GUILLEMETTE JACOB, consultante en marketing et fondatrice de Seintinelles

Damien Dubois • 10 juillet 2022

Une étroite collaboration entre chercheurs sur le cancer et citoyens pour une recherche plus rapide et pertinente


Fred LEBRETON

Guillemette Jacob

Fondatrice de l'association Les Seintinelles

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots à nos lecteurs ?


Quand je me présente, je ne parle pas du cancer. Je me présenterais plus comme une fille de 48 ans qui a une belle vie, qui essaie de trouver l'équilibre entre une vie pro, une vie perso, entre de la qualité, de la quantité. Je travaille dans la communication et le marketing digital de manière générale. Je viens d'une famille dans laquelle le cancer est très présent. Mon père est tombé malade quand j'avais 7 ans et mort quand j'en avais 18. Ma mère a été malade aussi. Il n'y a pas d'hérédité connue de la part des médecins mais quand ils ont regardé mon arbre généalogique, ils m'ont dit : « vous êtes un peu la preuve vivante qu'on ne sait pas tout ».


Je n'ai donc pas été surprise d'être malade mais que ça arrive aussi vite. Je pensais que cela arriverait vers 50 ans, pas à 36 ans, pas si tôt. J’ai eu le tarif habituel, chimio, radiothérapie, hormonothérapie. J'ai eu de la chance. La tumeur était suffisamment bien placée pour qu’on puisse me conserver le sein. Je m'en tire extrêmement bien. Je fais juste attention à mon bras à la suite d’un curage axillaire. J'ai le sentiment de ne pas avoir d'effet secondaire qui durerait encore aujourd'hui. J'ai juste gardé les cheveux courts, parce que c’est la libération de la femme !


Comment est né votre engagement ?


Je viens d'une famille dans laquelle l'engagement sociétal était extrêmement important, collectes de la Croix-Rouge, Banque alimentaire, don de sang. Je me suis inscrite sur la liste des donneurs de moelle osseuse. Le sentiment qu’à une échelle citoyenne, nous pouvons tous faire quelque chose au profit du bien commun et que, d'une certaine manière, ça fait partie de nos devoirs de citoyens, a fait partie de mon éducation. J’ai voulu retranscrire cela. Ensuite, cela a été une histoire de rencontres et d'opportunités. J’ai beaucoup discuté avec le Pr Fabien Reyal, mon chirurgien à l’Institut Curie, de mon travail, de mes envies.

 

A la fin de mes traitements, nous avons creusé l’opportunité de mettre mes compétences à profit. Après un congrès à San Antonio, il m’a parlé d’Army of Women. Cela correspond fondamentalement à qui je suis, à mes valeurs, à ma vision de ce que sous-tend un tel projet. Nous avons copié, ou plutôt importé, le concept en France pour les Seintinelles.



Et donc, quelle est la finalité des Seintinelles ?


Il s’agit d’une plateforme de recherche collaborative qui met en relation deux populations qui, historiquement, avaient du mal à se rencontrer : les chercheurs académiques sur les différents cancers et les citoyens. J'insiste sur ce terme de citoyen parce que la recherche a besoin d'absolument tout le monde, pas que des malades. Nous mettons tout le monde au même niveau pour mieux collaborer et faire avancer la recherche plus vite au bénéfice de la communauté, de prises en charge plus adaptées. Au départ, nous étions centrés sur le cancer du sein, comme Army of Women, car c’était mon histoire. Nous avons vite élargi notre périmètre, aussi parce que les chercheurs nous ont sollicités. Nous avons réfléchi à changer le nom mais la communauté y était attachée et nous aussi.



Pourquoi se cantonner à la recherche académique ?


Par choix et ce n'est pas dogmatique. Les laboratoires m'ont sauvé la vie. Quand nous avons démarré, nous ne correspondions à rien de ce que connaissaient les chercheurs, ni une cohorte, ni un registre, ni une association de patients. Pour eux nous étions un OVNI. Nous avons dû gagner notre place à la table. Aujourd’hui, ils comprennent notre fonctionnement, nos valeurs. Nous avons pu désamorcer leurs doutes sur nos intentions. En effet, nous nous sommes lancés, il y a douze ans, en même temps que d’autres communautés OVNI. Nous en étions proches mais avions des philosophies et des intentions différentes. Nous restons une structure à but non-lucratif. Travailler pour la recherche académique était donc aussi un moyen de rassurer les acteurs et de légitimer notre place.

