans des revues spécialisées.
Quels conseils pourriez-vous donner à ceux qui veulent s’engager ?
Je bénéficie d’un accompagnement professionnel dans une pépinière d’entreprises et par un réseau régional d’indépendants. Mon conseil est donc de s’entourer pour construire son projet et de réseauter. Grâce à quelques conseils, j’ai en un an triplé mes contacts LinkedIn et peux démarrer sereinement mes démarches de demande de subvention. C’est grâce à des échanges avec des professionnels très à l’écoute que j’ai déterminé ma stratégie.