 

Par ailleurs, nous avons un modèle économique clair. Les chercheurs nous dédommagent pour avoir recours à la base, pour le recrutement, pour leurs études,… Nous avons donc un statut mixte. Le cœur du réacteur est l'association et l’activité plus économique est supportée par une SASU dont l'actionnaire unique est l'association ; un système assez classique dans l'entrepreneuriat social et solidaire. Notre modèle économique garantit notre indépendance et notre autonomie financière et la relation avec les chercheurs est saine, professionnelle. La contractualisation élève le niveau d'exigence. Et le système associatif ne permettait pas à 100 % de l'assumer.

https://www.seintinelles.com/

Comment cet engagement s’articule avec votre vie professionnelle ?


Cette activité est bénévole. Je suis à la manœuvre avec beaucoup d’aides plus ou moins régulières de Seintinelles, de chercheurs, qui viennent apporter leurs compétences au projet. Il y a trois ans, j'ai arrêté mon activité salariée, pour m’occuper de Seintinelles et travailler en freelance en parallèle. Cela m'offre une certaine souplesse dans l'organisation de mon temps qui est tout à fait bienvenue. Nous avons eu des salariées pendant un temps. Après cinq ans, elles ont eu envie de faire autre chose ; ce que je comprends tellement bien. Pour autant, je vais réembaucher bientôt car je ne vais pas tenir toute seule.



Quels sont les liens avec les associations de patients ?


J'ai des rapports privilégiés historiques avec RoseUp car nous sommes nées à peu près en même temps. Nous étions quelques-unes à innover au même moment Rose relaie régulièrement les études. Et puis aussi avec Patients en réseau, surtout Mon Réseau Cancer du Sein. Nous travaillons régulièrement avec Laure, notamment quand il faut interagir avec certains chercheurs sur certains sujets. Comme nous ne sommes pas une association de patients, ce n'est pas un environnement que je connais forcément très bien. Je suis loin des réflexions sur les formes d'engagement de patients. Ce que je sais faire, c'est engager des citoyens pour développer une expertise ou avoir un avis sur les sujets de démocratie en santé, passionnants mais que je ne maitrise pas.

Quelle est votre actualité ?


L’Institut National du Cancer a été notre premier financeur et nous allons travaillé ensemble dans le cadre de leur Filière Intelligence Artificielle et Cancer en création. Notre partenaire historique opérationnel est UNICANCER, la fédération des Centres de Lutte contre le Cancer. Il s’agit de mon écosystème le plus proche. Nous sommes en train de développer la plateforme WeShare, un consortium multidisciplinaire comprenant trois Centres de lutte contre le cancer (Gustave Roussy, Villejuif, le Centre François Baclesse, Caen et le Centre Léon Bérard, Lyon), l’École Polytechnique, l’association Seintinelles et la Plateforme nationale Qualité de vie et Cancer avec la coordination scientifique du Dr Ines Vaz Luis. Nous avons gagné un gros appel à projets de l’Agence Nationale de la Recherche et je vais avoir la responsabilité de l’interface avec les citoyens.


WeShare a pour vocation de donner à tous les chercheurs et à tous les centres qui font de la recherche, les outils nécessaires pour accélérer la recherche en sciences humaines et sociales en oncologie. La plateforme web est dotée de nombreuses fonctionnalités : collecte et/ou intégration de données cliniques et thérapeutiques, recueil de données renseignées par les patients, les proches aidants ou volontaires sains, consentement en ligne de participation à une recherche avec signature électronique, randomisation, visioconférence, captation et transcription audio, mise à disposition de documents multimédia, enregistrement de données biométriques.

 

Aujourd'hui, Seintinelles est un petit back-office d'études qui a eu une certaine utilité. Seintinelles était un petit bout d'un outil de recherche. Nous sommes en train de l’agglomérer à un quelque chose de techniquement beaucoup plus large. La plateforme a été officiellement lancée mais l’outil n’est pas encore opérationnel. Une première étude va bientôt sortir. Elle sera notre premier galop d'essai. Un gros challenge. Nous allons garder notre autonomie et notre indépendance tout en nous adossant à quelque chose qui est plus grand que nous. J'en suis vraiment très heureuse parce que c'est la preuve de notre utilité, de notre place à la table.

 

Nous avons une autre actualité, un autre projet, plus embryonnaire avec partenariat avec la Croix-Rouge pour faire en sorte que les publics les plus vulnérables et précarisés soient mieux intégrés dans la recherche. Jusque-là, en échouant à représenter leurs spécificités, nous reproduisons les inégalités. Intéressant. Nous en sommes au tout début. Nous y allons humblement par petits bouts en espérant peut-être apporter un début de bout de solution…



https://www.seintinelles.com/
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